Rétrocession fiscale pour les collectivités locales frontalières
Question de :
Mme Martine Etienne
Meurthe-et-Moselle (3e circonscription) - La France insoumise - Nouvelle Union Populaire écologique et sociale
Mme Martine Etienne alerte Mme la ministre de l'Europe et des affaires étrangères sur la position de la France sur les problématiques frontalières et sur la rétrocession fiscale. En effet, un problème majeur se pose en Moselle et en Meurthe-et-Moselle. De nombreux habitants vivent en France et travaillent au Luxembourg. Ils payent des impôts au Luxembourg, mais en échange, le Grand-Duché ne reverse rien à la France. Ainsi, les collectivités locales frontalières sont désertées par les services publics. Elles n'ont plus les moyens de fonctionner normalement : les transports fonctionnent mal, les écoles sont abandonnées, les hôpitaux sont délabrés. Ce sont plusieurs millions d'euros de manque à gagner pour la France qui se perdent dans un codéveloppement inégalitaire et injuste. Pour comparaison, le Luxembourg reverse chaque année une trentaine de millions d'euros à la Belgique. La France, quant à elle, reverse chaque année, 70 millions d'euros à l'Allemagne, au titre de la compensation fiscale. Dans l'autre sens, le canton de Genève reverse 326 millions de francs suisses à la France. Cet argent dû est directement alloué aux départements frontaliers, ce qui permet de compenser les charges publiques et d'assurer la présence de services publics efficaces pour tous les habitants. Une partie des sommes rétrocédées sont même spécifiquement dédiées aux projets d'intérêt transfrontalier. Alors, pour les collectivités locales et la survie de leurs services publics, elle lui demande quand le Gouvernement va mettre en œuvre la recommandation 438 votée à la quasi-unanimité par le Conseil de l'Europe à Strasbourg le 29 octobre 2019 qui incite les États membres à mettre en œuvre une juste répartition de la fiscalité en zone frontalière, notamment en ce qui concerne la convention entre la France et le Grand Duché du Luxembourg.
Réponse en séance, et publiée le 7 décembre 2022
RÉTROCESSION FISCALE POUR LES COLLECTIVITÉS LOCALES FRONTALIÈRES
Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Etienne, pour exposer sa question, n° 45, relative à la rétrocession fiscale pour les collectivités locales frontalières.
Mme Martine Etienne. Monsieur le ministre délégué chargé de l'industrie, ma question concerne la position de la France sur les problématiques frontalières et sur la rétrocession fiscale. En effet, une difficulté majeure se pose en Moselle et en Meurthe-et-Moselle. De nombreux habitants vivent en France et travaillent au Luxembourg. Ils paient des impôts au Luxembourg, puisqu'ils y travaillent, mais le grand-duché ne reverse rien à la France. Puisque les collectivités locales frontalières ne perçoivent rien, elles se paupérisent et risquent de devenir des cités-dortoirs, désertées par les services publics. Privées de ces précieux revenus, elles n'ont plus les moyens de fonctionner normalement.
Dans ma circonscription et dans les communes frontalières, malgré tout l'effort des collectivités, le manque de financement nuit au bon fonctionnement des transports, à l'investissement dans les écoles et à l'entretien des hôpitaux. Plusieurs millions d'euros de manque à gagner pour la France et les collectivités se perdent dans un codéveloppement inégalitaire et injuste.
En comparaison, le Luxembourg reverse chaque année une trentaine de millions d'euros à la Belgique. Ainsi, c'est possible. La France reverse chaque année 70 millions d'euros à l'Allemagne, au titre de la compensation fiscale. Dans l'autre sens, le canton de Genève reverse à la France 326 millions de francs suisses. Cet argent est directement alloué aux départements frontaliers, ce qui permet de compenser les charges publiques et d'assurer la présence de services publics efficaces pour tous les habitants. Une partie des sommes rétrocédées sont même spécifiquement dédiées aux projets d'intérêt transfrontalier.
Quand le Gouvernement tiendra-t-il ses engagements ? La recommandation 438 votée par le Conseil de l'Europe en 2019 incite les États membres à répartir équitablement la fiscalité en zone frontalière. Il s'agit de l'appliquer, notamment en ce qui concerne la convention entre la France et le grand-duché de Luxembourg.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué chargé de l’industrie.
M. Roland Lescure, ministre délégué chargé de l’industrie. Les problèmes très spécifiques relatifs aux zones frontalières nous préoccupent tout autant que vous. Certaines sont confrontées à un très fort différentiel d'attractivité. Dans le cas de la frontière franco-luxembourgeoise, cela se manifeste notamment par des implantations d'entreprises plus dynamiques au Luxembourg, donc par un affaiblissement du produit fiscal pour les communes du nord lorrain, en même temps que par une augmentation des flux de travailleurs frontaliers et de la demande de transports collectifs.
Cette réalité appelle des réponses spécifiques selon les pays concernés. Il nous revient de chercher à corriger ce déséquilibre, avec détermination, mais aussi avec réalisme et pragmatisme.
S'agissant de la mise en place d'une compensation fiscale, il n'est ni possible ni opportun concernant le Luxembourg de copier le modèle suisse que vous citez. Les compensations fiscales s'inscrivent dans le cadre des conventions fiscales bilatérales conclues avec les États frontaliers. Elles ne visent pas à compenser un déséquilibre économique, mais uniquement à corriger les dispositions d'une convention fiscale qui dérogent aux standards internationaux et de ce fait avantagent budgétairement l'un des deux États.
La convention négociée en 2018 est conforme aux standards internationaux et n'appelle aucune compensation de cette nature. Ceci explique le choix du codéveloppement retenu par les deux États. Dans ce cadre, des projets d'intérêt commun sont financés conjointement par la France et le Luxembourg, dans le cadre de l'accord intergouvernemental de 2010.
Quatre accords ont été signés, dont l'un prévoit notamment 220 millions d’euros pour le transport transfrontalier, financés à parts égales par les deux pays. La Commission intergouvernementale (CIG) pour le renforcement de la coopération transfrontalière, qui assure le suivi de l'accord, a permis d'avancer sur de nouveaux projets, tels que la réorganisation de la desserte en bus et la mise en service de nouveaux parkings relais.
Le dialogue existe ; il convient de le faire vivre. Ce gouvernement s'y est employé, à l'initiative de Clément Beaune, lorsqu'il était ministre délégué chargé de l'Europe, puis de Laurence Boone, qui lui a succédé.
Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Etienne.
Mme Martine Etienne. J'entends votre réponse, monsieur le ministre délégué. Je pense qu'une rétrocession pourrait malgré tout être discutée avec le Luxembourg ; j'en suis même certaine.
S'agissant du codéveloppement, prenons l'exemple des transports : récemment, en raison d'incivilités, le Luxembourg a décidé unilatéralement de supprimer deux lignes de bus, qui transportaient notamment des femmes faisant le ménage dans des bureaux au Luxembourg. Plusieurs centaines de travailleurs précaires sont concernés. Le maire de Mont-Saint-Martin a proposé des solutions pour remédier à ce problème, mais le Luxembourg reste sur ses positions ; c'est dramatique pour ces travailleurs. C'est un exemple parmi d'autres.
Je maintiens que le codéveloppement est inégalitaire. Les communes n'ont pas les moyens de fournir les financements demandés par les appels à projets ; la situation est injuste pour les communes transfrontalières. Permettez-moi d'insister : une rétrocession fiscale peut être discutée avec le Luxembourg, selon différentes formes restant à définir. On peut comparer ce dernier avec la Suisse, non pas sur le fond – les conditions ne sont pas les mêmes –, mais sur la forme.
Auteur : Mme Martine Etienne
Type de question : Question orale
Rubrique : Frontaliers
Ministère interrogé : Europe et affaires étrangères
Ministère répondant : Europe et affaires étrangères
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 29 novembre 2022