Réforme du collège dite du « choc des savoirs »
Question de :
Mme Sophie Taillé-Polian
Val-de-Marne (11e circonscription) - Écologiste - NUPES
Mme Sophie Taillé-Polian interroge Mme la ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse sur la réforme du collège, dite « du choc des savoirs » et sur ses conséquences organisationnelles pour les établissements. Censée entrer en vigueur dès la rentrée 2024, cette réforme prévoit notamment la mise en place de groupes de niveau en classes de sixième et de cinquième en mathématiques et en français. Les syndicats d'enseignants dénoncent un collège du tri et de la ségrégation scolaire. D'abord, cette mesure va à l'encontre des études de sciences de l'éducation sur le sujet, qui montrent que le groupe classe hétérogène est à privilégier et précisent que des groupes de niveau peuvent être utiles s'ils sont provisoires et centrés sur un besoin spécifique. Au lieu d'y répondre, cette mesure va accentuer les inégalités de niveau entre élèves. Après l'éclatement du groupe classe au lycée avec la réforme du baccalauréat, c'est désormais le collège qui est menacé par cette dérive. Cette réforme entraîne en outre des difficultés organisationnelles d'ampleur pour les établissements scolaires. En effet, les dotations horaires globales (DHG) ne suivent pas et la mise en place des groupes de niveau en mathématiques et en français se fera dans la plupart des collèges au détriment d'autres disciplines comme les langues vivantes et anciennes ou les enseignements scientifiques. Quel « choc des savoirs » Mme la ministre prétend-elle mettre en place si l'accent mis sur les mathématiques et le français se fait au détriment d'autres disciplines telles que les langues vivantes ? Si options, dédoublements de classes et expérimentations scientifiques ne sont plus possibles pour ces élèves faute de moyens ? Elle lui demande de renoncer à cette réforme et de mettre enfin en place les moyens structurants que le collège, parent pauvre des politiques éducatives, attend depuis de nombreuses années.
Réponse en séance, et publiée le 6 mars 2024
RÉFORME DU COLLÈGE
Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, pour exposer sa question, n° 607, relative à la réforme du collège.
Mme Sophie Taillé-Polian. Monsieur le ministre… de l'éducation nationale ? (Sourires), ma question porte sur la réforme du collège, dite du choc des savoirs, et sur ses conséquences organisationnelles pour les établissements. Elle a été annoncée comme étant opérationnelle dès la rentrée 2024, mais sans qu'aucun élément concret n'en soit encore parvenu aux établissements.
Cette mesure est éminemment critiquable sur le fond puisque les études des sciences de l'éducation démontrent qu'il faut privilégier les classes hétérogènes et que les groupes de niveau ne peuvent être utiles que s'ils sont provisoires et limités dans le temps. Sur le fond, nous sommes donc en désaccord avec la démarche.
De plus, la réforme pose une énorme difficulté, qui met en émoi la direction et le personnel des collèges : les dotations horaires globales (DHG) qui leur ont été attribuées sont au mieux stables, au pire en diminution. Cela aura des conséquences négatives pour les élèves car la création des groupes de niveau se fera au détriment des options et des dédoublements de classes scientifiques – on ne pourra plus faire de demi-groupes pour les travaux pratiques en SVT (sciences de la vie et de la terre) ou en physique. L'intégralité de l'enseignement sera dégradée en raison d'une réforme éminemment contestable sur le fond.
Je veux relayer une autre inquiétude majeure des enseignants, qui commencent d'ailleurs à s'organiser avec les parents d'élèves pour s'opposer à la réforme : non seulement les DHG sont en baisse, mais en plus un récent décret annonce une diminution de 123 millions d’euros du budget dévolu au second degré.
Il est encore temps de renoncer à cette réforme. À ce stade, elle ne représente qu'un coup de communication dans la mesure où elle n'a fait l'objet d'aucun texte sur lequel les enseignants et les directions d'établissement pourraient s'appuyer pour la conduire, alors qu'ils sont censés l'appliquer dès la rentrée prochaine. Les conditions de sa mise en œuvre n'étant pas réunies, l'abandonner me paraît l'unique solution.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué chargé de la santé et de la prévention.
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué chargé de la santé et de la prévention. Madame Taillé-Pollian, il ne vous aura pas échappé que ce n'est pas le ministre de l'éducation nationale qui vous répond… (Sourires.) Néanmoins, la ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse m'a transmis des éléments qui me permettront de répondre, modestement, à votre question pertinente.
Le constat est là, l'enquête Pisa – le programme international pour le suivi des acquis des élèves – 2022 l'a montré : en français, le niveau des élèves âgés de 15 ans continue de baisser ; en mathématiques, ce sont vingt et un points qui ont été perdus par nos élèves depuis dix ans. Ces résultats sont alarmants. Ils ne peuvent être ignorés tant leurs conséquences sont néfastes pour le parcours des élèves comme pour notre capacité collective à relever les défis auxquels la société française est confrontée.
Les mesures du choc des savoirs annoncées par le Premier ministre en décembre dernier répondent à l'impératif national d'élévation du niveau des élèves. Cela passe en premier lieu par le fait de donner les moyens de réussir à tous nos enfants.
L'organisation du travail en groupe, en sixième et cinquième, en français et en mathématiques, dès la rentrée scolaire prochaine, n'est en aucun cas la fin du collège unique. Il s'agit de donner à nos élèves la possibilité d'acquérir plus facilement les compétences qui leur manquent dans ces deux matières fondamentales. Ces temps en groupe faciliteront un accompagnement adapté et des progrès dans les apprentissages. Le travail en classe entière, un collectif par nature hétérogène, reste la règle pour l'ensemble des matières aujourd'hui suivies par les élèves, auxquels il fournit la garantie d'un parcours cohérent.
Tout cela va se mettre en place en fonction de la réalité du terrain, en liaison avec les chefs d'établissement, qui sont les garants de la bonne organisation du système scolaire. La ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse a eu l'occasion d'échanger avec les représentants des organisations syndicales ces derniers jours, et a salué leur mobilisation et leur engagement.
Le Gouvernement va donner les moyens nécessaires à la création de ces groupes. Les premières ouvertures de postes supplémentaires ont d'ores et déjà été permises ; des ajustements sont en cours. Le travail au plus près du terrain est la garantie d'un meilleur apprentissage et d'une plus grande flexibilité. Permettez-nous, madame la députée, de nourrir pour nos élèves l'ambition de mieux apprendre, dans de meilleures conditions et avec de meilleurs résultats.
Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian.
Mme Sophie Taillé-Polian. On ne peut pas gouverner à coups de formules. Tout le monde est d'accord que les élèves doivent mieux apprendre, mais tout le monde est également d'accord que l'éducation pour tous, c'est-à-dire l'accès à l'instruction, est en danger dans notre pays, notamment parce que le service public de l'éducation a subi des baisses d'effectifs et une augmentation du nombre d'élèves par classe – du fait, notamment, de votre politique.
Oui, les résultats de l'enquête Pisa sont inquiétants, mais les sciences de l'éducation sont là pour éclairer les politiques sur les mesures à prendre pour que tous les élèves reprennent le chemin de la réussite. Les groupes de niveau sont à proscrire : ils ont été expérimentés à de multiples reprises sans donner de bons résultats. Quand on catalogue les élèves, qu'on leur met une étiquette, l'un des groupes, même si on lui trouve un joli nom – par exemple celui des « plus fragiles » –, réunira malgré tout les moins bons. En les cataloguant ainsi, on les fige dans des résultats médiocres et on n'accompagne pas leur progression. Au contraire, les groupes hétérogènes, comme les sciences de l'éducation l'ont maintes fois démontré sur la base d'expérimentations, sont meilleurs pour tous les élèves.
En outre, l'application de la réforme conduira à l'arrêt des demi-groupes en SVT et en physique. C'est donc l'ensemble des élèves qui pâtira de conditions d'enseignement dégradées.
Auteur : Mme Sophie Taillé-Polian
Type de question : Question orale
Rubrique : Enseignement secondaire
Ministère interrogé : Éducation et jeunesse
Ministère répondant : Éducation et jeunesse
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 27 février 2024