Question orale n° 335 :
Remboursement de la dette illégale et de ses intérêts à Haïti

16e Législature

Question de : M. Carlos Martens Bilongo
Val-d'Oise (8e circonscription) - La France insoumise - Nouvelle Union Populaire écologique et sociale

M. Carlos Martens Bilongo interroge Mme la secrétaire d'État auprès du ministre des armées, chargée des anciens combattants et de la mémoire, sur le remboursement de la dette illégale et de ses intérêts à Haïti. Il y a quelques jours, le Président de la République s'est rendu au château de Joux pour honorer Toussaint Louverture. Cet hommage doit être analysé dans tout le cynisme qu'il dévoile. M. le député se doit de rappeler que Toussaint Louverture a non seulement été mis en esclavage et ensuite illégalement déporté de Haïti en France pour finir par être incarcéré, sans procès. Il est mort en prison à la suite des mauvais traitements subis. Les propos du Président de la République ne relatent ni la violation de la dignité de Toussaint Louverture ni la responsabilité de la France dans la mise en esclavage et plus généralement dans sa responsabilité de la commission d'un crime contre l'humanité pendant des décennies ; crime resté jusqu'alors impuni. À ce déni de justice s'est ajoutée pour la première République noire l'obligation de signer, obtenue sous la menace des canons des quinze navires, commandés par le baron de Mackau et postés face à la rade de Port au Prince, une reconnaissance de dette - à hauteur de 25 billions d'euros actuels soit 150 millions de francs lourds - pour dédommagement de son indépendance mais surtout pour verser une indemnisation aux colons pour perte de leur « outil de travail ». Ce galop d'essai sera institutionnalisé en 1848 par l'article 5 du décret d'abolition et mis en place en 1849. Non, Toussaint Louverture n'était pas français, oui il a été mis en esclavage par la France, oui il s'est battu pour libérer son pays du joug colonial et pour émanciper son peuple. Un hommage ne peut être l'occasion pour celui qui le prononce de changer les faits au prétexte de faire passer un message à ses opposants. L'ordre libéral capitaliste dont se réclame le Président n'a rien à voir avec la volonté d'émancipation de Toussaint Louverture et de ses compagnons de lutte contre un ordre inique, immoral, raciste et meurtrier qui a fait sa richesse sur les corps noirs et sur les ressources naturelles des pays colonisés. Force est de constater que le cynisme libéral n'a aucune limite pour s'approprier des figures qui font sens pour des peuples qui ont combattu contre la mise en esclavage, la colonisation, le colonialisme au prétexte de la hiérarchisation des races et de l'idéologie portée par la modernité euro-centrée. Il ne suffisait pas à la France d'avoir participé au hold-up de l'humanité pour assurer les fondations du système colonial capitaliste, il lui fallait, tel un gangster, imposer une rançon coloniale qui relève d'un paradoxe atroce où le vainqueur verse une indemnité au vaincu. Pour honorer les intérêts de la dette, le gouvernement haïtien a dû prélever des taxes, essentiellement, auprès de la classe paysanne ; exsangues, les agriculteurs n'ont eu d'autre choix que d'abandonner leurs champs et les cultures traditionnelles et de se réfugier vers les villes. Mais la rançon ne suffisait pas, la France y a ajouté un accord exclusif favorisant l'entrée des produits français sur le territoire haïtien sans aucun frais de douane. Autant dire une zone de libre-échange, avant l'heure, installée unilatéralement, violant de facto la souveraineté de l'État haïtien en entravant, de manière quasi définitive, son droit au développement. Ces éléments ont empêché, d'une part, l'accession à l'émancipation du peuple haïtien et d'autre part, ont annulé les effets de la révolution de 1804. Le sort d'Haïti était scellé ; la dette n'a cessé d'augmenter, la pauvreté aussi, le peuple était à la dérive et le pouvoir inféodé aux anciens colonisateurs. Se sont ainsi dessinées des crises structurelles successives face auxquelles le peuple haïtien fait face jusqu'à aujourd'hui. Face à ce constat accablant pour la France, entre autres, M. le député souhaite poser deux questions à M. le ministre. Ne croit-il pas qu'il serait urgent, au regard de l'un des principes fondateurs de la Charte des Nations unies, que la France œuvre à la mise en œuvre effective de « (...) l'égalité des droits (...) des nations grandes et petites » et qu'elle cesse d'une part, de participer à la mise sous tutelle de Haïti et d'autre part, de demander l'intervention d'une force armée tel que le demande le Core Group alors que le peuple haïtien y est totalement opposé ? N'est-il pas plus que temps que le pays procède, de manière inconditionnelle, au remboursement de la dette illégale et de ses intérêts ; et demande l'annulation de la dette publique ? Enfin, il lui demande si le meilleur hommage à rendre à Toussaint Louverture, héros du peuple haïtien, ne serait pas de répondre aux demandes nombreuses du peuple haïtien en mettant en place d'un processus décolonial politique et collectif de réparations pour crime contre l'humanité pour avoir imposé aux mis en esclavage une situation coloniale d'indignité et de déshumanisation.

Réponse en séance, et publiée le 24 mai 2023

HOMMAGE À TOUSSAINT LOUVERTURE
Mme la présidente. La parole est à M. Carlos Martens Bilongo, pour exposer sa question, n°  335, relative à l'hommage à Toussaint Louverture.

M. Carlos Martens Bilongo. Il y a quelques jours, le Président de la République s'est rendu à La Cluse-et-Mijoux pour honorer Toussaint Louverture. Cet hommage doit être analysé sans omettre tout le cynisme qu'il dévoile.

Je me dois de rappeler non seulement que Toussaint Louverture a été illégalement déporté de Haïti en France mais qu'il a été détenu sans procès et qu'il est mort en prison à la suite de mauvais traitements. À ce déni de justice s'est ajoutée, pour la première République noire, l'obligation de signer une reconnaissance de dette en dédommagement de son indépendance. Par cette dette illégale, la France voulait en effet que le peuple haïtien paie des compensations aux propriétaires des mis en esclavage, à hauteur de 150 millions de francs, soit 25 millions d'euros. Ce galop d'essai fut institutionnalisé en 1848 par l'article 5 du décret d'abolition et appliqué en 1849.

Il ne suffisait pas à la France d'avoir participé au hold-up de l'humanité pour assurer les fondations du système colonial capitaliste, il lui fallait encore, tel un gangster, imposer une rançon coloniale qui relève d'un paradoxe atroce, puisque le vainqueur verse une indemnité au vaincu. Pour honorer les intérêts de la dette, le gouvernement haïtien a dû prélever des taxes, essentiellement auprès de la classe paysanne exsangue.

Puis un accord a été conclu entre la France et Haïti, aux termes duquel une zone de libre-échange a été installée unilatéralement, ce qui violait de facto la souveraineté de Haïti et entravait de manière quasi définitive son développement. Ces éléments ont empêché l'accession à l'émancipation du peuple haïtien et ont annulé les bienfaits de la révolution de 1804.

Le sort de Haïti était scellé : la dette n'a cessé d'augmenter, la pauvreté aussi ; le peuple et le pouvoir étaient à la dérive.

Madame la ministre, face à ce constat accablant pour la France, entre autres, permettez-moi de poser deux questions. Ne croyez-vous pas qu'il serait urgent qu'en application de l'un des principes fondateurs de la Charte des Nations unies, la France œuvre à l'instauration effective de « l'égalité des droits […] des nations grandes et petites » et qu'elle cesse, d'une part, de participer à la mise sous tutelle de Haïti et, d'autre part, de demander, à l'instar du Core Group, l'intervention d'une force armée à laquelle le peuple haïtien est totalement opposé ?

N'est-il pas plus que temps que notre pays procède de manière inconditionnelle au remboursement de la dette illégale et de ses intérêts ainsi qu'à la mise en œuvre d'un processus décolonial politique et collectif de réparation d'un crime contre l'humanité, pour avoir imposé de façon inhumaine aux mis en esclavage une situation coloniale d'indignité ?

L'hommage rendu par le président Emmanuel Macron contrefait l'histoire en affirmant que Toussaint Louverture est français. Il élimine ainsi la question de la mise en esclavage des populations de l'arc des Caraïbes, dont celle de la Saint-Domingue de l'époque. J'ajoute que le premier combat de Toussaint Louverture a été de défaire la mise en esclavage, qui s'est accompagnée d'un crime de génocide contre les indigènes et d'un crime contre l’humanité. Son second combat a été de libérer son pays, mais il n’a pu voir l'installation de la première république noire.

Si l'on écoute bien son discours, le Président de la République fait la leçon aux Insoumis à propos de ce qu'est l'ordre – on pense aux populistes, dont Trump, Poutine et Erdogan. À cette fin, il instrumentalise Toussaint Louverture, oubliant de mentionner que c'est au nom de l'ordre dont il se réclame que Toussaint Louverture a été jeté, pour ses idées, dans une prison du Doubs. Et à présent, il dresse les conditions pour le faire entrer au Panthéon ! Cela est proprement écœurant. Qui plus est, il fait référence, de manière subliminale, à Frantz Fanon en évoquant Peau noire, masques blancs.

Un point encore, à propos du négationnisme de l'État. À la fin de son discours, le Président de la République a déclaré : « Nous n'en avons pas fini avec l'esclavage. » Faisant ainsi volontairement un amalgame entre esclavage et mise en esclavage, il occulte la déshumanisation et l'indignité imposées à plus de 12 millions d'Africains arrachés à leur continent et vendus en raison de leur « race ».

L'esclavage n'a rien à voir avec la racialisation des corps noirs. De déni en déni, le storytelling de l'histoire française lave plus blanc et sombre dans l'ignominie par le mensonge.

J'ai été un peu long, madame la présidente, mais, en ce 23 mai, je pense que vous m'excuserez.

Mme la présidente. Il faut laisser le temps à Mme la ministre de vous répondre.

La parole est à Mme la ministre de la culture.

Mme Rima Abdul-Malak, ministre de la culture. Permettez-moi de vous répondre au nom de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères.

Face aux interrogations sur un pan douloureux du passé colonial de la France, priorité doit être donnée à la mémoire des victimes de la traite et de l’esclavage. C’est le sens de l’engagement du Président de la République en faveur de la conscience mémorielle, de l'apaisement des mémoires. Nommer, dénoncer et rendre hommage aux victimes est une volonté politique forte.

S'agissant de Haïti, ce travail de mémoire a été engagé sur la base d'un libre accès aux archives françaises pertinentes. La France est déterminée à soutenir les efforts déployés par les chercheurs et historiens, français, haïtiens ou d’autres nationalités, pour étudier de façon scientifique, objective et rigoureuse la guerre d’indépendance haïtienne et les relations entre la France et Haïti depuis 1804.

Ce débat ne doit pas faire oublier l’impératif contemporain de solidarité avec Haïti, pays prioritaire de notre aide au développement. La France s’est pleinement engagée aux côtés des Haïtiens, dans le respect de leur souveraineté, en mobilisant tous les outils de son assistance.

Alors que Haïti est plongé dans une grave crise politique, sécuritaire et humanitaire, la France a fortement renforcé son appui à la police nationale haïtienne, et nous sommes prêts à soutenir une initiative internationale crédible pour permettre le rétablissement de conditions de sécurité satisfaisantes, répondant ainsi à l’appel lancé par les autorités haïtiennes et à la recommandation du Secrétaire général des Nations unies.

Enfin, alors qu’un tiers de la population est en situation d’urgence alimentaire, le montant de notre aide humanitaire atteint 9 millions d’euros en 2023, dont 5,5 millions d’aide alimentaire.

En conclusion, je tiens, en tant que ministre de la culture, à apporter mon plein soutien aux artistes, aux auteurs, à tous les professionnels de la culture qui continuent à œuvrer en Haïti et dont le travail résonne dans le monde entier.

Données clés

Auteur : M. Carlos Martens Bilongo

Type de question : Question orale

Rubrique : Politique extérieure

Ministère interrogé : Anciens combattants et mémoire

Ministère répondant : Anciens combattants et mémoire

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 16 mai 2023

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