16ème législature

Question N° 653
de M. Nicolas Dupont-Aignan (Non inscrit - Essonne )
Question orale sans débat
Ministère interrogé > Agriculture et souveraineté alimentaire
Ministère attributaire > Agriculture et souveraineté alimentaire

Rubrique > agriculture

Titre > Politique désastreuse en matière de libre-échange

Question publiée au JO le : 05/03/2024
Réponse publiée au JO le : 13/03/2024 page : 1795

Texte de la question

M. Nicolas Dupont-Aignan interroge M. le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire sur la politique totalement destructrice de la France menée depuis 2017 en matière de libre-échange, qui menace les agriculteurs français. Avec la complicité du Gouvernement, la Commission européenne mène une politique totalement incohérente. D'un côté elle accable les agriculteurs et industriels français de nouvelles normes écologiques, de l'autre elle signe à tour de bras des accords de libre-échange qui suppriment les droits de douane sur l'importation de produits fabriqués à l'autre bout du monde, au mépris de toute norme écologique et sociale. À titre d'exemple, l'accord UE-Nouvelle-Zélande signé en 2023 favorisera l'importation de viande ovine à 18 500 km de la France, au bilan carbone désastreux, dont le prix au kilo est de 9,90 euros (contre 23 euros en France) et ruinera de surcroît les producteurs locaux. Pour rappel, la France ne produit que 58 % de sa consommation en biens agricoles, sa balance commerciale en 2022 des fruits et légumes est de -7 milliards d'euros et ne cesse de s'amplifier : ces chiffres prouvent que la souveraineté alimentaire du pays est gravement menacée. Également, l'accord avec le Kenya, qui vient d'être signé le 18 décembre 2023, fera disparaître les derniers producteurs de fleurs français en plus de la production hollandaise. Plus encore, l'accord Mercosur, s'il était ratifié, permettrait l'importation de 99 000 tonnes de bœuf, 180 000 tonnes de volaille et 650 000 tonnes d'éthanol par an, alors même que le Brésil vient de faciliter, par une loi du 28 décembre 2023, l'utilisation de nouveaux pesticides sous la pression de l'agro-industrie brésilienne. L'Allemagne fait pression sur la Commission pour signer au plus vite l'accord, dans un contexte de profonde colère des agriculteurs français, allemands, polonais, roumains et européens de manière plus globale. M. le député souhaite donc connaître la véritable politique du Gouvernement à l'égard des accords de libre-échange au-delà des opérations de communication récentes du fait des mobilisations du monde agricole. En effet, depuis les revendications des agriculteurs français, celui-ci semble avoir durci le ton à propos de l'accord Mercosur, en contradiction totale avec la position du Président de la République depuis 2017. Les accords avec le Canada (CETA), le Japon, le Vietnam, la Nouvelle-Zélande, le Chili et le Kenya ont tous été acceptés par le Président de la République Emmanuel Macron. À l'heure où les agriculteurs français manifestent leur profonde colère face à la concurrence déloyale qui menace leur profession, la signature de tels accords ces sept dernières années remet en cause la sincérité des prises de parole récentes du Gouvernement. Il souhaite connaître sa position sur le sujet.

Texte de la réponse

ACCORDS DE LIBRE-ÉCHANGE


Mme la présidente. La parole est à M. Nicolas Dupont-Aignan, pour exposer sa question, n°  653, relative aux accords de libre-échange.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Le Président de la République affirme ne pas vouloir signer l'accord entre l’Union européenne et le Marché commun du Sud, le Mercosur. Pourtant, de nombreux agriculteurs et de nombreux Français doutent de sa parole pour plusieurs raisons. J'en vois trois principales.

D'abord, en 2016, avant l’élection présidentielle, le Président de la République avait affirmé qu’il ne signerait jamais en l'état l'Accord économique et commercial global entre l'Union européenne et le Canada, dit Ceta. Or, après l'élection présidentielle, il a accepté sa scission, ce mécanisme technocratique européen qui permet d'appliquer un accord sans ratification parlementaire. Je pourrais aussi évoquer les très nombreux accords signés par l'Union européenne – avec la complicité de votre gouvernement – avec le Japon, le Vietnam, le Chili et, tout récemment, la Nouvelle-Zélande et le Kenya.

L'incohérence entre les discours et les pratiques est totale. Comment les agriculteurs pourraient-ils donc vous croire, d’autant qu’ils savent que vous venez d'approuver l'accord avec la Nouvelle-Zélande qui favorisera l'importation de viande ovine alors que les importations représentent déjà plus de 50 % de notre consommation ? S'y ajoute le coût écologique de l’importation de viande d’agneau en provenance d’un territoire éloigné de 18 500 kilomètres. Le prix au kilogramme est très inférieur au prix français, ce qui ruinera le peu d'exploitants de viande ovine qui restent dans notre pays – vous le savez bien, monsieur le ministre de l'agriculture.

Même aberration en ce qui concerne l'accord avec le Kenya, qui vient d'être signé le 18 décembre et qui entraînera la disparition des derniers producteurs de fleurs français, en plus des producteurs hollandais.

L'accord avec les pays du Mercosur prévoit d'importer 99 000 tonnes de bœuf, 180 000 tonnes de volaille, 650 000 tonnes d'éthanol, alors même que le Brésil vient de faciliter, par une loi du 28 décembre 2023, l'utilisation de nouveaux pesticides sous la pression de son agro-industrie. Il y a quelques jours, Emmanuel Macron et Gabriel Attal ont indiqué que « dans l'état des textes du Mercosur, la France s'oppose et continuera de s'opposer à cet accord de libre-échange ».

Pourtant, au même moment, le chef de cabinet du commissaire européen au commerce indiquait ceci : « Nous n'avons sûrement pas soudain déchiré nos documents pour rentrer chez nous et nous reposer dans un fauteuil. » Des négociateurs européens étaient encore sur place, au Brésil, il y a quelques mois ou quelques semaines. M. Scholz et Mme von der Leyen ont multiplié les déclarations en faveur d'une ratification rapide de l'accord. Tout récemment, le 6 mars, M. Lula déclarait : « Aujourd’hui, nous sommes prêts à signer un accord du Mercosur, mais la France a des problèmes avec ses agriculteurs. […] Ce qui me rassure, c'est que l'Union européenne ne dépend pas de la France pour conclure l'accord ».

Ma question est très simple : qui dit la vérité ? Quel sens donnez-vous à l'expression « s'opposer à l'accord en l'état » ? Ne s'agit-il pas d'une simple pause, dans l’attente des élections européennes du 9 juin ? Vous engagez-vous solennellement devant la représentation nationale à ne jamais accepter la signature de cet accord ? Il y va de la survie de notre modèle d'élevage. Une autre politique reste possible. Elle consiste à ériger des barrières douanières afin de protéger notre agriculture et notre industrie de cette concurrence déloyale qui détruit notre pays.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.

M. Marc Fesneau, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire. Vous avez évoqué l'accord avec le Mercosur ainsi que plusieurs autres accords. Je regrette, mais le Ceta est bénéfique pour la ferme France – les chiffres le montrent, vous pouvez dire le contraire –, notamment pour les fromages et les produits laitiers, comme nous l'avions prévu.

Le Président de la République avait dit qu'il s'opposait au Ceta car, à l'époque, il ne respectait pas plusieurs prérogatives. Nous avons fait ajouter des clauses miroir dans l'accord final, qui permettent de s'assurer que le Canada respecte l'accord de Paris relatif au climat. De même, l'accord conclu avec le Japon est favorable à la France.

On peut vouloir renoncer à la vocation exportatrice de notre agriculture mais, pour rappel, plus de la moitié de la production de céréales et de lait est exportée – et je ne parle même pas de la filière des vins et des spiritueux. Oui, nous avons besoin d'accords de commerce et d'échanges commerciaux, mais ils doivent être loyaux. C'est pourquoi la France s'est opposée à la signature de l'accord avec le Mercosur. J'ignore qui vous croyez ou souhaitez croire mais ce qu'il faut croire, ce sont les faits. Si nous ne nous étions pas opposés, ces derniers mois, à la signature de l'accord avec le Mercosur, il aurait été signé.

La France fait donc entendre sa voix et répète à qui veut l'entendre qu'elle ne peut accepter un accord qui ne respecterait pas la plupart des standards européens voire français, notamment environnementaux, en ce qui concerne les quantités et les pratiques agricoles. Ce n'est une découverte ni pour vous ni pour moi que M. Lula et nos partenaires allemands ont envie de signer un accord ; tout cela est sur la table et est transparent. Quant à nous, nous ne souhaitons pas que cet accord soit signé car certaines de ses clauses ne respectent pas les normes environnementales que nous défendons et déséquilibreraient les marchés. C'est ainsi que nous négocions ce contrat comme tous les autres. Récemment, nous avons refusé de conclure un accord avec l'Australie qui, précisément, a buté sur la question agricole.

En clair, nous sommes au rendez-vous des promesses que nous prenons ; néanmoins, on ne saurait s'affranchir du commerce international car il garantira l'expansion de notre agriculture.

Mme la présidente. La parole est à M. Nicolas Dupont-Aignan.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Un bilan de l'Union européenne montre que si ces accords ont pu être favorables dans certains secteurs, ils ont été néfastes dans d'autres, notamment l'élevage. Vous engagez-vous à refuser la scission de l'accord avec le Mercosur ?