16ème législature

Question N° 443
de Mme Mathilde Panot (La France insoumise - Nouvelle Union Populaire écologique et sociale - Val-de-Marne )
Question orale sans débat
Ministère interrogé > Intérieur et outre-mer
Ministère attributaire > Intérieur et outre-mer

Rubrique > étrangers

Titre > Régularisation des travailleurs sans papiers sous-traitants de La Poste

Question publiée au JO le : 05/12/2023
Réponse publiée au JO le : 13/12/2023 page : 11250

Texte de la question

Mme Mathilde Panot alerte M. le ministre de l'intérieur et des outre-mer sur la surexploitation dénoncée par les travailleurs sans-papiers du piquet de grève de Chronopost, à Alfortville dans le Val-de-Marne, et en appelle à la responsabilité de l'État. Le piquet de grève marquait la semaine dernière le deuxième anniversaire d'une lutte pour une égalité de droits avec les travailleurs réguliers et une reconnaissance de leur droit à la régularisation administrative. Au cœur de la nuit et au mépris du droit du travail, ils déchargent et rechargent des centaines de camions et des milliers de colis, à des cadences infernales, sans pauses, pour des salaires de misère. Ce sont ces travailleurs essentiels qui ont été pourtant applaudis durant la crise sanitaire. 24 mois de lutte, 24 mois à manifester jusqu'à 3 fois par semaine devant les préfectures et les ministères de l'intérieur et du travail, 24 mois de pugnacité et de détermination des grévistes, à tenir de jour comme de nuit ce piquet de grève. Malgré les nombreux soutiens des syndicats, des élus et de la population, malgré les innombrables aller-retours avec la préfecture du Val-de-Marne, celle-ci n'a accepté de recevoir qu'un dixième des dossiers, dont un tiers seulement a reçu une réponse. Le cadre collectif de la lutte n'est pas reconnu, la cause initiale de la lutte - le refus des employeurs d'attester la concordance malgré des dossiers étayés et des preuves indiscutables - est balayée. Mme la députée rappelle également que si Chronopost n'est qu'un sous-traitant, La Poste est poursuivie dans le cadre de la loi du 27 mars 2017, pour avoir failli à son « devoir de vigilance » des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre. Les ministères de l'intérieur et du travail, tous deux parfaitement informés de la situation, détournent les yeux. À travers La Poste, la responsabilité de l'État et du Gouvernement sont totalement engagées. Comme actionnaire stratégique, l'État contrôle en effet le capital aux côtés de la Caisse des dépôts et consignations et n'ignore rien du système d'exploitation mis en place depuis des années. Mme la députée rappelle que considérer les travailleurs et travailleuses comme une main-d'œuvre corvéable à merci trahit les principes humanistes de la France. L'urgence humanitaire, sociale et démocratique est d'améliorer l'accueil des exilés, de leur permettre de travailler pour subvenir à leurs besoins sans les mettre à la merci d'employeurs peu scrupuleux. Ainsi, elle l'interroge sur le calendrier prévisionnel du ministère afin de mettre un terme à l'inertie inhumaine de la situation actuelle, en permettant notamment le dépôt collectif des demandes de régularisation des grévistes du piquet d'Alfortville et afin d'aboutir à la levée concertée du piquet de grève.

Texte de la réponse

TRAVAILLEURS SANS PAPIERS


Mme la présidente. La parole est à Mme Mathilde Panot, pour exposer sa question, n°  443, relative aux travailleurs sans papiers.

Mme Mathilde Panot. Depuis deux ans, vingt-quatre mois et sept cent trente-cinq jours, les postiers sans papiers tiennent le piquet de grève devant Chronopost, sous-traitant de La Poste, à Alfortville. Depuis deux ans, vingt-quatre mois et cent cinq semaines, ils manifestent trois fois par semaine devant les préfectures du Val-de-Marne, des Hauts-de-Seine et de l'Essonne, mais aussi devant les ministères de l'intérieur et du travail.

Depuis le lancement de la mobilisation, cela représente plus de 300 manifestations. Ce sont les postiers chargés de décharger, trier et recharger des dizaines de milliers de colis dans des entrepôts, au cœur de la nuit ; ceux sans lesquels aucun de ces colis n'arriverait à destination ; ceux qui ont été en première ligne pendant le covid ; ceux que personne ne voit, mais dont tout le monde a besoin.

Que demandent-ils ? Deux choses : la fin de leur surexploitation par les sous-traitants de La Poste – Chronopost, Derichebourg, Start People, Axxis, Atalian, Partnaire et Missions intérim ; la reconnaissance du travail effectué, qui leur donne le droit d'être régularisés. Un titre de séjour, c'est la fin de la peur de la clandestinité, la lueur d'espoir de pouvoir enfin vivre une vie normale après de douloureux parcours d'exil.

Mais les employeurs ne veulent pas : un titre de séjour, ça ne leur apporte rien et il est plus facile de piétiner grossièrement le droit du travail quand les travailleurs sont vulnérables et subissent une précarité absolue. C'est ce qu'ont connu ces postiers sans-papiers et leurs soutiens : des heures non payées ou payées au lance-pierre ; le travail de nuit, loin des transports en commun ; des cadences infernales ; le manque de protections. Ils représentent la quintessence du capitalisme : une main-d'œuvre corvéable à merci.

Les sous-traitants ne leur facilitent pas la tâche et refusent de les reconnaître comme salariés, au-delà de leurs alias. Peu importent les fiches de paie, les badges, les photos dans les entrepôts, les témoignages ou les dossiers savamment constitués et étayés. La Poste a pourtant été condamnée la semaine dernière par le tribunal de grande instance de Paris, notamment pour manquement à son devoir de vigilance envers ses sous-traitants et pour travail dissimulé. Cette condamnation est un petit pas pour la reconnaissance des postiers sans papiers, mais un grand pas pour lutter contre la dilution de la responsabilité des donneurs d'ordres dans les cascades de sous-traitants. Tout cela vous le savez. L'État est actionnaire de La Poste, un groupe à capitaux 100 % publics. Vous êtes responsables.

Grâce à la dématérialisation, à l'absence de moyens donnés aux préfectures et à l'aveuglement résultant de cette obsession identitaire qui nous empoisonne, l'État fabrique des sans-papiers à tour de bras. Vous êtes responsables.

Depuis deux ans, vous refusez de reconnaître cette lutte des postiers pour préserver leur dignité et sortir de la clandestinité. Vous êtes responsables.

Précaires parmi les précaires, les grévistes d'Alfortville s'organisent, résistent et ne baissent pas la tête ; ils se mettent en grève, se battent pour leurs droits et ceux de tous les travailleurs et, surtout, ils tiennent bon.

Madame la ministre déléguée, régularisez les travailleurs sans papiers de Chronopost et tous les travailleurs sans papiers ! Ils travaillent, cotisent, payent leurs impôts et vivent avec nous. Quand cesserez-vous de détourner le regard face à leurs justes et légitimes revendications ? Quand cesserez-vous d'être dans l'illégalité et de participer sciemment à l'exploitation de travailleurs sans papiers ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Le ministre de l'intérieur m'a chargée de vous fournir les éléments suivants, en réponse à votre question. Depuis décembre 2021, le collectif des travailleurs sans papiers de Vitry-sur-Seine a installé un campement aux abords de la société Chronopost à Alfortville, afin d'obtenir la régularisation des personnes en situation irrégulière qui auraient été employées par Chronopost ou ses sous-traitants – la société Derichebourg, dans le Val-de-Marne.

Une délégation a été reçue par la direction générale des étrangers en France du ministère de l'intérieur et des outre-mer à deux reprises : le 9 février et le 13 juillet 2022. Il a été demandé au collectif d'adresser aux préfectures les éléments utiles à l'étude du dossier des personnes employées en situation irrégulière, afin de pouvoir examiner ces demandes au cas par cas, suivant les critères de l'admission exceptionnelle au séjour. Celle-ci peut être appréciée favorablement si l'étranger justifie d'une ancienneté de travail et d'une ancienneté de séjour significatives, ainsi que d'un contrat de travail ou d'une promesse d'embauche. En l'état des textes, l'admission de ces travailleurs au séjour requiert en effet une action positive de l'employeur.

Conformément au principe général régissant les relations entre le public et l'administration, cet examen est individuel et doit être effectué par la préfecture du domicile du demandeur. Les personnes concernées ont donc été invitées à introduire une demande auprès de la préfecture de leur lieu de résidence. À ce jour, trente-deux dossiers de demande de régularisation ont été reçus par la préfecture du Val-de-Marne ; la majorité d'entre eux n'ont aucun lien avec le groupe La Poste.

Au demeurant, la lutte contre l’emploi de ressortissants de pays tiers en situation irrégulière reste une priorité du Gouvernement, qui applique une stratégie globale de lutte contre le travail illégal. À ce titre, et à la demande de la préfecture du Val-de-Marne, l'inspection du travail mène les investigations nécessaires concernant les salariés du site d'Alfortville.

Mme la présidente. La parole est à Mme Mathilde Panot.

Mme Mathilde Panot. Vous savez très bien que c'est un mensonge. Vous savez que La Poste emploie des sans-papiers, car des régularisations ont eu lieu en 2019, et vous laissez faire. Les employeurs sont en conflit avec les travailleurs car ils refusent de leur délivrer les certificats de concordance et les Cerfa.

Madame la ministre déléguée, nous gagnerons cette lutte. L'inhumanité finit toujours par se payer. Rousseau le pensait déjà. Si vous traitez les êtres humains en esclaves, vous perdez vous-mêmes votre liberté. La liberté républicaine tient en deux principes : c'est la liberté de ne pas être dominé et celle de ne pas dominer.