Question écrite n° 5048 :
Réponse de la France au comité des Droits de l'Enfant de l'ONU

16e Législature

Question de : Mme Isabelle Santiago
Val-de-Marne (9e circonscription) - Socialistes et apparentés (membre de l’intergroupe NUPES)

Mme Isabelle Santiago interroge Mme la Première ministre sur l'absence de réponse de la France au Comité des droits de l'enfant de l'ONU. Le reportage de Complément d'Enquête du jeudi 19 janvier 2023 intitulé « Victimes de l'Eglise : l'impossible réparation » a créé un émoi dans la société française. Le 6 novembre 2020, le Comité des droits de l'enfant de l'ONU s'est adressé au gouvernement français pour lui demander de lui remettre avant le 30 octobre 2021 un rapport incluant les violences sexuelles du clergé sur des enfants. Cette demande précise ce sur quoi le rapport doit porter. Il doit préciser quelles sont : « les enquêtes, les poursuites et les sanctions dans les cas d'abus sexuels commis par des membres du clergé, y compris des informations sur la prescription ; les réparations, y compris l'indemnisation et la réhabilitation ; et les mesures prises pour protéger les enfants contre les abus sexuels commis par des membres du clergé » Le Comité de l'ONU considère donc de facto que l'État français ne peut pas laisser l'Église être juge et partie dans des affaires qui touchent à l'ordre public et à caractère souvent criminel, à une échelle sans précédent. Le rapport de la CIASE présenté par Jean-Marc Sauvé le 5 octobre 2021 fait état de 330 000 victimes de pédocriminalité entre 1950 et 2020, soit 13 enfants par jour. Ces victimes de violences sexuelles de l'Église sont des citoyennes et des citoyens françaises et français à part entière et la responsabilité du Gouvernement est engagé. Le rapport de la CIASE a caractérisé comme « systémiques » les violences sexuelles commises par des représentants du clergé, ce qui interdit de considérer les nombreuses affaires qui continuent à être révélées comme une collection de déviances individuelles qui devraient être traitées au cas par cas. On ne peut pas considérer l'Église catholique, ni les instances de dédommagement qu'elle a mises en place (INIRR et CRR) comme légitimes pour rendre une justice qui ressortit aux compétences de l'État régalien. On constate que ce sont des initiatives de victimes qui ont conduit à la condamnation initiale du cardinal Philippe Barbarin, acquitté en appel. L'État n'a diligenté aucune enquête sur les violeurs et agresseurs présumés d'enfants victimes de membres du clergé. À ce jour, aucune réponse sur ce point précis - les agressions sexuelles commises par l'Eglise - n'a été donnée dans la réponse de l'État français au Comité des droits de l'enfant. Or la Convention passée entre l'ONU et les États-parties fait obligation à ceux-ci d'apporter une réponse précise et détaillée. À toutes les questions posées, comme cela est clairement formulé dans son article 44. elle demande au Gouvernement si elle envisage de répondre au Comité des droits de l'enfant de l'ONU et donc de rendre public un rapport sur le sujet.

Réponse publiée le 9 mai 2023

La France accorde une attention particulière aux questions de réparations liées aux violences sexuelles du clergé sur des enfants. Dans sa « liste de points établie avant la soumission du sixième rapport périodique de la France » du 8 octobre 2021 en application de la Convention relative aux droits de l'enfant, le Comité des droits de l'enfant sollicitait auprès de la France des informations sur « les enquêtes menées sur les abus sexuels commis par des membres du clergé, les poursuites intentées, et les peines imposées aux auteurs de tels actes, les délais de prescription applicables, les réparations accordées, y compris les indemnisations et les mesures de réadaptation, et les mesures prises pour protéger les enfants contre le risque de subir des abus sexuels de la part de membres du clergé » et sur les « mesures prises pour mettre en place des mécanismes multisectoriels d'intervention et de signalement des cas d'exploitation sexuelle et d'abus sexuels qui soient adaptés aux enfants ». Dans son sixième rapport périodique du 11 juillet 2022, le Gouvernement français a répondu au Comité des droits de l'enfant en indiquant que la commission indépendante relative aux abus sexuels dans l'Eglise (CIASE), chargée de faire « la lumière sur les abus sexuels commis sur mineurs et personnes vulnérables » dans l'Eglise catholique depuis 1950 et des préconisations, avait rendu son rapport le 5 octobre 2021. Elle estime que 216 000 personnes ont été victimes de clercs ou de religieux pendant leur minorité (entre 2 900 et 3 200 auteurs d'infractions sexuelles dans l'Eglise ont été recensés). 42 recommandations relatives à l'écoute des victimes, à la formation des prêtres et des religieux, à une politique de reconnaissance et à la réparation financière des victimes ont été formulées. La responsabilité civile des auteurs et le versement d'une indemnité réparatrice par l'Eglise permettait non seulement de réparer ou de compenser les dommages survenus, mais également de les prévenir, avec le développement d'un devoir de vigilance. En parallèle, les délais de prescription des crimes et délits sexuels imposés à des mineurs avaient été allongés : la loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes fixait ce délai à 30 ans, à compter de la majorité de la victime, pour les crimes violents ou sexuels commis sur un mineur et à 20 ans pour les délits du même type. La dernière modification, apportée par la loi du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste, instaure un mécanisme de « prescription prolongée », pour les faits commis par un même auteur, au préjudice de plusieurs victimes. Ainsi, les faits de viol commis sur un mineur se prescrivent par trente années révolues à compter de la majorité du mineur. Les agressions et atteintes sexuelles imposées à un mineur de 15 ans se prescrivent par vingt années révolues à compter de la majorité de la victime. D'autres délits, comme le mandat pour commettre un viol, les agressions sexuelles, la corruption de mineur, la proposition sexuelle faite par un majeur à un mineur de quinze ans ou à une personne se présentant comme telle en utilisant un moyen de communication électronique, lorsqu'ils sont commis sur un mineur, se prescrivent par dix ans. Le mécanisme de « prescription prolongée » est prévu : - en matière criminelle, pour le viol imposé à un mineur « en cas de commission sur un autre mineur par la même personne, avant l'expiration [du délai de prescription], d'un nouveau viol » ; - en matière délictuelle, pour les agressions ou atteintes sexuelles imposées à un mineur « en cas de commission sur un autre mineur par la même personne, avant l'expiration [du délai de prescription] » Une politique ministérielle volontariste a été engagée par la France pour traiter les infractions sexuelles commises par le clergé sur les mineurs. En février 2021, le ministre de la justice a invité les procureurs de la République à ouvrir une enquête préliminaire en cas de révélation de faits anciens susceptibles, afin de vérifier : - si les faits dénoncés sont prescrits ; - vérifier s'il n'existe pas d'autres victimes pour lesquelles les faits ne seraient pas prescrits. En octobre 2021, l'ensemble des procureurs généraux a été invité à veiller à la signature de protocoles entre les procureurs de la République de leur ressort et les diocèses, afin de favoriser la transmission des signalements au parquet et veiller à une bonne circulation de l'information. Au 6 mars 2023, 128 sur 168 parquets ont signé un protocole avec leur diocèse respectif. La signature de tels protocoles est en cours de finalisation dans dix ressorts de tribunaux judiciaires. A la suite de la publication du rapport de la CIASE, la conférence des évêques de France (CEF) et la conférence des religieux et religieuses de France (CORREF) ont décidé la mise en place de deux commissions indépendantes pour la reconnaissance et la réparation des victimes de violences sexuelles commises au sein de l'Eglise : - l'instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation (INIRR), créée pour une durée de trois ans renouvelable, vise les violences sexuelles commises sur mineur par un membre du clergé exerçant sous la responsabilité d'un évêque ou par un laïc en mission ; - la commission indépendante de reconnaissance et réparation (CRR), créée pour une durée de 18 mois, vise les violences sexuelles commises sur mineurs par des membres d'instituts religieux. Ces commissions mettent en œuvre une justice restaurative. En cas de faits prescrits, les associations d'aide aux victimes peuvent informer les plaignants de leur existence pour qu'ils présentent une demande de reconnaissance et de réparation auprès de l'une d'entre elles.

Données clés

Auteur : Mme Isabelle Santiago

Type de question : Question écrite

Rubrique : Crimes, délits et contraventions

Ministère interrogé : Première ministre

Ministère répondant : Europe et affaires étrangères

Dates :
Question publiée le 31 janvier 2023
Réponse publiée le 9 mai 2023

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