16ème législature

Question N° 442
de M. Hadrien Clouet (La France insoumise - Nouvelle Union Populaire écologique et sociale - Haute-Garonne )
Question orale sans débat
Ministère interrogé > Travail, plein emploi et insertion
Ministère attributaire > Travail, plein emploi et insertion

Rubrique > travail

Titre > À Téléperformance, l'État soutient la maltraitance

Question publiée au JO le : 05/12/2023
Réponse publiée au JO le : 13/12/2023 page : 11237

Texte de la question

M. Hadrien Clouet alerte M. le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion sur le soutien qu'apporte l'État à l'entreprise Téléperformance, en dépit de sa maltraitance connue et reconnue des salariés. Cette multinationale française crée en 1978, leader mondial des centres d'appels, modératrice de réseaux sociaux dont Tiktok, emploie plus de 400 000 employés dans le monde. À la tête de l'entreprise, le PDG se goinfre. Il est le patron le mieux payé de France, 1 484 fois mieux rémunéré que les salariés. Avec 18 millions d'euros de salaire annuel, il gagne en 1 an ce qu'un smicard mettrait 1 200 ans à atteindre. En 2021, en pleine pandémie et suite aux confinements successifs, l'entreprise a augmenté son chiffre d'affaires de 24 %, lui permettant de s'augmenter de 29 %. C'est l'entreprise la plus inégalitaire du CAC40. Ce profiteur de crise a malgré tout obtenu des aides publiques de l'État pour surmonter la crise. Elle a également bénéficié d'un contrat public pour gérer le numéro vert covid - alors que les salariés de Téléperformance, eux, n'avaient aucune protection face à la pandémie. Si les PME du pays sont étranglées par le remboursement des PGE, cette multinationale et son grand patron ont profité de la pandémie aux frais de l'État et des salariés mis en danger. Téléperformance travaille notamment avec les géants Apple, Amazon ou encore Google. Et visiblement, les multinationales s'échangent les mauvaises pratiques : en avril 2020, après le refus de tout dialogue social, plusieurs syndicats de salariés portent plainte devant l'OCDE pour « violation des droits des salariés à travailler en sécurité pendant la pandémie », constatant que des salariés doivent dormir sur le lieu de travail contaminé ; d'autres témoignages publiés dans la presse épinglent l'interdiction de faire pause avec d'autres collègues pour éviter tout debrief et échange collectif ; l'interdiction de se rendre aux toilettes ; la nécessité de formuler les demandes de congé sur l'application en ligne pendant les heures de travail sans réduction de productivité ; l'obligation pour les employés chargés de la modération du réseau social TikTok de regarder des contenus violents et morbides ; une diminution incessante de l'espace accordé à chaque opérateur pour travailler ; des rémunérations bien en-deçà des qualifications. Ces conditions sont tellement intenables que des étudiants salariés ont commis des tentatives de suicide. Une telle politique de maltraitance n'est pas un épiphénomène de l'établissement français : en novembre 2022, le gouvernement colombien a ouvert une enquête à l'encontre de cette multinationale pour violations du droit syndical et des conditions de travail. En effet, la multinationale avait installé des caméras au domicile de salariés télétravailleurs, ce qui s'ajoute au harcèlement moral, aux heures non payées et à l'entrave à action syndicale. Grâce à la détermination du gouvernement de Gustavo Petro, les 40 000 salariés de l'antenne colombienne de Téléperformance ont finalisé un accord renforçant le dialogue social et protégeant leurs droits. Ainsi, un gouvernement déterminé peut faire plier cette firme. Rien de tout cela en France, puisque face à ces alertes... l'Institut national de la relation client, qui a l'appui d'une mission ministérielle - en tout cas avant de cesser toute activité au bout de quelques mois - a délivré à l'entreprise le label RSE Human For Client dont elle se targue. Il est donc inacceptable que l'État subventionne et soutienne une entreprise voyou, sans lui imposer aucune condition d'aucune sorte. À l'instar du gouvernement colombien, le Gouvernement doit réviser ses engagements vis-à-vis de Téléperformance. Une enquête de l'inspection du travail doit y être diligentée au plus vite, afin d'appliquer un principe simple : ni subvention, ni prêt, ni marché public, ni label, tant que les droits des salariés n'y seront pas respectés. Il lui demande sa position sur ce sujet.

Texte de la réponse

TELEPERFORMANCE


Mme la présidente. La parole est à M. Hadrien Clouet, pour exposer sa question, n°  442, relative à l'entreprise Teleperformance.

M. Hadrien Clouet. Madame la ministre déléguée, pourquoi, dans notre pays, des multinationales gavées d'argent public bénéficient-elles d'une impunité totale ? C'est le cas de l'entreprise Teleperformance : installée à Blagnac, dans la première circonscription de la Haute-Garonne, mais employant 400 000 salariés dans le monde, elle gère des centres d'appel, raflant de nombreux numéros verts – vous en inventez un toutes les vingt-quatre heures –, notamment celui dédié à la covid-19. Les salariés qui répondent aux coups de fil sont largement privés de formation, installés dans des locaux insalubres et mal nettoyés. En pleine pandémie, ils avaient été contraints de dormir sur place, dans un lieu de travail contaminé. Ils ont l'interdiction d'aller aux toilettes sans l'autorisation d'un supérieur hiérarchique et voient leur espace de travail se réduire année après année et leur matériel se dégrader sans être remplacé. Bilan de cette politique : des tentatives de suicide parmi les plus jeunes salariés de l'entreprise et une plainte devant l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Si la situation est catastrophique pour les salariés, elle fait aussi des gagnants, notamment le PDG de l'entreprise, Daniel Julien, qu'on félicitera de toucher 1 200 Smic par an en traitant les salariés de cette façon. En dépit de la maltraitance généralisée et de conditions de travail inadmissibles, l'entreprise a reçu le label de responsabilité sociale des entreprises (RSE) Human for client – goûtez le paradoxe ! – décerné par l'Institut national de la relation client. Cette officine privée – qui ne l'est pas tant que cela, puisqu'elle a été créée avec le soutien d'une mission ministérielle – est entrée en sommeil après avoir blanchi Teleperformance ; elle n'aura donc servi qu'au PDG de cette multinationale. Dommage pour l'argent public ! Malgré les faits que je viens d'exposer, Teleperformance profite de contrats publics à gogo et gère des plateformes d'appel importantes pour l'action publique de notre pays.

Que comptez-vous faire ? Jusqu'à présent, en dépit des nombreuses alertes syndicales et des révélations dans la presse, rien n'a été entrepris, et Teleperformance continue à faire ce que bon lui semble. Quand allez-vous diligenter une enquête de l'inspection du travail pour faire toute la lumière sur ce qu'on sait déjà et sur ce qu'on ne sait pas encore – et qui risque de se révéler bien pire ? Quand allez-vous mettre en place un moratoire sur les prêts, subventions et marchés publics accordés à des multinationales qui, parce qu'elles maltraitent leurs salariés, ne devraient pas toucher un centime d'argent public ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES. – M. Olivier Serva applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’enseignement et de la formation professionnels.

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée chargée de l’enseignement et de la formation professionnels. Vous interrogez le Gouvernement sur les conditions de travail des salariés de Teleperformance et sollicitez une intervention de l'inspection du travail au sein de cette entreprise. L'inspection du travail assure une présence régulière au sein des différentes entités qui composent le groupe Teleperformance en France. Depuis 2016, plus de 340 interventions y ont ainsi été réalisées, incluant soixante contrôles sur place visant au respect de la réglementation du travail. Ces interventions ont abouti à la rédaction de plus de 150 lettres d'observations, d'une douzaine de rapports, de huit mises en demeure préalables à procès-verbal et de deux procès-verbaux d'infraction.

Je rappelle la mobilisation constante des agents de l'inspection du travail pendant la pandémie de covid-19 : ils étaient sans cesse sur le pont pour contrôler le respect des obligations des entreprises, et Teleperformance n'avait pas échappé à leur vigilance, subissant plusieurs contrôles. Elle fait toujours l'objet d'un suivi et de contrôles réguliers.

Plus largement, le Gouvernement est pleinement mobilisé en faveur du respect et de l'amélioration des conditions de travail. La prévention des risques professionnels, notamment psycho-sociaux, en fait partie. Pris en compte dans le quatrième plan Santé au travail, les risques psycho-sociaux sont également au cœur de l'action de l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail. Cet opérateur du ministère du travail prend de nombreuses initiatives visant à sensibiliser les entreprises à ces risques et à mieux accompagner les employeurs, les salariés et leurs représentants dans des actions de prévention.

Mme la présidente. La parole est à M. Hadrien Clouet.

M. Hadrien Clouet. Le Gouvernement répond qu'il veut sensibiliser le PDG de Teleperformance aux risques ; celui-ci y est, je pense, suffisamment sensibilisé – il n'en a simplement rien à faire.

Vous dites que l'inspection du travail a fait 340 interventions chez Teleperformance depuis 2016 ; je m'étonne donc que les conditions de travail y restent aussi déplorables. Je félicite d'ailleurs les inspecteurs du travail, qui ont sans doute empêché que la situation soit pire encore.

Vous dites que vous êtes fortement investis aux côtés de l'inspection du travail, mais nous nous rappelons tous le cas d'Anthony Smith, inspecteur du travail dans la Marne, mis à pied pour avoir demandé à une entreprise de bien vouloir équiper ses salariés en masques. Permettez-moi, dès lors, d'avoir un léger doute quant à votre implication ! Lorsqu'il faut choisir entre le grand patronat et l'inspection du travail, vous avez la fâcheuse tendance à opter pour le premier.

Quant aux mises en demeure par l'inspection du travail, je suis ravi qu'il y en ait eu huit, mais la question est celle des prêts, des subventions et des marchés publics que vous accordez à l'entreprise – les numéros verts ne tombent pas du ciel. Dans le cadre des marchés publics, on fixe des critères d'éligibilité ; visiblement, maltraiter les salariés, les exposer aux risques psycho-sociaux et les mettre en danger, les conduisant jusqu'aux tentatives de suicide, ne suffit pas dans ce pays pour être exclu des marchés publics. Je le déplore. (Mme Murielle Lepvraud applaudit.)