16ème législature

Question N° 408
de Mme Anne Stambach-Terrenoir (La France insoumise - Nouvelle Union Populaire écologique et sociale - Haute-Garonne )
Question orale sans débat
Ministère interrogé > Santé et prévention
Ministère attributaire > Santé et prévention

Rubrique > santé

Titre > Psychiatrie publique : va-t-on enfin renforcer la politique de secteur?

Question publiée au JO le : 21/11/2023
Réponse publiée au JO le : 29/11/2023 page : 10568

Texte de la question

Mme Anne Stambach-Terrenoir attire l'attention de M. le ministre de la santé et de la prévention sur l'état d'extrême tension que connaît la psychiatrie publique en Haute-Garonne. Les moyens de la politique sectorielle n'ont pas suivi l'explosion démographique de ce département, qui compte actuellement 8 secteurs en psychiatrie adulte. Au début des années 1970, un secteur couvrait environ 70 000 habitants. Aujourd'hui, en moyenne, un secteur couvre plus de 170 000 habitants, jusqu'à 200 000 en Haute-Garonne. Les besoins n'ont cessé d'augmenter et la situation est aujourd'hui dramatique pour les patients, leurs familles et les personnels de santé. Il faut aujourd'hui, selon les centres médico-psychologiques (CMP), de 6 mois à plus d'1 an pour obtenir un premier rendez-vous. Les patients qui n'ont pas pu être pris en charge à temps voient leur situation se dégrader et arrivent aux urgences, qui sont déjà saturées. Certains sont ainsi contraints de dormir sur des brancards, dans des pièces sans fenêtre et doivent parfois être sédatés dans le hall, devant d'autres patients. On parle bien d'êtres humains en situation de détresse psychique, à qui l'on impose ces conditions d'accueil dans les hôpitaux publics. Certes, le manque de moyens dont souffre la psychiatrie, qu'il est devenu usuel de qualifier de parent pauvre de l'hôpital public, concerne l'ensemble du territoire national. Mais la situation haute-garonnaise présente des spécificités qui en aggravent les maux. D'une part, une répartition particulièrement déséquilibrée des moyens entre le secteur public et le secteur privé, qui a pourtant obtenu l'essentiel des ouvertures de lits ces dernières années : on compte aujourd'hui 1 lit dans le secteur public pour 4 lits dans le secteur privé. Or celui-ci ne prend pas sa part dans la prise en charge des situations les plus complexes : hospitalisation à la demande d'un tiers, personnes en situation de grande précarité, ou cumulant souffrance psychique et addictions. D'autre part, une partie importante de la population est particulièrement vulnérable : selon l'Insee, l'Occitanie est une des régions les plus pauvres de France, avec une forte concentration géographique de la précarité, notamment autour de la métropole toulousaine. Or, on sait que la précarité tend à fragiliser les personnes sur le plan psychique et rend plus difficile l'accès aux droits et aux soins. En 2019, un collectif d'une centaine de médecins psychiatres avait interpellé le ministère pour demander un renforcement de la politique de secteur. La création d'un 9e secteur avait même été envisagée par l'agence régionale de santé (ARS), qui avait mis en place un groupe de travail, dont l'activité s'est interrompue au moment de la crise sanitaire de la covid-19. Tous les personnels de santé rencontrés ont fait part de cette demande de renforcer en premier lieu la politique de secteur, qui permettrait de répondre à la grande majorité des besoins et qui en est empêchée par le seul manque de moyens, plutôt que de conditionner ces moyens à la mise en place de dispositifs innovants, faisant perdre un temps de travail précieux pour répondre à des appels à projets. L'obtention de moyens budgétaires supplémentaires fléchés vers le secteur public, permettant par exemple la création d'un neuvième secteur, serait perçue comme un signal fort. En 2022, le centre hospitalier Marchant a fait les gros titres de la presse nationale suite à plusieurs sorties sans autorisation de patients atteints de troubles graves. Depuis, le centre hospitalier a dépensé 40 000 euros par mois qui sont revenus à une société de sécurité privée, puis a internalisé les coûts d'un service de sûreté, ponctionnant son budget de moyens attendus depuis des années par les soignantes et les soignants. En 2023, pendant l'été, ce centre hospitalier décide de fermer temporairement le seul pavillon d'admission pour les jeunes adultes de la région Occitanie, faute de personnels. C'est la seule structure équivalente dans toute la région, alors qu'un jeune adulte sur 5 présente des troubles dépressifs, alors que les situations de détresse psychique ont explosé depuis la crise sanitaire. En septembre 2023, la direction annonce la fermeture de 15 lits, sur deux unités d'hospitalisation. Il manque en effet 16 médecins et 30 infirmiers pour pouvoir prendre correctement en charge les patients. C'est ce manque de personnels qui entraîne de la violence entre usagers et parfois envers les agents. On ne répondra pas à un problème de santé publique par une approche sécuritaire. Les personnels de santé n'ont pas besoin de plus de vigiles, ils ont besoin de moyens humains et matériels pour assurer leur mission de service public. Actuellement, les moyens attribués à la psychiatrie publique étant insuffisants, les conditions de travail y sont nettement dégradées, ce qui alimente la fuite des personnels vers le secteur privé, accentuant encore la pression sur ceux qui restent. On ne peut pas se contenter de déplorer le manque de personnels pour justifier l'orientation des moyens vers le secteur privé. Il faut mener une politique volontariste de renforcement de la politique de secteur et prendre des mesures fortes pour améliorer l'attractivité du secteur public pour les personnels de santé. C'est un cri d'alarme que Mme la députée voudrait, aujourd'hui, adresser à M. le ministre. La psychiatrie publique, on le sait, manque cruellement de moyens et la Haute-Garonne fait partie des départements les moins bien dotés de France. Mme la députée demande à M. le ministre s'il va enfin doter l'ARS Occitanie de moyens suffisants pour renforcer la politique sectorielle, notamment par la création d'un neuvième secteur de psychiatrie adulte en Haute-Garonne, sans avoir à prélever sur les dotations accordées à d'autres départements. Va-t-il entendre les demandes que les personnels de santé adressent au ministère depuis des années ? Enfin, elle souhaite savoir s'il va poursuivre la privatisation de la prise en charge de la santé mentale déjà si avancée dans le département car, en effet, plutôt que des applaudissements et des déclarations émouvantes sur leur héroïsme pendant la crise sanitaire, les personnels de santé ont avant tout besoin de marques concrètes de considération.

Texte de la réponse

PSYCHIATRIE PUBLIQUE


M. le président. La parole est à Mme Anne Stambach-Terrenoir, pour exposer sa question, n°  408, relative à la psychiatrie publique.

Mme Anne Stambach-Terrenoir. C’est un cri d’alarme que j'adresse à M. le ministre de la santé de la prévention : la psychiatrie publique manque de tout, de médecins, de soignants, de lits, de moyens en général. Dans ce tableau dramatique, la Haute-Garonne fait partie des départements les moins bien dotés de France car les moyens de la politique sectorielle n’ont pas suivi l’explosion démographique du département.

Au début des années 1970, un secteur de psychiatrie adulte couvrait environ 70 000 habitants. Aujourd’hui, c’est plus de 170 000, voire jusqu’à 200 000 habitants. Vous rendez-vous compte ? Derrière ces chiffres, il y a des situations dramatiques : il faut six mois à plus d’un an d’attente pour un premier rendez-vous en centre médico-psychologique (CMP). Évidemment, les patients qui n’ont pas pu être pris en charge à temps finissent par atterrir aux urgences un jour de crise. Mais les urgences sont également saturées. Alors certains d’entre eux se retrouvent à dormir plusieurs nuits sur des brancards, dans des pièces sans fenêtre. Ils doivent parfois même être sédatés dans le hall, devant d’autres patients. Les soignants sont désespérés. C'est à des êtres humains en situation de détresse psychique qu'on fait cet accueil catastrophique. Les conséquences de ce manque de moyens chronique, c'est l'inhumanité, tout simplement…

La Haute-Garonne connaît une répartition particulièrement déséquilibrée des moyens entre secteurs public et privé : on compte un lit dans le secteur public pour quatre lits dans le secteur privé. C’est unique en France, et ce n’est pas anodin, parce que le secteur privé, qui obtient l’essentiel des ouvertures de lit ces dernières années, ne prend pas sa part dans la prise en charge des situations les plus complexes – hospitalisation à la demande d’un tiers, personnes en situation de grande précarité, patients cumulant souffrance psychique et addiction. En outre, l'Occitanie est l'une des régions les plus pauvres de France, la précarité se concentrant autour de la métropole toulousaine. Or cette précarité tend à fragiliser les personnes sur le plan psychique et rend plus difficile l’accès aux droits et aux soins.

Face à cette situation, un collectif d’une centaine de médecins psychiatres a interpellé le ministère en 2019 afin de demander le renforcement de la politique de secteur. La création d’un neuvième secteur avait même été envisagée par l’agence régionale de santé (ARS), qui avait mis en place un groupe de travail, interrompu au moment de la crise sanitaire du covid-19.

Tous les personnels de santé que j’ai rencontrés m’ont fait part de la même demande : il faut renforcer les moyens de la politique de secteur dans l'organisation de la psychiatrie publique, ce qui permettrait de répondre à la majorité des besoins. Au lieu de cela, on fait perdre un temps fou aux professionnels en leur demandant de répondre à des appels à projets, dans l’espoir d’obtenir des moyens via des dispositifs innovants, limités dans le temps – la start-up nation à l’assaut de la santé mentale, en somme !

Cet été, le centre hospitalier Gérard-Marchant a fermé temporairement le seul pavillon d’admission pour les jeunes adultes de toute la région Occitanie, faute de personnel, alors qu’un jeune adulte sur cinq présente des troubles dépressifs et que les situations de détresse psychique ont explosé depuis la crise sanitaire chez les jeunes. En septembre, la direction de l’hôpital a annoncé la fermeture de quinze lits au sein de deux unités d’hospitalisation. Il manque en effet seize médecins et trente infirmiers pour prendre correctement en charge les patients.

Se contenter de déplorer le manque de personnel dans le public pour justifier l’orientation des moyens vers le secteur privé est tout simplement irresponsable. Car si les soignants manquent en psychiatrie, s'ils n'en peuvent plus, c'est faute de moyens et de conditions de travail dignes de ce nom ; c’est le résultat d’années d’abandon, d’une politique de sacrifice de la santé publique sur l’autel de l’austérité budgétaire – comme le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024, que vous avez honteusement fait adopter par voie de 49.3 dimanche à vingt et une heures, l’a encore confirmé.

Madame la ministre déléguée chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé, allez-vous enfin entendre les professionnels de santé et doter l'ARS d'Occitanie de moyens suffisants pour garantir une psychiatrie publique de proximité ? Allez-vous, par exemple, créer un neuvième secteur de psychiatrie adulte en Haute-Garonne sans pour autant ponctionner les dotations accordées à d’autres départements ? Ou bien allez-vous poursuivre la privatisation de la prise en charge de la santé mentale, déjà si avancée dans notre département ?

Plus que des applaudissements et des déclarations émouvantes sur leur héroïsme pendant la crise sanitaire, les professionnels de la santé ont besoin de pouvoir exercer leur métier, de pouvoir faire ce pour quoi ils s’engagent corps et âme au quotidien : nous soigner.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Nous partageons tous le constat des difficultés du secteur de la psychiatrie, et le Gouvernement est pleinement mobilisé sur ce sujet essentiel. Dès 2018, nous avons adopté une stratégie d'ensemble pour la santé mentale, que nous avons amplifiée en 2021. Au cours de la période 2018-2026, nous avons engagé plus de 3,3 milliards pour mettre en œuvre des réformes et des mesures importantes en matière de prévention, de parcours de soins et d'inclusion sociale. La psychiatrie a toute sa place dans cette stratégie.

Nous actionnons tous les leviers pour faire face à une crise dont les causes sont multifactorielles. Pour renforcer l'attractivité des métiers et la fidélisation des personnels, nous avons facilité l'exercice mixte entre ville et hôpital prévu par la loi du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé (OTSS). Les professionnels exerçant dans les services de psychiatrie bénéficient aussi des revalorisations du Ségur de la santé. Pour valoriser la discipline et accroître la visibilité de ces carrières, nous avons accentué l'universitarisation de la filière psychiatrique et pédopsychiatrique. Enfin, nous avons promu la pratique avancée en psychiatrie et santé mentale et mené une action résolue pour renforcer les centres médico-psychologiques.

En septembre 2022, les assises de la santé mentale et de la psychiatrie ont abouti à la création d'un accompagnement spécifique pour renforcer les CMP, afin de réduire les délais d'accès. Pas moins de 24 millions ont d'ores et déjà été attribués à cet objectif en 2022 et 2023, dont plus de 2 millions pour la région Occitanie. Une attention particulière a été portée aux publics vulnérables : à la suite des assises de la psychiatrie en 2021, 720 000 euros supplémentaires ont été débloqués pour la prise en charge des personnes précaires dans cette région. En Haute-Garonne, des recrutements sont en cours pour permettre l'intervention de psychologues et d'infirmiers formés en santé mentale au sein des structures destinées à l'accueil des publics sans domicile stable. Enfin, le conseil territorial de santé (CTS) de Haute-Garonne, aux activités duquel vous avez été invitée à participer, élaborera sa feuille de route et ses plans d'action dès le début de l'année 2024. Comme vous le voyez, nous sommes pleinement mobilisés.