16ème législature

Question N° 525
de M. Jérôme Guedj (Socialistes et apparentés - Essonne )
Question orale sans débat
Ministère interrogé > Transition écologique et cohésion des territoires
Ministère attributaire > Transition écologique et cohésion des territoires

Rubrique > environnement

Titre > Installation des data centers en France

Question publiée au JO le : 23/01/2024
Réponse publiée au JO le : 31/01/2024 page : 562

Texte de la question

M. Jérôme Guedj attire l'attention de M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires sur la régulation de l'installation des data centers en France. Dans sa circonscription, à Wissous, dans l'Essonne, la société américaine Cyrus One a établi, depuis plusieurs années, un projet de data center pour le compte d'Amazon. D'une superficie totale de 53 000 m2, il devrait disposer, à l'arrivée du projet, d'une puissance d'un peu moins de 100 Mégawatts (MW), soit une consommation électrique correspondant environ à 8 fois celle d'une commune de la taille de Wissous. Le découpage du projet en plusieurs phases de déclaration a permis l'installation du data center, au mépris de l'esprit du code de l'environnement et du plan local d'urbanisme (PLU) en vigueur. En effet, chacune des trois phases présentées se situant en dessous d'une puissance de 50 MW, elles ne sont respectivement soumises qu'au régime de « l'enregistrement » des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), alors même que le projet total, au vu de sa puissance, devrait être soumis au régime « d'autorisation » des ICPE. Car les prévisions écologiques pour le territoire qui accueille ce data center sont aussi diverses que graves : premièrement, l'ensemble de la chaleur fatale sera, à ce jour, rejetée dans la nature, créant de facto un îlot de chaleur, local et artificiel. Contrairement au data center d'Equinix à Saint-Denis, qui valorise notamment sa chaleur fatale en chauffant une piscine, des commerces et des logements, celui de Wissous ne prévoit, à ce stade, aucune disposition et rejettera donc simplement toute la chaleur dehors, avec toutes les conséquences que cela a pour la biodiversité locale et les habitations à proximité. Par ailleurs, les groupes électrogènes de secours, prévus pour pallier les coupures de courant ou temps d'indisponibilité, prévoient un stockage enterré de 400 mètres cubes de fuel et devraient, à eux seuls, consommer plus d'une centaine de tonnes de fuel par an rien que pour tester leur bon fonctionnement, soit l'équivalent, sur un an, d'environ 1,6 million de km effectués en voiture. Un mouvement local d'opposition au projet s'est structuré à Wissous, mais ce cas, issu de sa circonscription, interroge M. le député sur la régulation de l'installation des data centers au niveau national. À date, l'article 28 de la loi du 15 novembre 2021 visant à réduire l'empreinte environnementale du numérique en France a, théoriquement, introduit une obligation de valorisation de la chaleur fatale : « Le centre de stockage de données numériques valorise la chaleur fatale, notamment à travers un réseau de chaleur ou de froid, ou respecte un indicateur chiffré déterminé par décret sur un horizon pluriannuel en matière d'efficacité dans l'utilisation de la puissance ». À ce jour, la non publication du décret en question vide ce texte de sa force normative, puisqu'un vide juridique est entretenu ici. La législation en vigueur, en absence de décret d'application ambitieux, ne suffit donc pas à forcer les maîtres d'œuvre, des entreprises privées à la recherche de la plus grande rentabilité financière de leur projet, à satisfaire aux exigences écologiques de l'installation de ce type d'infrastructures, comme en atteste le cas de Wissous. Dans ce contexte, il aimerait connaître le délai de publication du décret en question, ainsi que la stratégie du Gouvernement en matière de régulation de l'installation des data centers, dans le but de réellement prendre en compte les exigences écologiques et écosystémiques dans l'aménagement de tels projets.

Texte de la réponse

CENTRES DE DONNÉES EN FRANCE


M. le président. La parole est à M. Jérôme Guedj, pour exposer sa question, n°  525, relative aux centres de données en France.

M. Jérôme Guedj. Je souhaite vous interroger sur la régulation de l'installation des centres de données en France et le décalage entre cette intention, louable, et les conséquences de ces installations.

Dans ma circonscription, à Wissous dans l'Essonne, la société américaine Cyrus One a développé depuis plusieurs années un projet de centre de données pour le compte d'Amazon. D'une superficie totale de 53 000 mètres carrés, il devrait à terme avoir besoin d'environ 100 mégawatts (MW), soit une consommation électrique équivalente à huit fois celle d'une commune de la taille de Wissous.

Le découpage du projet en plusieurs phases a permis l'installation du centre de données, au mépris de l'esprit – et peut-être de la lettre – du code de l'environnement et du plan local d'urbanisme (PLU) en vigueur. En effet, chacune des trois phases étant inférieure à 50 MW, elles ne sont soumises qu'au régime de l'enregistrement des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), alors qu'au vu de sa puissance globale, le projet aurait dû être soumis au régime d'autorisation des ICPE.

Les conséquences écologiques pour le territoire qui accueille ce centre de données sont préoccupantes : la chaleur fatale sera rejetée dans la nature, créant de facto un îlot de chaleur, local et artificiel. Or cette chaleur pourrait être recyclée : ainsi, le centre de données d'Equinix à Saint-Denis valorise sa chaleur fatale en chauffant une piscine, des commerces et des logements. L'étude d'impact de celui de Wissous ne prévoit aucun dispositif de ce type et rejettera donc simplement sa chaleur dans l'environnement, ce qui aura en outre des conséquences pour la biodiversité.

Par ailleurs, les groupes électrogènes de secours, prévus pour remédier aux coupures électriques ou aux temps d'indisponibilité, nécessitent un stockage enterré de 400 mètres cubes de fuel ; le test de leur bon fonctionnement devrait, à lui seul, consommer plus d'une centaine de tonnes de fuel par an.

Un mouvement local d'opposition au projet s'est structuré à Wissous. Cet exemple, dans ma circonscription, m'amène à m'interroger sur l'application de la loi. L'article 28 de la loi du 15 novembre 2021 visant à réduire l'empreinte environnementale du numérique en France a, théoriquement, introduit une obligation de valorisation de la chaleur fatale : « Le centre de stockage de données numériques valorise la chaleur fatale […] ou respecte un indicateur chiffré déterminé par décret sur un horizon pluriannuel en matière d'efficacité dans l'utilisation de la puissance. »

Or, à ce jour, le décret n'a pas été publié, ce qui vide la disposition de sa force normative et entretient un vide juridique dont jouent les maîtres d'œuvre et les entreprises privées. Dans quel délai ce décret sera-t-il publié ? Quelle est la stratégie du Gouvernement en matière de régulation de l'installation des centres de données ? Ces derniers doivent impérativement prendre en compte les exigences environnementales légales dans l'aménagement de leurs projets.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement.

Mme Prisca Thevenot, ministre déléguée chargée du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement. Je vous prie de bien vouloir excuser l'absence de M. Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, qui m'a chargée de vous répondre. Le numérique est responsable de l'émission de près de 17 millions de tonnes équivalent CO2, soit 2,5 % de l'empreinte carbone de la France, et de 10 % de sa consommation électrique. Les activités des centres de données représentent jusqu'à 20 % des impacts environnementaux du numérique. Néanmoins, la gestion des données informatiques constitue aussi un enjeu de souveraineté, qu'il faut concilier avec nos objectifs environnementaux.

La procédure d'enregistrement du centre de données opéré par la société Cyrus One et implanté à Wissous a été instruite par les experts de la direction régionale et interdépartementale de l’environnement, de l’aménagement et des transports. Le rapport de la Drieat répond, point par point, aux appréhensions soulevées.

La récupération de la chaleur fatale n'a pas été mise en œuvre en raison de l'absence de débouchés suffisamment proches du site à l'époque de la procédure d'enregistrement. Toutefois, ces débouchés seront périodiquement réévalués.

La loi du 15 novembre 2021 comporte plusieurs dispositions concernant les centres de données : prise en compte du potentiel de récupération de chaleur fatale dans les stratégies territoriales ; définition par décret de critères d'efficacité énergétique et d'utilisation de l'eau pour bénéficier du taux réduit de taxe sur la consommation finale d'électricité (TCFE).

Aucun cadre ou référentiel n'existait : il a fallu mener un travail technique de collecte d'informations et de concertation pour aboutir à un texte techniquement applicable. Le décret est en cours de finalisation et fera l'objet de consultations dans les mois à venir. L'objectif est de le publier d'ici à l'été.

M. le président. La parole est à M. Jérôme Guedj.

M. Jérôme Guedj. Je suis heureux d'apprendre qu'en l'espèce, les possibilités de récupération de la chaleur fatale seront périodiquement réévaluées mais, à ce stade, rien de tel ne figure dans le projet soumis par l'opérateur. Puisque vous portez la parole de l'État, j'insiste sur un point : il faut qu'elle soit cohérente avec celle de son représentant local, le préfet.

Mme Prisca Thevenot, ministre déléguée. Oui.

M. Jérôme Guedj. Celui-ci doit être aidant et contraindre l'opérateur à prévoir la récupération de la chaleur fatale. On peut avoir le sentiment que ce n'est pas tout à fait le cas quand il défère les arrêtés municipaux refusant la délivrance du permis de construire devant le tribunal administratif.

M. le président. Les deux députés suivants n'étant pas présents, nous passons à la question no 507.