Question orale n° 447 :
Prolifération et régulation de la population des cormorans

16e Législature

Question de : M. Fabrice Brun (Auvergne-Rhône-Alpes - Les Républicains)

M. Fabrice Brun alerte M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires sur les dangers de la prolifération de l'espèce des grands cormorans en France, notamment en Ardèche. Espèce protégée depuis 2009 et en voie de multiplication, le grand cormoran nuit aujourd'hui à la biodiversité et aux populations de poissons présentes notamment dans les cours d'eau vive de l'Ardèche, de la Loire et du Haut-Allier. Ces oiseaux d'origine maritime remontent les cours d'eau et les rivières et s'installent dans les terres, à la recherche de nourriture. Leur consommation, bien supérieure aux autres espèces piscivores traditionnelles, inquiète les différentes fédérations de pêche, qui tirent la sonnette d'alarme. Depuis 1996, un arrêté annuel pris par le ministère de l'environnement permettait de réguler leur population, évitant une prédation trop importante, sans la mettre en danger. Pourtant, l'arrêté du 19 septembre 2022 qui fixe les plafonds départementaux de prélèvement de l'espèce a mis en place l'arrêt des tirs de régulation en Ardèche, permettant une prolifération des cormorans, avec un impact considérable sur la faune piscicole. Aussi, face à cette situation et au vu de la mise en danger de la biodiversité des rivières, M. le député demande à M. le ministre la mise en œuvre de mesures de régulation efficaces visant à mieux équilibrer cette espèce sur le territoire. Il lui demande également s'il va engager une réflexion globale sur les moyens d'équilibrer durablement la population de ces prédateurs.

Réponse en séance, et publiée le 13 décembre 2023

PROLIFÉRATION DES CORMORANS
Mme la présidente. La parole est à M. Fabrice Brun, pour exposer sa question, n°  447, relative la prolifération des cormorans.

M. Fabrice Brun. J'ai déjà mis à profit des séances de questions orales sans débat pour interroger le Gouvernement sur plusieurs sujets, de l'hôpital à la RN102 en passant par la sécurité en zone rurale. Je vous interrogerai ce matin au sujet, très particulier, du cormoran.

Il n'est pas tous les jours facile d'être un alevin ou une truite fario dans les eaux vives de l'Ardèche. D'abord, parce que le parcours pour atteindre la taille de 23 centimètres est semé d'embûches ; ensuite, parce que le risque est grand de finir dans le bec d'un cormoran, cet oiseau piscicole très vorace, dont la multiplication porte atteinte à la biodiversité dans nos lacs et rivières. Il n'y a qu'à constater les dégâts dans l'Ardèche, la Volane ou l'Allier pour s'en convaincre.

Les fédérations de pêcheurs de l'Ardèche et d'ailleurs sonnent l'alerte. Écoutez-les, madame la ministre déléguée : il faut préserver les milieux aquatiques des cormorans qui sont des prédateurs redoutables pour les poissons – ils en tuent et blessent des tonnes. Or l'État ne permet plus de réguler cette espèce gloutonne, les tirs de régulation en eaux libres étant interdits depuis un an.

Le cormoran est un bel oiseau, d'ailleurs protégé depuis l'arrêté du 29 octobre 2009 fixant la liste des oiseaux protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection. Il n'est évidemment pas question de l'éradiquer, mais il faut absolument le réguler et trouver le bon équilibre. Les comptages annuels démontrent d'ailleurs clairement que l'espèce n'est plus menacée, comme le prouve un rapport demandé par le ministère de la transition écologique, dont il ressort que les effectifs de cormorans en bord de lacs et de rivières ont augmenté de 16 % entre 2018 et 2021. Disons-le sans détour : les tirs d'effarouchement sont totalement inefficaces et ne régleront pas le problème.

Nous sommes confrontés à un enjeu écologique majeur, celui de la biodiversité des rivières, mais aussi à un enjeu sportif, puisque la pêche est un loisir pratiqué par 20 000 pêcheurs ardéchois – sur 1,5 million de pêcheurs en France. Ces derniers vous demandent de réguler efficacement le cormoran. Ils sont sensibilisés comme personne au problème de la biodiversité des rivières. Bien qu'elle ne soit pas perceptible depuis la surface, la biodiversité piscicole ne doit pas être malmenée par un oiseau invasif s'aventurant hors de son écosystème habituel.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Le grand cormoran est une espèce autochtone, protégée au niveau européen sur le fondement de la directive relative à la conservation des oiseaux sauvages, dite directive oiseaux. Sa population est à peu près stable depuis 2013, oscillant autour de 100 000 individus. Le droit interne prévoit un système dérogatoire à la protection stricte, afin de mener des opérations de régulation encadrées, dont les conditions sont fixées par l'arrêté-cadre du 26 novembre 2010, complété par un arrêté ministériel pris tous les trois ans – celui en vigueur actuellement porte sur la période 2022-2025. Ce dernier est lui-même décliné en arrêtés départementaux définissant les personnes habilitées, les périodes et les zones de tir autorisées.

L’élaboration de l’arrêté triennal 2022-2025 est intervenue dans un contexte de contentieux, alors que de multiples arrêtés préfectoraux relatifs aux dérogations sur les cours et plans d’eau avaient été attaqués, puis tous annulés par les juges. Ces arrêtés ont été jugés insuffisamment motivés, car ils ne démontraient ni la présence d’espèces de poissons menacées dans les cours d’eau, ni l’impact de la prédation du grand cormoran sur ces espèces, ni le déploiement de solutions alternatives à la destruction.

Aussi, afin de sécuriser les actes juridiques et d’éviter que les futurs arrêtés préfectoraux ne soient à nouveau annulés, il a été décidé de ne pas établir de plafonds pour les cours et plans d'eau dans l'arrêté portant sur la période 2022-2025. Des dérogations ont en revanche été accordées pour protéger les piscicultures dans cinquante-huit départements, avec un plafond annuel de 27 892 individus concernés par la régulation, soit un quart de la population au maximum.

Les craintes et demandes exprimées par les pêcheurs et leurs fédérations sont identifiées. Nous échangeons régulièrement avec eux. Nous devons à présent objectiver l'impact éventuel du cormoran sur la conservation des espèces de poissons protégées ou menacées, en nous appuyant sur des études locales robustes. Si tel est le cas, l’arrêté 2022-2025 pourrait être complété afin de fixer des plafonds pour les cours et plans d'eau concernés.

Un protocole-cadre national a été élaboré avec la Fédération nationale de la pêche en France. Quatre départements pilotes, bénéficiant d'un financement de l’État, ont été retenus pour l'appliquer. Les résultats des premières études sont attendus ces prochains mois.

Mme la présidente. La parole est à M. Fabrice Brun.

M. Fabrice Brun. Merci pour votre réponse. Bien que partielle à ce stade, elle prouve que la régulation du cormoran est désormais prise en compte au plus haut niveau. Je suis évidemment favorable à ce que l'arrêté 2022-2025 soit complété à la lumière des études en cours. Je souhaite que le Gouvernement rectifie le tir au cours de l'année 2024, en régulant la population de cormorans au profit de la biodiversité piscicole. Par ma voix, ce sont les pêcheurs de France qui le demandent !

Données clés

Auteur : M. Fabrice Brun (Auvergne-Rhône-Alpes - Les Républicains)

Type de question : Question orale

Rubrique : Biodiversité

Ministère interrogé : Transition écologique et cohésion des territoires

Ministère répondant : Transition écologique et cohésion des territoires

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 5 décembre 2023

partager