Stop à la logique du tout-carcéral
Question de :
M. Christophe Bex
Haute-Garonne (7e circonscription) - La France insoumise - Nouvelle Union Populaire écologique et sociale
M. Christophe Bex alerte M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur le projet de construction d'un deuxième établissement pénitentiaire sur la commune de Muret, faisant de celle-ci la première ville carcérale de France. Cette nouvelle prison, qui disposerait d'une capacité d'accueil de 615 places, a été déclarée d'utilité publique en août 2022, en dépit des avis défavorables émis par le conseil municipal de Muret, la communauté d'agglomération du Muretain, le département et la chambre d'agriculture de Haute-Garonne. Outre le manque de débat démocratique résidant autour de la réalisation de celle-ci, cette nouvelle prison engendre des conséquences environnementales préoccupantes puisqu'elle sera bâtie sur une zone agricole protégée. Ce sont 17,5 hectares de terres agricoles qui vont être artificialisées et bétonnées. Cette deuxième prison, qui s'inscrit dans le cadre du programme immobilier pénitentiaire mené par le Gouvernement, est une réaffirmation de la logique française du tout carcéral. Or l'extension du parc carcéral, érigé par M. le ministre comme l'un des principaux leviers d'action pour faire face à la surpopulation en prison, est totalement inopérant. En effet, ces investissements immobiliers grèvent le budget consacré à l'administration pénitentiaire, se faisant ainsi au détriment de l'amélioration des conditions de détention et des politiques de réinsertion des personnes condamnées, qui demeurent insuffisamment développées en France. Par conséquent, il lui demande s'il va abandonner le projet de construction de cette nouvelle prison sur la commune de Muret.
Réponse en séance, et publiée le 23 novembre 2022
ABANDON DE LA CONSTRUCTION DE LA PRISON DE MURET
Mme la présidente. La parole est à M. Christophe Bex, pour exposer sa question, n° 32, relative à l'abandon de la construction de la prison de Muret.
M. Christophe Bex. Afin de remédier à la surpopulation, mal chronique des prisons françaises, le garde des sceaux prévoit la construction d'un établissement de 615 places à Muret, sous-préfecture de Haute-Garonne située à 20 kilomètres au sud de Toulouse. La décision paraît logique, pleine de bon sens et facile à justifier : la surpopulation appelle la construction. Cette nouvelle prison fera de Muret-Seysses le premier pôle carcéral de France, hors Paris, avec trois établissements.
En réalité, vous n'ignorez pas que le problème est bien plus complexe. Les plans de construction de nouvelles prisons se succèdent sans rien y changer, car l'on ne traite que les conséquences de la surpopulation, non ses causes. Localement, le projet de Muret fait l'unanimité contre lui : conseil municipal et communautaire de l'agglomération, associations, riverains et jusqu'à la chambre d'agriculture de Haute-Garonne s'y opposent, quand le commissaire enquêteur a émis un avis défavorable.
Alors qu'en France 1 personne sur 1 000 est incarcérée, le taux de récidive y est l'un des plus élevés d'Europe ; durant l'épidémie de covid, nous avons réduit le nombre de détenus sans que personne ne constate d'explosion de celui des crimes et des délits. Par conséquent, il est temps de réduire la population carcérale et de prendre en charge en milieu libre ceux qui peuvent ou doivent l'être. Ce n'est ni déraisonnable ni dangereux, et il y a urgence. Pas de nouvelle prison à Muret ni ailleurs !
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé de la mer.
M. Hervé Berville, secrétaire d'État chargé de la mer. Tout d'abord, monsieur le député, je vous prie d'excuser l'absence de mon collègue Éric Dupond-Moretti.
Le deuxième établissement prévu à Muret fait en effet partie du programme de construction pénitentiaire, représentant 15 000 places, souhaité et annoncé par le Président de la République en vue d'assurer la réponse pénale, d'améliorer les conditions de travail des personnels pénitentiaires et la prise en charge des détenus, enfin, de réduire la surpopulation carcérale. Le projet à Muret doit mettre un terme à ce phénomène au sein des maisons d'arrêt, dont le taux d'occupation national atteint 141 % ; celui du centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses, situé à proximité de Muret, s'élève à 156 %.
Il permettra donc, je le répète, une meilleure prise en charge des détenus dans des conditions plus adaptées et plus modernes.
Je souligne que le site du nouveau centre pénitentiaire a été proposé par la ville de Muret au préfet de Haute-Garonne, qu'une concertation publique préalable complète s'est tenue du 16 septembre au 20 octobre 2019, conclue par un bilan positif du garant désigné par la Commission nationale du débat public (CNDP). Des recours contentieux ont certes été formés contre la déclaration d'utilité publique et nous en attendons, comme vous le savez, l'issue.
En outre, je tiens à vous rassurer sur le fait que tous les projets prévus dans le cadre de ce programme font bien évidemment l'objet d'une autorisation environnementale préalable pour maîtriser les éventuelles conséquences sur l'environnement.
En parallèle, le Gouvernement poursuit le renforcement des moyens des services pénitentiaires d'insertion et de probation (Spip) puisque 50 millions d'euros de crédits de paiement leur seront alloués en 2023, soit une augmentation de 18,6 % par rapport au budget de 2022, et que la dotation allouée en 2023 à la politique de réinsertion des personnes placées sous main de justice et à l'amélioration des conditions de détention est portée à 122 millions d'euros, en hausse de 13 %.
De plus, le Gouvernement poursuit ses efforts sur les aménagements de peine et les mesures alternatives à l'incarcération que vous avez évoquées : une enveloppe de 53,4 millions d'euros est prévue pour 2023, soit une augmentation inédite de 34 %. Il peut s'agir du placement sous surveillance électronique ou du bracelet antirapprochement dans le cadre du renforcement de la lutte contre les violences conjugales, lequel est un élément prioritaire de notre politique.
Le maire de Muret a accepté la construction de ces nouvelles places de détention, et nous avons la volonté de financer des solutions alternatives à l'incarcération et de tout faire – je ne détaillerai pas, faute de temps, les actions prévues à cet effet – pour que les gens n'aillent pas en prison. Je crois qu'il est possible de mener à bien tous ces travaux, ce que le Gouvernement, en particulier le garde des sceaux, accomplit. Je vous remercie de votre implication sur cette question, qui, je le sais, est importante pour votre territoire.
Mme la présidente. La parole est à M. Christophe Bex.
M. Christophe Bex. Je voudrais préciser plusieurs points parce que j'ai l'impression de ne pas avoir été entendu.
L'incarcération génère un taux de récidive deux fois plus élevé qu'une peine alternative ; elle est trois fois plus onéreuse que l'accompagnement et le suivi en milieu ouvert ; lorsqu'elle est massive, elle constitue une impasse coûteuse et, le Gouvernement le sait, inefficace et inhumaine – même les États-Unis ont décidé d'en sortir.
Le projet prévoit de construire le nouvel établissement sur un puits de fraîcheur à proximité de Muret plage : les dix-sept hectares de terres agricoles qui y sont protégés vont être artificialisés et bétonnés.
Quelle population est-elle incarcérée ? En France, le vol d'un fromage condamne son auteur à de la prison ferme quand le sursis ou le bracelet électronique attendent les coupables d'évasion fiscale et de corruption intense.
Enfin, à la suite de la dégradation de la psychiatrie publique, la proportion de détenus atteints de troubles mentaux pose question : la prison ne doit pas se substituer à l'hôpital psychiatrique.
Je remercie le garde des sceaux de prendre en compte toutes ces remarques.
Auteur : M. Christophe Bex
Type de question : Question orale
Rubrique : Lieux de privation de liberté
Ministère interrogé : Justice
Ministère répondant : Justice
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 15 novembre 2022