Rubrique > politique extérieure
Titre > Remboursement de la dette illégale et de ses intérêts à Haïti
M. Carlos Martens Bilongo interroge Mme la secrétaire d'État auprès du ministre des armées, chargée des anciens combattants et de la mémoire, sur le remboursement de la dette illégale et de ses intérêts à Haïti. Il y a quelques jours, le Président de la République s'est rendu au château de Joux pour honorer Toussaint Louverture. Cet hommage doit être analysé dans tout le cynisme qu'il dévoile. M. le député se doit de rappeler que Toussaint Louverture a non seulement été mis en esclavage et ensuite illégalement déporté de Haïti en France pour finir par être incarcéré, sans procès. Il est mort en prison à la suite des mauvais traitements subis. Les propos du Président de la République ne relatent ni la violation de la dignité de Toussaint Louverture ni la responsabilité de la France dans la mise en esclavage et plus généralement dans sa responsabilité de la commission d'un crime contre l'humanité pendant des décennies ; crime resté jusqu'alors impuni. À ce déni de justice s'est ajoutée pour la première République noire l'obligation de signer, obtenue sous la menace des canons des quinze navires, commandés par le baron de Mackau et postés face à la rade de Port au Prince, une reconnaissance de dette - à hauteur de 25 billions d'euros actuels soit 150 millions de francs lourds - pour dédommagement de son indépendance mais surtout pour verser une indemnisation aux colons pour perte de leur « outil de travail ». Ce galop d'essai sera institutionnalisé en 1848 par l'article 5 du décret d'abolition et mis en place en 1849. Non, Toussaint Louverture n'était pas français, oui il a été mis en esclavage par la France, oui il s'est battu pour libérer son pays du joug colonial et pour émanciper son peuple. Un hommage ne peut être l'occasion pour celui qui le prononce de changer les faits au prétexte de faire passer un message à ses opposants. L'ordre libéral capitaliste dont se réclame le Président n'a rien à voir avec la volonté d'émancipation de Toussaint Louverture et de ses compagnons de lutte contre un ordre inique, immoral, raciste et meurtrier qui a fait sa richesse sur les corps noirs et sur les ressources naturelles des pays colonisés. Force est de constater que le cynisme libéral n'a aucune limite pour s'approprier des figures qui font sens pour des peuples qui ont combattu contre la mise en esclavage, la colonisation, le colonialisme au prétexte de la hiérarchisation des races et de l'idéologie portée par la modernité euro-centrée. Il ne suffisait pas à la France d'avoir participé au hold-up de l'humanité pour assurer les fondations du système colonial capitaliste, il lui fallait, tel un gangster, imposer une rançon coloniale qui relève d'un paradoxe atroce où le vainqueur verse une indemnité au vaincu. Pour honorer les intérêts de la dette, le gouvernement haïtien a dû prélever des taxes, essentiellement, auprès de la classe paysanne ; exsangues, les agriculteurs n'ont eu d'autre choix que d'abandonner leurs champs et les cultures traditionnelles et de se réfugier vers les villes. Mais la rançon ne suffisait pas, la France y a ajouté un accord exclusif favorisant l'entrée des produits français sur le territoire haïtien sans aucun frais de douane. Autant dire une zone de libre-échange, avant l'heure, installée unilatéralement, violant de facto la souveraineté de l'État haïtien en entravant, de manière quasi définitive, son droit au développement. Ces éléments ont empêché, d'une part, l'accession à l'émancipation du peuple haïtien et d'autre part, ont annulé les effets de la révolution de 1804. Le sort d'Haïti était scellé ; la dette n'a cessé d'augmenter, la pauvreté aussi, le peuple était à la dérive et le pouvoir inféodé aux anciens colonisateurs. Se sont ainsi dessinées des crises structurelles successives face auxquelles le peuple haïtien fait face jusqu'à aujourd'hui. Face à ce constat accablant pour la France, entre autres, M. le député souhaite poser deux questions à M. le ministre. Ne croit-il pas qu'il serait urgent, au regard de l'un des principes fondateurs de la Charte des Nations unies, que la France œuvre à la mise en œuvre effective de « (...) l'égalité des droits (...) des nations grandes et petites » et qu'elle cesse d'une part, de participer à la mise sous tutelle de Haïti et d'autre part, de demander l'intervention d'une force armée tel que le demande le Core Group alors que le peuple haïtien y est totalement opposé ? N'est-il pas plus que temps que le pays procède, de manière inconditionnelle, au remboursement de la dette illégale et de ses intérêts ; et demande l'annulation de la dette publique ? Enfin, il lui demande si le meilleur hommage à rendre à Toussaint Louverture, héros du peuple haïtien, ne serait pas de répondre aux demandes nombreuses du peuple haïtien en mettant en place d'un processus décolonial politique et collectif de réparations pour crime contre l'humanité pour avoir imposé aux mis en esclavage une situation coloniale d'indignité et de déshumanisation.
HOMMAGE À TOUSSAINT LOUVERTURE