Renouvellement des concessions hydoélectriques ; un enjeu de souveraineté !
Question de :
M. Stéphane Mazars
Aveyron (1re circonscription) - Renaissance
M. Stéphane Mazars appelle l'attention de Mme la ministre de la transition énergétique sur le renouvellement des concessions hydroélectriques de la vallée du Lot-Truyère. En effet, en France, l'énergie hydraulique, après le nucléaire, est la deuxième source de production d'électricité et la première directement issue d'énergies renouvelables et ce, grâce à son parc de plus de 2 300 installations. Ces performances permettent de hisser le pays sur le podium européen des parcs hydrauliques. Dans la vallée du Lot et de la Truyère, soit sur cinq départements, on ne dénombre aujourd'hui pas moins de 20 barrages hydrauliques exploités par EDF. L'ensemble des aménagements hydrauliques de la vallée alimentent chaque année plus de 900 000 habitants. La centrale hydraulique de Montézic en Aveyron (deuxième département en matière d'énergie hydraulique) est également la 2e plus puissante de France avec une production de 460 mégawatts par minute, soit l'équivalent de la production d'un réacteur nucléaire. L'État est propriétaire des ouvrages qu'il a concédé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, pour une durée de 75 ans. Nombreuses sont celles qui sont d'ores et déjà échues, mais qui continuent de bénéficier du régime précaire dit de « délais glissants », leur permettant d'être prorogées aux conditions antérieures. Depuis 2015, la Commission européenne enjoint régulièrement la France de régulariser l'exécution de ses marchés publics dans le secteur de l'énergie hydraulique, de façon à ce qu'ils soient attribués et renouvelés dans le strict respect du droit de l'Union européenne ; autrement dit, que ces marchés répondent à la double règle de publicité et de mise en concurrence dans le cadre communautaire. À ce jour, un très grand nombre de concessions hydroélectriques que compte la France sont arrivées à échéance ; dès lors, les dispositions actuellement en vigueur encadrant l'octroi de ces concessions sont appelées à s'appliquer et risquent donc de se voir transférer à des opérateurs étrangers. Les barrages de la vallée du Lot-Truyère n'échappent pas à cette échéance et ce, alors même que la chaîne hydraulique présente des intérêts hautement stratégiques pour le pays et sa souveraineté : ce complexe représente 20 % du parc hydraulique français ! Par ailleurs, la gestion actuelle du groupe EDF s'effectue en cohérence entre les différents départements, dans un souci d'une exploitation apaisée, coordonnée et à l'abri de tout conflit d'usage. Cette gestion assure aujourd'hui aux riverains et aux touristes un accès aménagé et sécurisé qui fait l'attrait et le dynamisme de la région. En 2018, EDF Hydro (branche hydraulique de l'entreprise) avait en outre annoncé un investissement de près d'un milliard d'euros pour conserver la ligne de barrages et en augmenter la production d'électricité, projet actuellement en suspens à défaut de visibilité. Comment, dès lors, imaginer que les concessions de ces infrastructures, indispensables à la préservation de la souveraineté énergétique française (notion inscrite depuis la loi « Climat et Résilience » dans le code de l’énergie) pourraient passer dans le giron d'opérateurs étrangers, à l'heure où le contexte géopolitique que l'on traverse oblige à l'affirmation de l'indépendance de la France ? L'offre publique d'achat qui permettra à l'État de détenir à nouveau 100 % du capital d'EDF (contre 84 %) doit être une première étape pour lui assurer la poursuite de son exploitation des barrages hydroélectriques sur le Lot et la Truyère, d'y réaliser enfin les investissements projetés et partant, de garantir à tous une politique énergétique souveraine et durable. Il lui demande si elle peut lui assurer que cela constitue bien de la part du Gouvernement une première étape dans une stratégie globale d'engagement en faveur de la souveraineté énergétique et de la transition écologique de la France.
Réponse en séance, et publiée le 7 décembre 2022
CONCESSIONS HYDROÉLECTRIQUES
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Mazars, pour exposer sa question, n° 53, relative aux concessions hydroélectriques.
M. Stéphane Mazars. L'énergie hydraulique représente la deuxième source de production d'électricité et la première issue d'énergies renouvelables, grâce à un parc de plus de 3 300 installations, qui nous hisse sur le podium européen des parcs hydrauliques.
La vallée du Lot et de la Truyère traverse cinq départements et compte vingt barrages exploités par EDF Hydro, qui alimentent chaque année pas moins de 900 000 habitants. C'est d'ailleurs dans cette vallée, à Montézic, en Aveyron, que l'on trouve la deuxième centrale la plus puissante de France, avec une production de 460 mégawatts par minute, soit l'équivalent de la production d'un réacteur nucléaire.
Comme vous le savez, l'État est propriétaire des ouvrages, qu'il a concédés au lendemain de la seconde guerre mondiale pour une durée de soixante-quinze ans. De nombreuses concessions sont déjà échues, mais continuent à bénéficier du régime précaire, dit de délais glissants, ce qui leur permet d'être prorogées aux conditions antérieures. Pourtant, depuis 2015, la Commission européenne somme la France de régulariser l'exécution des marchés publics dans le secteur de l'énergie hydraulique, afin qu'ils soient attribués et renouvelés dans le strict respect du droit de l'Union européenne et de la double exigence de publicité et de mise en concurrence.
Nos concessions arrivaient à échéance. Cette double exigence est amenée à s'appliquer et risque donc de transférer l'exploitation de ces grands barrages à des opérateurs étrangers. En 2018, EDF Hydro avait annoncé un plan d'investissement de près de 1 milliard d'euros pour conserver la ligne de barrages et pour augmenter la production d'électricité. À défaut de visibilité, ce projet est actuellement en suspens.
Monsieur le ministre délégué, pouvez-vous nous assurer que l'offre publique d'achat, grâce à laquelle l'État doit de nouveau détenir 100 % du capital d'EDF, permettra de garantir la poursuite de l'exploitation des barrages de la vallée du Lot et de la Truyère par l'opérateur historique et, partant, la réalisation des investissements prévus ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué chargé de l’industrie.
M. Roland Lescure, ministre délégué chargé de l’industrie. D'abord, je vous prie d'excuser Agnès Pannier-Runacher, la ministre de la transition énergétique, qui a été retenue et qui m'a donc chargé de répondre à votre question, très importante.
Le Gouvernement porte une attention particulière à l'énergie hydroélectrique et à son développement. La France compte plus de 2 600 installations représentant 26 gigawatts (GW) – dont près de 2,3 sont produits dans votre beau département de l'Aveyron – de puissance installée.
Cette énergie renouvelable et pilotable est essentielle à l'atteinte de nos objectifs climatiques et à la sécurité d'approvisionnement des Français, ainsi qu'à la bonne gestion de la ressource en eau. En 2021, l'hydroélectricité a couvert un peu plus de 12 % de la consommation électrique totale et a représenté la moitié de la production électrique renouvelable.
Vous l'avez dit, la Commission européenne a engagé un précontentieux contre la France, en raison du renouvellement, sans mise en concurrence, des concessions hydroélectriques échues. Une telle situation nuit aux investissements dans le secteur et est source d'incertitude pour les entreprises, pour les agents, pour la population et pour les élus. Dans ce contexte, le Gouvernement explore plusieurs scénarios pour le renouvellement des concessions et sera particulièrement attentif à ce que la solution retenue permette la pérennisation et le développement du parc hydraulique français ainsi que des emplois qui y sont liés – c'est important.
À très court terme, l'article 16 quinquies du projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables, que vous examinez, prévoit que les investissements permettant d'assurer la pérennité d'un ouvrage hydroélectrique dont la concession est échue puissent être réalisés.
Le secteur hydraulique contribue fortement à l'économie locale, grâce aux emplois créés dans les vallées du Lot et de la Truyère, mais également dans celles de la Dordogne ou des Pyrénées, parfois éloignées des grandes métropoles. Quelle que soit la solution retenue pour la gestion des concessions, le Gouvernement sera très attentif au potentiel énergétique, technique et humain des sociétés hydroélectriques et à leur ancrage territorial.
Enfin, vous l'avez dit, la nationalisation en cours d'EDF et la nomination récente de son nouveau PDG donneront l'occasion de définir un ensemble d'actions et de stratégies dans tous les domaines d'activité de l'entreprise : production nucléaire à partir du parc existant et de la construction de nouveaux réacteurs ; développement des énergies renouvelables, y compris de l'hydroélectricité ; investissements dans les réseaux, les moyens de flexibilité, le soutien à l'efficacité énergétique et à la mobilité électrique, au service de nos objectifs de transition énergétique, de compétitivité économique, de justice sociale, et d'équilibre des territoires, auquel vous êtes sensible.
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Mazars.
M. Stéphane Mazars. Merci, monsieur le ministre délégué, pour votre réponse. Je mesure, bien entendu, l'attention que le Gouvernement porte à ce sujet emblématique, qui relève du domaine des énergies renouvelables et soulève, en cette période, la question de la gestion des usages en amont et en aval. En effet, dans les vallées du Lot et de la Truyère, les multiples activités – tourisme, agriculture et production d'hydroélectricité – doivent pouvoir s’exercer dans un cadre serein et apaisé. En l'espèce, EDF a montré qu'elle était effectivement à la hauteur des enjeux.
Il s'agit également d'un enjeu politique, puisque nous n'avons jamais autant parlé de souveraineté énergétique. Nos concitoyens ne pourraient admettre qu'un opérateur étranger exploite les barrages hydroélectriques du nord du département de l'Aveyron et gère les usages en amont et en aval. Du reste, je vous invite, ainsi que la ministre de la transition énergétique, à venir dans notre département pour vous rendre compte de l'intérêt de cet équipement.
Auteur : M. Stéphane Mazars
Type de question : Question orale
Rubrique : Énergie et carburants
Ministère interrogé : Transition énergétique
Ministère répondant : Transition énergétique
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 29 novembre 2022