Spécificités de l'exercice de la médecine libérale en Corse
Question de :
M. Paul-André Colombani
Corse-du-Sud (2e circonscription) - Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires
M. Paul-André Colombani alerte Mme la ministre du travail, de la santé et des solidarités au sujet de l'intégration des spécificités de l'exercice de la médecine libérale en zone de montagne et plus particulièrement en Corse, dans le cadre de la convention médicale. En effet, dans un contexte de situation économique instable et de fragilité de la population médicale, il est impératif de parvenir à définir des solutions concrètes afin de lutter contre la dangereuse précarité du système de soins actuel, tant pour ses acteurs que pour ses bénéficiaires. À cet égard, certains territoires se caractérisent par la conjonction de nombreuses difficultés structurelles ; c'est particulièrement le cas de la Corse, « île-montagne », qui condense et cristallise les difficultés de toutes les régions à caractère géographique particulier. Outre son retard historique en matière d'infrastructures routières, portuaires et aéroportuaires, particulièrement prégnant du fait de sa géographie, la Corse souffre également d'un retard en matière d'infrastructures médicales, puisqu'elle est la seule région à ne pas disposer de centre hospitalier universitaire. De plus, la Corse fait face à un vieillissement de sa population et donc à une augmentation constante du nombre de personnes dépendantes, qui s'ajoute à un taux de pauvreté très élevé chez les seniors. Ainsi, la Corse cumule les signaux d'alerte économique et géographique en lien avec la prise en charge de la personne âgée et compte une offre de soins limitée sur un territoire montagneux et insulaire, conduisant notamment à plusieurs dizaines de milliers de déplacements médicaux vers le continent chaque année. Les tensions relatives à l'offre de soins y sont importantes et se répercutent nécessairement sur la médecine libérale. À ce titre, l'insuffisance réelle de structures d'hospitalisation, qui est un handicap en basse saison, constitue un réel risque sanitaire lors des migrations estivales qui font décupler la population insulaire et augmente d'autant la demande de soins. De même, certaines spécialités médicales sont quasiment absentes de la photographie du territoire insulaire, non seulement en médecine libérale mais également dans le secteur hospitalier, ce qui augmente considérablement les délais d'attente et rend nécessaire le suivi par le médecin traitant. Pire encore, les études de démographie médicale de ces quinze dernières années, montrent une évolution nette de la pyramide des âges sans pic de nouvelles installations : c'est une région peu attractive pour la médecine générale, le nombre de médecins sortants étant plus important que le nombre de médecins entrants. L'ensemble de ces problématiques se traduit pour la médecine libérale, entre autres, par une prise en charge par les médecins généralistes de pathologies relevant de la spécialité d'organe, la gestion ambulatoire de situations relevant du secteur hospitalier et des retards de prise en charge qui pénalisent les patients. Il apparaît donc essentiel et urgent d'engager une amélioration de l'accès au soin en Corse à travers la mise en œuvre de solutions adaptées aux spécificités populationnelles, géographiques et économiques qui sont les siennes. Face à ce constat unanimement partagé par les professionnels de santé, un projet d'intégration des spécificités de l'exercice en zone montagne dans le cadre de la convention médicale, étayant notamment les spécificités de l'exercice de la médecine libérale en Corse, a été présenté à l'agence régionale de santé ainsi qu'à la caisse nationale de l'assurance maladie. Ce projet a été construit dans l'optique d'améliorer la situation des médecins, des patients, mais aussi des finances publiques. Au moment où les négociations conventionnelles sont particulièrement tendues et où la médecine libérale exprime son mal-être dû aux nombreuses et croissantes difficultés qui pèsent sur elle tout en réclamant une revalorisation tarifaire de la consultation afin de la rendre à nouveau attractive pour les futurs étudiants, il semble plus que jamais pertinent d'acter la reconnaissance des spécificités des territoires et de mettre en œuvre les mesures vertueuses que les professionnels de santé réclament, afin d'empêcher une vague de déconventionnement et de cessation d'activité médicale. Aussi, il lui demande s'il entend prendre en compte ces revendications et intégrer les spécificités de l'exercice de la médecine libérale en Corse dans le cadre de la convention médicale.
Réponse en séance, et publiée le 28 février 2024
EXERCICE DE LA MÉDECINE LIBÉRALE EN CORSE
M. le président . La parole est à M. Paul-André Colombani, pour exposer sa question, no 585, relative à l'exercice de la médecine libérale en Corse.
M. Paul-André Colombani . Après un premier échec, les négociations conventionnelles entre la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam) et les médecins libéraux ont repris péniblement. À ce stade des discussions, les professionnels de santé et l'ensemble des parlementaires de la Corse constatent avec regret que les spécificités de l'exercice de la médecine libérale en Corse n'ont pas été intégrées au nouveau projet de convention médicale.
Pourtant, vous le savez, la Corse, « île-montagne », cumule toutes les difficultés des régions à caractère géographique particulier : retard historique en matière d'infrastructures de transport, précarité socio-économique supérieure à la moyenne nationale, vieillissement de la population, multiplication du nombre d'évacuations sanitaires, forte saisonnalité. Qui plus est, ces difficultés affectent la seule région à ne pas posséder de centre hospitalier universitaire (CHU). Les tensions relatives à l'offre de soins y sont importantes et se répercutent nécessairement sur la médecine libérale. Le manque de structures hospitalières et la disparition de certaines spécialités médicales entraînent une surcharge des cabinets médicaux, dont la conséquence sera une perte de chances pour les patients. L'ensemble de ces données fait de la Corse une région peu attractive pour la médecine générale.
Malgré ce constat accablant, la Corse ne fait pas l'objet d'un chapeau spécifique dans la convention médicale, à la différence des zones de montagne et des territoires ultramarins. Pour pallier ce manque, un collectif de médecins libéraux insulaires a soumis au directeur général de la Cnam des propositions visant à rationaliser et améliorer l'offre de soins. Ils proposent notamment de créer de meilleures conditions de travail pour les praticiens et de mieux adapter la rémunération à la situation de l'île. Ces mesures apparaissent comme l'unique moyen de renforcer l'offre de soins et d'empêcher la vague massive de déconventionnements et de cessations d'activité médicale qui se profile. Le Gouvernement entend-il œuvrer à la reconnaissance des besoins spécifiques de la Corse dans la convention médicale ?
M. le président . La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des personnes âgées et des personnes handicapées.
Mme Fadila Khattabi, ministre déléguée chargée des personnes âgées et des personnes handicapées . Les professionnels de santé libéraux constituent, vous l'avez dit, un pilier de l'organisation du système de santé. C'est particulièrement le cas en Corse – très beau territoire ! – du fait de la géographie qui en isole certaines zones. Compte tenu du rôle joué par les professionnels de santé de ville, il a été décidé de leur consacrer un chapitre particulier dans le projet régional de santé (PRS) pour les années 2023 à 2028, établi par l'agence régionale de santé (ARS) Corse en concertation avec les acteurs locaux.
Dans le cadre de la négociation de la nouvelle convention médicale, les partenaires conventionnels ont examiné les spécificités de ce territoire, où l'on dénombre 550 médecins libéraux. Une réunion de travail a été consacrée à ces enjeux. Cela a conduit l'assurance maladie à proposer notamment une augmentation significative des indemnités de déplacement dans les territoires de montagne et la création d'une majoration de déplacement spécifique à ces territoires. Les médecins du territoire corse, qui est presque intégralement une zone de montagne, bénéficieront particulièrement de ces deux mesures.
Toutefois, l'outil conventionnel n'est pas le plus adapté pour traiter des enjeux de territorialisation, sa vocation première étant de déterminer les nomenclatures pour la prise en charge des actes médicaux. Néanmoins, plusieurs adaptations spécifiques à la Corse ont déjà été mises en œuvre. Ainsi en est-il pour le déplacement des patients corses vers un établissement de santé situé sur le continent : depuis 2021, tous les assurés sociaux de Corse peuvent bénéficier de la prise en charge d'un second accompagnateur pour un transport lié à une consultation pour un enfant ou à l'hospitalisation d'un enfant. Cette mesure ne s'applique que pour les habitants de la Corse. Chaque année, l'assurance maladie enregistre environ 18 000 déplacements sur le continent pour des raisons médicales.
En outre, huit expérimentations innovantes dérogeant aux règles de tarification de droit commun sont en cours sur le territoire corse. Toutes ces mesures traduisent bien la volonté d'adaptation territoriale des politiques publiques nationales.
La loi du 27 décembre 2023 visant à améliorer l'accès aux soins par l'engagement territorial des professionnels offre un cadre concret pour territorialiser la réponse aux besoins de santé, de nouvelles missions ayant été confiées aux conseils territoriaux de santé (CTS).
M. le président . La parole est à M. Paul-André Colombani.
M. Paul-André Colombani . Merci, madame la ministre. Vous savez toute l'affection que je porte à l'ancienne présidente de la commission des affaires sociales que vous êtes. Néanmoins, à l'instar de mon collègue Christophe Naegelen, je regrette que le ministre délégué chargé de la santé et de la prévention ne soit pas présent au banc pour répondre, car le compte n'y est pas. La convention médicale des médecins libéraux reconnaît les spécificités des territoires de montagne et des territoires ultramarins. Or la Corse présente des spécificités propres, qui ne relèvent ni d'une catégorie ni de l'autre. Il faut donc insérer dans la convention un chapeau spécifique à la Corse, afin de pouvoir adapter les mesures décidées. On doit faire une place à la Corse dans la convention, de même qu'on en a fait une aux territoires ultramarins.
Auteur : M. Paul-André Colombani
Type de question : Question orale
Rubrique : Médecine
Ministère interrogé : Travail, santé et solidarités
Ministère répondant : Travail, santé et solidarités
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 20 février 2024