16ème législature

Question N° 5416
de Mme Sarah Legrain (La France insoumise - Nouvelle Union Populaire écologique et sociale - Paris )
Question écrite
Ministère interrogé > Intérieur et outre-mer
Ministère attributaire > Intérieur et outre-mer

Rubrique > aide aux victimes

Titre > Tentative de féminicide et refus de plainte

Question publiée au JO le : 14/02/2023 page : 1330
Réponse publiée au JO le : 22/08/2023 page : 7659

Texte de la question

Mme Sarah Legrain attire l'attention de M. le ministre de l'intérieur et des outre-mer sur la tentative de féminicide commise par Marvin J. le 13 décembre 2022 sur son ex-compagne Chloé, à Blois (Loir-et-Cher). L'IGPN a été saisie car, une heure avant l'agression, le commissariat de Blois a refusé de prendre la plainte de la jeune femme. Depuis, celle-ci a été placée dans le coma à l'hôpital de Tours et souffre de « lésions hémorragiques cérébrales majeures ». Ce drame aurait pourtant pu être évité. Non seulement le commissariat a refusé de prendre la plainte pour harcèlement et strangulations. Le Parisien du 26 janvier 2023 révèle que le major de police qui avait reçu la jeune femme le 13 décembre 2022 lui avait demandé de revenir le lendemain. Son excuse : il ne pouvait rien faire en l'absence de traces de coups et se trouvait débordé car une autre personne attendait devant Chloé dans la salle d'attente pour porter plainte pour vol. En réalité, il n'y avait pas d'affluence particulière ce jour-là au commissariat, comme l'agent le reconnaîtra lui-même devant l'IGPN. L'enquête interne a établi que ce major, qui ne terminait son service qu'une heure plus tard, a pour habitude de renvoyer toute personne se présentant à partir de 17 heures. Chloé est sortie du commissariat au bout de trois minutes. Dix auraient suffi pour vérifier les antécédents de l'agresseur qui avait quatorze lignes à son casier judiciaire, dont une condamnation pour violences conjugales. Cette succession de manquements aux conséquences dramatiques n'a malheureusement rien d'exceptionnel. Il semble en effet que la police reste l'un des bastions de la domination masculine : les femmes victimes n'y sont pas prises au sérieux, voire y subissent la « double peine » d'un accueil sexiste et discriminatoire, comme l'ont montré de nombreux témoignages. Selon l'Observatoire national des violences faites aux femmes, 18 % des femmes victimes de violences physiques ou sexuelles déclarent avoir déposé une plainte en gendarmerie ou en commissariat de police suite à ces violences. Et quand bien même elles y parviennent, 70 % des affaires sont classées sans suite. Enfin, Mme la députée tient à le rappeler, une femme meurt sous les coups de son conjoint ou ex-conjoint tous les trois jours, dans un pays où 23 % des hommes entre 25 et 34 ans considèrent qu'il faut être violent pour se faire respecter (baromètre « sexisme » 2023). Comment M. le ministre explique-t-il ce qu'a subi Chloé, alors même que la lutte contre les violences faites aux femmes est censée être la « grande cause » du Président Macron ? Quelles mesures met-il en œuvre, quels moyens, quels contrôles, afin qu'une telle situation ne puisse plus se reproduire ? Mme la députée demande à M. le ministre quand il se décidera à former correctement les agents de police, à améliorer le processus de dépôt de plainte, à instaurer des ordonnances de protection sans plainte préalable, à développer massivement l'hébergement d'urgence, à lutter contre la récidive des auteurs de violences. Au lieu de revoir à la baisse les objectifs du 3919, elle souhaite savoir s'il mettra enfin les 2 milliards d'euros que demandent les associations féministes pour lutter contre les violences patriarcales.

Texte de la réponse

Le 13 décembre 2022, une femme était victime d'une très violente agression par son ex-compagnon, à Blois (Loir-et-Cher). Une enquête judiciaire était immédiatement diligentée et l'auteur présumé était interpellé dès le 15 décembre par la police judiciaire. L'autorité judiciaire décidait son placement en détention provisoire. Parallèlement à l'enquête judiciaire, une enquête administrative pré-disicplinaire était ouverte dès le 15 décembre par l'Inspection générale de la police nationale pour plusieurs manquements possibles du fonctionnaire qui avait reçu la victime au commissariat de Blois. L'intéressée s'était en effet présentée au commissariat peu avant les faits, mais avait été invitée à revenir le lendemain, avec des éléments matérialisant le harcèlement, pour son dépôt de plainte. Le jour des faits, l'intéressée avait également sollicité l'intervention d'une patrouille de la police municipale de passage à proximité de son domicile. Cette situation dramatique a conduit à une réaction rapide et ferme de l'administration, qui a établi plusieurs manquements imputables au fonctionnaire qui avait reçu la victime. Au terme de la procédure disciplinaire qui a été engagée, la sanction la plus appropriée sera prononcée à son encontre. La terrible agression survenue à Blois ne saurait emporter une remise en cause de la qualité de l'accueil dans l'ensemble des commissariats de France ou la bonne prise en compte des plaintes des femmes victimes. Les dispositifs d'accueil des victimes - notamment de violences intrafamiliales et sexuelles - existant de longue date dans les services de la police et de la gendarmerie nationales ont encore été professionnalisés et renforcés depuis 2017. Il convient également de rappeler la judiciarisation systématique des faits, avec l'interdiction du recours à la main courante. Le « Grenelle de la lutte contre les violences conjugales » de l'automne 2019 s'est traduit par de nombreuses avancées, notamment dans la chaîne de traitement des violences conjugales (police, gendarmerie, justice) et les outils de protection des victimes. Une doctrine relative à l'accueil et la prise en charge des victimes de violences conjugales par les services de police et de gendarmerie, régulièrement mise à jour, détaille l'ensemble des mesures à appliquer. D'importantes actions ont été mises en œuvre : utilisation d'une grille d'évaluation du danger (élaborée en lien avec la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains), prise de plainte en milieu hospitalier, plainte en mobilité, audits des Inspections générales de la police et de la gendarmerie nationales sur l'accueil et l'orientation des victimes de violences conjugales, etc. L'accent a aussi été mis sur la formation. Pour ce qui concerne la police nationale, plus de 82 000 policiers ont été formés depuis le « Grenelle des violences conjugales » (données au 31 mai 2023), tant en formation initiale qu'en formation continue et en formation à distance. Par ailleurs, depuis avril 2022, la plate-forme numérique de signalement des atteintes aux personnes et d'accompagnement des victimes, dispositif commun à la police et à la gendarmerie nationales, accessible notamment via l'application « Ma Sécurité », offre à toute victime ou témoin, notamment de violences conjugales, un accueil personnalisé, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, pour être informé de ses droits et guidé dans ses démarches.  La police nationale, comme la gendarmerie nationale, est en outre dotée de personnels spécialisés. La Direction générale de la police nationale s'appuie ainsi sur 148 groupes de protection de la famille, 1 680 enquêteurs spécialisés et 626 référents violences intrafamiliales, ainsi que sur plus de 700 correspondants aide aux victimes et près de 500 référents accueil. Des permanences ou points d'accueil d'associations d'aide aux victimes sont installés dans les brigades de gendarmerie (près de 500 sur le territoire national) et les commissariats de police (152 en zone de compétence de la Direction générale de la police nationale). Les forces de sécurité intérieure de l'État travaillent en outre avec les associations. À titre d'exemple, le ministère de l'Intérieur et des Outre-mer et le ministère de la Justice ont signé, le 22 mai 2023, une nouvelle convention avec le collectif Re#Start de la Maison des femmes de Saint-Denis, pour organiser des permanences d'accueil et de prise de plaintes de femmes victimes. Les forces de l'ordre travaillent également en lien avec des professionnels spécialisés : les intervenants sociaux en commissariat et en gendarmerie (192 intervenants sociaux en commissariat, 181 intervenants sociaux en gendarmerie et 79 intervenants sociaux mutualisés police-gendarmerie - données avril 2023). Ils permettent d'offrir de meilleures conditions d'accueil des femmes victimes de violences mais aussi de construire des liens privilégiés avec les associations spécialisées. Doit aussi être rappelée la présence de plus de 80 psychologues en commissariat. La loi du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'Intérieur (LOPMI) renforce les moyens de lutte contre les violences intrafamiliales. Les victimes de violences sexuelles et intrafamiliales sont, en particulier, au cœur de la refonte du « parcours victime », avec un effort sans précédent pour mieux accueillir et accompagner les victimes. Le nombre d'enquêteurs dédiés à la lutte contre les violences intrafamiliales dans les unités spécialisées sera doublé au cours des 5 années à venir, pour passer à 4 000. Un financement pérenne sera prévu pour 200 postes d'intervenants sociaux supplémentaires en police et en gendarmerie (passant de 400 à 600). Un fichier de prévention des violences intrafamiliales est également en cours de création afin d'empêcher la réitération de faits de violences, de prendre en compte les signaux de dangerosité et de sécuriser les interventions des policiers et gendarmes. S'agissant des questions relatives aux « ordonnances de protection » et à l'« hébergement d'urgence », elles ne relèvent pas des compétences des forces de sécurité intérieure de l'État.