Question de : M. Hervé Saulignac (Auvergne-Rhône-Alpes - Socialistes et apparentés (membre de l’intergroupe NUPES))

M. Hervé Saulignac attire l'attention de M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires sur l'annulation des tirs de régulation sur le grand cormoran prévue par l'arrêté du 19 septembre 2022 fixant les plafonds départementaux dans les limites desquelles des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant les grands cormorans (Phalacrocorax carbo sinensis) pour la période 2022-2025. Depuis les années 1980 et l'adoption à l'échelle communautaire du régime général de protection de toutes les espèces d'oiseaux, la population de grands cormorans a connu en France une croissance exponentielle (de 1 000 individus recensés en 1986 à plus de 115 000 en 2021). Jusqu'à aujourd'hui, un arrêté préfectoral annuel, pris sous l'autorité du ministère de l'environnement, permettait de procéder à une régulation de cette espèce, dans le respect des quotas édictés pour chaque département par le ministère. L'arrêté du 19 septembre 2022 restreint cette possibilité aux seules piscicultures, empêchant la régulation en eaux libres et excluant, de fait, 38 départements des possibilités de régulation de cette espèce. C'est notamment le cas du département de l'Ardèche, dont la biodiversité piscicole est déjà mise à mal par les effets des sécheresses successives. À ce titre, la fin des possibilités de régulation des populations de grands cormorans pourrait conduire à la disparition pure et simple des poissons patrimoniaux prédatés par cette espèce (truite fario, ombre commun, saumon atlantique) du Haut-Allier et de la Loire ardéchoise. Car, si le Conseil national de la protection de la nature ne relève pas le caractère prédaté de ces espèces par le grand cormoran, les études menées par la fédération départementale de pêche semblent indiquer le contraire. Aussi, il souhaite savoir si le Gouvernement entend revenir sur les dispositions de l'arrêté du 19 septembre 2022 et réintroduire des possibilités de régulation des populations de grands cormorans en eaux libres.

Réponse publiée le 10 janvier 2023

Le grand cormoran figure sur la liste des oiseaux protégés au niveau national et bénéficie également d'une protection européenne au titre de la Directive 2009/147/CE du 30 novembre 2009 relative à la conservation des oiseaux sauvages. Il s'agit d'un oiseau piscivore autochtone en Europe, dont la sous-espèce autorisée à la destruction est inféodée aux eaux douces, et dont l'aire de répartition s'était progressivement réduite en raison des tirs importants dont il faisait l'objet, jusqu'à ce qu'il soit protégé dans les années 1970. Le nombre moyen de grands cormorans hivernants a certes augmenté depuis que l'espèce est protégée, mais il se trouvait lors des premiers comptages nationaux menés dans les années 1980 à des niveaux extrêmement bas. En outre, ce chiffre est relativement stable depuis 2013, oscillant autour de 100 000 individus présents. Afin de contrôler ses impacts sur la pisciculture et sur les espèces de poisson protégées, un système dérogatoire à la protection stricte permet de mener des opérations de destruction si les conditions de la dérogation sont réunies. Il convient à la fois de ne pas nuire à l'état de conservation de l'espèce, mais également de démontrer qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante et que le motif est justifié (en l'occurrence jusqu'alors pour prévenir les dommages aux piscicultures et dans l'intérêt de la protection de la faune et de la flore sauvages et de la conservation des habitats naturels). L'arrêté ministériel cadre du 26 novembre 2010 fixe ainsi les conditions et limites dans lesquelles les dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées. Il est complété par un arrêté pris tous les 3 ans, qui fixe les quotas départementaux dans les limites desquelles les dérogations peuvent être accordées.  L'élaboration de l'arrêté triennal 2022/2025 est intervenue dans le contexte particulier d'annulation d'arrêtés préfectoraux relatifs aux dérogations sur les cours d'eau et plans d'eau, suite à diverses requêtes déposées ces dernières années. À ce jour, 15 arrêtés ont été annulés et 5 contentieux sont en attente de jugement. Les décisions des tribunaux administratifs font état de motivations insuffisantes des arrêtés car ils ne justifient pas de la présence dans les cours d'eau d'espèces de poissons menacées, de l'impact du grand cormoran sur les espèces protégées, ni de la mise en œuvre de solutions alternatives ; aussi les conditions de dérogation ne sont pas remplies. En conséquence, lors des travaux préparatoires à l'élaboration de l'arrêté, des réflexions ont été engagées avec l'ensemble des partenaires concernés par le grand cormoran (représentants des pisciculteurs et pêcheurs, associations de protection de la nature, experts, administration) afin de permettre la sécurisation des actes juridiques et d'éviter que les futurs arrêtés préfectoraux ne soient à nouveau annulés. Au terme de la période de consultation, il a été décidé de ne pas établir dans l'arrêté 2022/2025 de plafonds pour les cours d'eau et plans d'eau et de n'y rendre aucune dérogation possible. En effet, en l'état, les éléments disponibles ne permettent pas de justifier de l'impact du grand cormoran sur les espèces piscicoles menacées et de remplir les conditions de dérogation. L'arrêté du 19 septembre 2022 permet donc que les dérogations soient accordées pour protéger les seules piscicultures, dans 58 départements, avec un plafond annuel de 27 892 individus autorisés à la destruction soit un nombre total d'individus autorisés à la destruction correspondant à plus de 24 % de la population hivernante recensée en janvier 2021. Si des études robustes étaient produites localement et démontraient l'impact du grand cormoran sur l'état de conservation des espèces de poissons menacées, l'arrêté 2022/2025 pourra être complété, dans la période triennale, afin de mettre en place des plafonds sur les cours d'eau et plans d'eau concernés dans les départements. Des discussions sont ainsi en cours entre mes services et la Fédération nationale de la pêche en France (FNPF) afin de construire un protocole solide et de définir des sites pilotes pour le mettre en œuvre. Les travaux ont notamment identifié quatre départements dans lesquels nous engageons d'ores et déjà les travaux pour documenter les impacts sur la faune aquatique. Plus généralement, le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires est pleinement engagé dans le maintien et la restauration de l'état écologique des écosystèmes aquatiques. En effet, au-delà de la prédation exercée par le grand cormoran sur les espèces piscicoles, d'autres enjeux d'importance, tels que la lutte contre les pollutions et les espèces exotiques envahissantes, sont l'objet de toute l'attention du ministère.

Données clés

Auteur : M. Hervé Saulignac (Auvergne-Rhône-Alpes - Socialistes et apparentés (membre de l’intergroupe NUPES))

Type de question : Question écrite

Rubrique : Animaux

Ministère interrogé : Transition écologique et cohésion des territoires

Ministère répondant : Écologie

Dates :
Question publiée le 6 décembre 2022
Réponse publiée le 10 janvier 2023

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