Question orale n°549 : Inquiétude face à la nouvelle vague de location-gérance chez Carrefour

16ème Législature

Question de : M. Benjamin Saint-Huile (Hauts-de-France - Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires)

M. Benjamin Saint-Huile alerte M. le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique sur l'annonce de Carrefour de céder de nouveaux hypermarchés et supermarchés Market à ses repreneurs, faisant passer ces établissements en location gérance en 2024. Cette cession, qui permet au propriétaire de fonds de commerce de concéder à un locataire-gérant le droit d'exploiter librement ce fonds, concernera près de 4 000 salariés, qui perdront leurs accords d'entreprise et deux mois de rémunération en moyenne. Depuis 2017, ce sont plus de 300 magasins qui ont été cédés à des repreneurs et ainsi 23 000 salariés sortis des effectifs. Dans le département du Nord, 37 magasins ont ainsi été mis en location gérance en 2023 et repris, pour un certain nombre, par des anciens directeurs de magasin Carrefour. Cette stratégie, pouvant déguiser des plans de restructuration visant à réduire les frais de personnel et éviter les accords d'entreprise, inquiète les représentants de salariés. Les possibles menaces sont nombreuses sur le pouvoir d'achat et sur la qualité des conditions de travail : augmentation du délai de carence pour les arrêts maladie (de 3 jours à 7 jours), suppression des journées rémunérées accordées aux enfants malades (entre 6 et 9 jours selon le nombre d'enfants dans la convention collective Carrefour Hyper), disparition des primes d'intéressement et de participation, remise en cause des règles d'attribution des tickets restaurants, disparition de la 6e semaine de repos supplémentaire dans les hypermarchés, augmentation des burn-out chez les cadres de magasin. Cette gestion apparaît d'autant plus inacceptable et injuste que le groupe Carrefour a dans le même temps, en 2023, racheté 2 milliards d'euros de ses propres actions pour soutenir son cours de bourse, au détriment de l'investissement dans ses magasins. Alors que la crise énergétique et inflationniste continue de toucher durement les concitoyens, l'accélération des passages de location-gérance est inquiétante et constitue un danger pour le pouvoir d'achat des salariés Carrefour. C'est pourquoi il souhaite l'interroger sur ce que le Gouvernement entend mettre en œuvre afin d'encadrer ces pratiques et de protéger les salariés des répercussions économiques et sociales.

Réponse en séance, et publiée le 14 février 2024

LOCATION-GÉRANCE CHEZ CARREFOUR
Mme la présidente. La parole est à M. Benjamin Saint-Huile, pour exposer sa question, n°  549, relative à la location-gérance chez Carrefour.

M. Benjamin Saint-Huile. Je souhaite interroger le Gouvernement sur les pratiques du groupe Carrefour. Je serais tenté de revenir sur le niveau de rémunération de M. Alexandre Bompard : l'ambiance n'était pas à la réévaluation de son salaire, mais c'est, malheureusement, chose faite. Je serais également tenté de revenir sur la stratégie liée à la recapitalisation du groupe. Néanmoins, je vais plutôt évoquer le pouvoir d'achat des salariés de Carrefour, puisque vous menez – je crois pouvoir dire : nous menons ensemble – un combat en faveur du pouvoir d'achat des Français.

Depuis 2017, le groupe Carrefour a recours au montage de location-gérance, système qui lui permet de se libérer d'un certain nombre de ses collaborateurs. De la sorte, les salariés du groupe Carrefour deviennent les salariés d'une personne qui porte l'identité du groupe mais n'est plus Carrefour. Ils perdent alors l'ensemble des avantages conventionnels. Cela concerne déjà 23 000 salariés et concernera, en 2024, 4 000 salariés supplémentaires travaillant dans trente-sept magasins, notamment à Jeumont, à Maubeuge et à Fourmies, dans ma circonscription. Les salariés s'interrogent légitimement sur la perte des primes d'intéressement, l'augmentation des frais de mutuelle ou la remise en cause des titres-restaurant.

Je m'adresse donc à la ministre déléguée que vous êtes, madame Grégoire : n'y a-t-il pas une forme de contradiction ? On se bat pour préserver le pouvoir d'achat, en discutant avec les distributeurs, notamment avec M. Bompard, mais en même temps, le groupe Carrefour se déleste d'un certain nombre de salariés, ce qui a un impact sur leur pouvoir d'achat. Si on additionne tous les avantages perdus, cela représente près de deux mois de salaire. Trouvez-vous cela normal ? Trouvez-vous cela moral ? Considérez-vous, oui ou non, qu'il faut réguler ces pratiques, de sorte que la situation des salariés ne se dégrade pas davantage ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des entreprises, du tourisme et de la consommation.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des entreprises, du tourisme et de la consommation. Je ne sais pas si une ministre doit donner son point de vue moral, mais je suis certaine que nous sommes, vous et moi, attentifs à ce qui est en train de se passer et préoccupés. Je vais vous apporter un certain nombre de réponses ; vous comprendrez que je ne puisse pas en dire davantage à ce stade. Compte tenu du contexte, je suggère d'ores et déjà que nous poursuivions dans les prochaines semaines notre échange sur ce sujet important, qui mobilise l'attention de Bruno Le Maire et la mienne.

Vous l'avez bien expliqué, Carrefour a annoncé son intention de céder de nouveaux hypermarchés et supermarchés Market en faisant passer ces établissements, détenus en propre, en location-gérance. En votre qualité de député, vous dénoncez cette stratégie, susceptible d'être assimilée à un ensemble de plans de restructuration visant soit à réduire les frais de personnel, soit à éviter les retombées, favorables aux salariés, des accords d'entreprise. Vous avez notamment mentionné la participation ; je vous confirme que le partage de la valeur est une de mes priorités. L'accélération du passage en location-gérance des magasins sous enseigne Carrefour vous inquiète, de même qu'elle inquiète les salariés du groupe.

Je vous informe que la situation des franchisés Carrefour est bien identifiée et suivie de près par le Gouvernement. Vous le savez, le schéma d’organisation des relations contractuelles au moyen de franchises se développe à vitesse grand V au sein du groupe Carrefour, qu’il s’agisse de location-gérance ou de franchise participative.

Bruno Le Maire et moi-même avons reçu, par l’intermédiaire de plusieurs parlementaires, des signalements très clairs de franchisés à propos des contrats qui les lient avec le groupe Carrefour et des modalités de ces contrats. Le 26 décembre 2023, l'Association des franchisés Carrefour (AFC), qui regroupe à ce jour une centaine de franchisés, a assigné le groupe Carrefour en justice, devant le tribunal de commerce de Rennes, après avoir mis le groupe en demeure, sans succès, de retirer les clauses litigieuses.

Le Gouvernement est très attentif à ce dossier. Il veillera notamment à l’équilibre des relations commerciales et contractuelles. Nous sommes en attente de la décision de justice ; nous attendons aussi d'en savoir plus sur le déroulement de la procédure. Je vous informe en outre que les services de l’Inspection du travail ont été mobilisés pour vérifier que le droit du travail est strictement respecté.

Soyez assuré, monsieur le député, que le dossier est suivi de très près. La justice est en train de faire son travail. Une fois la décision de justice rendue, Bruno Le Maire et moi-même aurons très certainement l'occasion de revenir vers vous à ce sujet.

Mme la présidente. La parole est à M. Benjamin Saint-Huile.

M. Benjamin Saint-Huile. Madame la ministre déléguée, vous m'avez indiqué que la situation était bien identifiée, que le dossier était suivi, que le Gouvernement était attentif et travaillait sur le sujet, que l'on attendait la décision du tribunal. Très bien, je vous accorde ce point.

Toutefois, au début de votre réponse, vous vous êtes demandé s'il vous appartenait de vous prononcer sur le caractère moral des pratiques en cause. Or nous avons une responsabilité politique et morale. Cette situation crée de réelles difficultés pour les salariés en matière de pouvoir d'achat. Si le droit français permet ce type de manipulation, qui fragilise le pouvoir d'achat des Français, alors nous devons y apporter une réponse. Je me tiens à la disposition du Gouvernement pour travailler sur cette question, de sorte que le pouvoir d'achat des salariés du groupe ne se dégrade pas davantage.

Données clés

Auteur : M. Benjamin Saint-Huile (Hauts-de-France - Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires)

Type de question : Question orale

Rubrique : Commerce et artisanat

Ministère interrogé : Économie, finances, souveraineté industrielle et numérique

Ministère répondant : Économie, finances, souveraineté industrielle et numérique

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 6 février 2024

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