16ème législature

Question N° 437
de M. Steve Chailloux (Gauche démocrate et républicaine - NUPES - Polynésie Française )
Question orale sans débat
Ministère interrogé > Culture
Ministère attributaire > Culture

Rubrique > outre-mer

Titre > Disparition progressive des langues polynésiennes

Question publiée au JO le : 05/12/2023
Réponse publiée au JO le : 13/12/2023 page : 11232

Texte de la question

M. Steve Chailloux alerte Mme la ministre de la culture sur la disparition progressive des langues polynésiennes et sur les blocages législatifs empêchant leur promotion.

Texte de la réponse

LANGUES POLYNÉSIENNES


Mme la présidente. La parole est à Mme Soumya Bourouaha, pour exposer la question, n°  437, de M. Steve Chailloux, relative aux langues polynésiennes.

Mme Soumya Bourouaha. Madame la ministre de la culture, nous souhaitons vous alerter sur la diminution progressive des locuteurs en langues polynésiennes, diminution favorisée par des barrières législatives empêchant leur efficace promotion auprès des jeunes générations. Je pense au tahitien, au marquisien, au paumotu, au mangarévien ainsi qu'à la langue des îles Australes et à celle de Rapa. La Polynésie est riche d'une histoire millénaire, construite par la symbiose constante des peuples qu'elle abrite. Chacune des langues que je viens de citer en constitue l'héritage.

Cependant, force est de constater qu'au fil des générations, ces langues se perdent, vouant, fatalement, cet héritage à disparaître. Par une étude sur l'usage des langues polynésiennes, effectuée en parallèle du recensement de 2017, l'Institut des statistiques de la Polynésie française révèle que parmi près de 276 000 individus, 19 % seulement sont en mesure de lire, de parler et d'écrire en langue polynésienne. Le reste parle majoritairement français. En somme, seul un Polynésien sur cinq maîtrise l'une des langues polynésiennes. Les linguistes locaux considèrent déjà que, dans cinquante ans, ces langues pourraient disparaître. Ce constat est inquiétant.

Tout comme la liberté d'expression est une extériorisation de la liberté de pensée, une langue est l'expression d'une identité. Toutes les langues doivent jouir d'un travail constant de normalisation et d'uniformisation, puisqu'il y va de leur pérennité. Toutefois, que l'on ne s'y méprenne pas : il est ici question d'une uniformisation des règles linguistiques et non des règles de pensée.

Or l'acharnement avec lequel s'est imposée la langue française fut, comme l'histoire en témoigne, d'une violence telle que celle-ci a écrasé les autres langues. Une identité en a écrasé d'autres au nom de l'unité nationale. Si rien n'est fait, madame la ministre, dans quelques années, nous aurons affaire à des langues mortes.

Je reconnais volontiers que plusieurs lois ont été adoptées afin d'améliorer la situation. C'est le cas de la loi du 8 juillet 2013 d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République, inscrivant pour la première fois dans la législation française une reconnaissance de l'enseignement bilingue en français et en langue régionale. Plus récemment, la loi dite Molac du 21 mai 2021 avait pour ambition de définir diverses mesures de protection et de promotion du patrimoine constitutionnel des langues régionales.

Pourtant, madame la ministre, les chiffres montrent que ces mesures demeurent insuffisantes, puisque seul un Polynésien sur cinq parle une langue polynésienne. Les lois en vigueur ont surtout vocation à préserver ces langues, lorsqu'il s'agirait d'en faire la promotion.

Des mesures comme l'enseignement immersif ou la reconnaissance des signes diacritiques au sein des actes administratifs seraient une meilleure façon de promouvoir les langues polynésiennes, mais les dispositions en question ont malheureusement été écartées par le Conseil constitutionnel.

J'affirmais qu'il existait des barrières législatives à la promotion des langues polynésiennes ; il serait plus juste d'évoquer des barrières constitutionnelles, dont les barrières légales ne font que découler. Le droit positif actuel est tel que la langue française ne souffre plus aucune concurrence. Ne serait-il pas temps de lâcher du lest sur ce principe constitutionnel, en envisageant que l'unité de la nation ne se fonde plus sur l'usage d'une seule langue, mais sur la multitude des langues qu'on y parle ?

Madame la ministre, que comptez-vous faire pour améliorer cette situation ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre de la culture.

Mme Rima Abdul-Malak, ministre de la culture. Les débats autour de notre langue, et des langues régionales, sont toujours de magnifiques débats et font partie de la richesse de notre pays. Je suis fortement attachée à leur défense et leur promotion, dans un dialogue continu avec les collectivités et les élus locaux.

La loi organique portant statut d'autonomie de la Polynésie française a transféré au gouvernement de la Polynésie française l'ensemble des compétences culturelles. Le ministère de la culture peut certes accompagner et apporter toute son expertise, notamment juridique, à l'Assemblée de la Polynésie française. Il ne peut en revanche pas s'y substituer dans la mise en place de politiques destinées à préserver et promouvoir les langues autochtones, dans le respect de la Constitution.

L'État et la Polynésie française ont signé le 17 mars 2023 une convention permettant la progression des coopérations, par un soutien aux acteurs de promotion des langues polynésiennes ; par l'organisation en Polynésie française de la troisième édition des états généraux du multilinguisme dans les outre-mer ; par une campagne de promotion visant à encourager la transmission de génération en génération.

Dans le cadre du Conseil national des langues et cultures régionales, nous avons décidé de publier un vade-mecum pour recenser les aides publiques disponibles pour les acteurs qui défendent les langues régionales.

Je ne commenterai évidemment pas les décisions du Conseil constitutionnel. Je souhaiterais néanmoins citer les mots du Président de la République lors de l'inauguration de la Cité internationale de la langue française de Villers-Cotterêts le 30 octobre 2023, où les langues régionales ont toute leur place. Il disait : « Chacun a le droit de connaître, parler, transmettre sa ou ses langues et c'est un droit non négociable. Toutes les langues sont égales du point de vue de la dignité. C'est pourquoi je veux que nos langues régionales soient encore mieux enseignées et préservées, qu'elles trouvent leur place dans l'espace public en un juste équilibre entre leur rôle d'ancrage de langue régionale et le rôle essentiel de cohésion de la langue nationale. Il y aura toujours de multiples langues dans la République et une langue de la République. »

Soyez en tout cas assurée de l'engagement du ministère de la culture, ministère de la langue française et des langues de France, pour soutenir les acteurs des langues régionales avec divers outils et subventions.