16ème législature

Question N° 7135
de Mme Sylvie Ferrer (La France insoumise - Nouvelle Union Populaire écologique et sociale - Hautes-Pyrénées )
Question écrite
Ministère interrogé > Justice
Ministère attributaire > Justice

Rubrique > justice

Titre > Georges Ibrahim Abdallah

Question publiée au JO le : 11/04/2023 page : 3266
Réponse publiée au JO le : 25/07/2023 page : 7059
Date de renouvellement: 11/07/2023

Texte de la question

Mme Sylvie Ferrer attire l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur la situation du prisonnier Georges Ibrahim Abdallah. Sans contester les fondements de la condamnation du détenu, différentes associations de défense des droits de l'homme ainsi que de nombreuses personnalités alertent sur la triste particularité de son emprisonnement. En effet, cela fait désormais 39 années que Georges Ibrahim Abdallah a passées derrière les barreaux, faisant de lui le plus vieux prisonnier politique d'Europe. Il a pourtant déposé neuf demandes de libération. Il s'est avéré qu'un grand nombre était conditionné à la signature d'un arrêté d'expulsion. Aucun n'a été établi et ce, notamment à cause de la pression du département d'État des États-Unis d'Amérique. Ainsi, la question de Georges Ibrahim Abdallah soulève deux problématiques majeures. Tout d'abord, elle démontre l'incapacité de la justice française à accomplir sa tâche de réhabilitation. Si l'usage de la perpétuité réelle est encadrée en France, c'est au service d'une conception humaine de la justice. La Cour européenne des droits de l'homme confirme par le truchement de ses décisions jurisprudentielles que de « réelles perspectives de libération » étaient nécessaires afin de ne pas infliger de « peines ou traitements inhumains ou dégradants » comme le dispose l'article 3 de sa convention. Octroyer la possibilité d'accomplir une peine revient à considérer qu'elle n'est pas uniquement punitive mais qu'elle est une possibilité pour le condamné de retrouver sa place dans la société. En ce sens, le système judiciaire français se veut pacificateur et a pour vocation de maintenir une harmonie sociale. Le cas de Georges Ibrahim Abdallah ébranle les fondements mêmes d'un tel choix de civilisation. Il révèle la volonté arbitraire de représentants du pouvoir exécutif d'étouffer les espoirs de libération du détenu, éraflant au passage la séparation des pouvoirs : socle intangible de la démocratie française. Ensuite, la question soulève l'enjeu de la souveraineté du pays. Nul ne peut ignorer que la France est un État faisant face à des enjeux mondiaux et à des obligations internationales. Elle entretient des liens forts avec de nombreux pays partenaires et ne peut prendre de décision unilatéralement. Toutefois, les compétences régaliennes d'un pays ne peuvent relever de la décision de puissances étrangères. Or l'intervention américaine à propos d'un prisonnier, outre révéler l'aspect politique de son emprisonnement, va à l'encontre de l'indépendance de l'État en France vis-à-vis des décisions prises au sein de ses propres frontières. Ainsi, une seconde fois, un fondement politique supposé inaliénable est menacé. C'est pourquoi Mme la députée a souhaité alerter M. le ministre de l'incapacité de M. Georges Ibrahim Abdallah de renouveler une demande de libération en l'état actuel des choses : l'épuisement psychologique des précédents refus lui a fait cesser d'entrevoir le moindre espoir. Pourtant, une nouvelle demande pourrait être déposée et examinée, si le Gouvernement s'engageait à signer un arrêt d'expulsion dans le cas où les instances juridiques conditionneraient de nouveau sa libération à cet acte juridique. Cela permettrait de remettre la décision de la peine à la justice française et de l'émanciper symboliquement du pouvoir exécutif et d'une puissance étrangère. Elle lui demande alors s'il est prêt aujourd'hui, pour un homme exténué et pour le pays tout entier, à prendre cet engagement.

Texte de la réponse

Conformément à l'article 729-2 du code de procédure pénale (CPP), la libération conditionnelle « expulsion » est la libération anticipée d'une personne détenue de nationalité étrangère sous la condition de l'exécution d'une mesure d'éloignement du territoire national. Les critères d'octroi de la libération conditionnelle répondent à des conditions de délai et de fond : - s'agissant de la condition de délai : la libération conditionnelle dite « expulsion » est soumise aux mêmes règles de temps d'épreuve que la libération conditionnelle « classique » de l'article 729 du CPP ; - s'agissant des conditions de fond : la personne condamnée doit faire l'objet d'une mesure d'interdiction (administrative ou judiciaire) du territoire français, d'obligation de quitter le territoire français, d'interdiction de retour sur le territoire français, d'interdiction de circulation sur le territoire français, d'expulsion, d'extradition ou de remise sur le fondement d'un mandat d'arrêt européen. Les autres conditions de fond, tenant aux critères personnels, familiaux et sociaux de la personne condamnée, s'appliquant à la libération conditionnelle ne sont pas applicables à la libération conditionnelle « expulsion ». En revanche, en application des dispositions de l'article 707 du CPP, doit être pris en considération le risque de récidive et la protection des intérêts des victimes. Cette mesure est prononcée par le tribunal de l'application des peines, s'agissant d'une compétence exclusive pour les personnes condamnées à une longue peine en application de l'article 730-2 du code de procédure pénale (condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité, condamnation à une peine supérieure ou égale à 15 ans pour une infraction pour laquelle le suivi socio-judiciaire est encouru, condamnation à une peine supérieure ou égale à 10 ans pour une infraction mentionnée à l'article 706-53-13 CPP). Par ailleurs, dans ces cas, il doit être procédé à une évaluation pluridisciplinaire assortie d'une expertise médicale pour évaluer la dangerosité du condamné et se prononcer sur l'opportunité de recourir à un traitement utilisant des médicaments inhibiteurs de libido dans le cadre d'une injonction de soins. Le prononcé d'une telle mesure demeure cependant une faculté, soumise à l'appréciation souveraine des juridictions de l'application des peines, auxquelles il revient d'apprécier son opportunité au vu de la personnalité du condamné, des perspectives concrètes de son éloignement du territoire national, de ses projets de réinstallation, et, le cas échéant, du déroulement des mesures probatoires auxquelles il a été soumis en application de l'artilce 730-2 du CPP. La mise en œuvre de la libération conditionnelle-expulsion, qui est subordonnée à la condition que la mesure d'éloignement soit exécutée, relève de l'autorité administrative. Georges Ibrahim ABDALLAH a déposé une nouvelle requête en libération conditionnelle-expulsion le 12 juin 2023. La précédente requête en aménagement de peine déposée par l'intéressé, en 2014, a fait l'objet d'une décision de rejet de la chambre de l'application des peines de Paris, compétente en matière de terrorisme, considérant que l'intéressé ne répondait pas aux conditions de forme et de fond d'une libération conditionnelle-expulsion, notamment en l'absence de prononcé de mesure d'éloignement à son égard. Cette décision a fait l'objet d'un pourvoi, lequel a été rejeté en 2016 par la chambre criminelle de la Cour de cassation, estimant que les conditions d'octroi de la libération conditionnelle de droit commun au bénéfice d'une personne de nationalité étrangère condamnée, n'étant pas l'objet d'une mesure d'éloignement du territoire français, n'étaient pas remplies. En vertu du principe constitutionnel de séparation des pouvoirs et d'indépendance de la justice, tel que garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, et en application de l'article 30 alinéa 3 du code de procédure pénale, il n'appartient pas au garde des Sceaux d'intervenir dans le cadre d'affaires individuelles ou de porter une appréciation sur les décisions de justice. Enfin, l'arrêté d'expulsion est une décision administrative prise par le préfet, ou dans certains cas le ministre de l'intérieur, qui ne relève donc pas de la compétence du ministère de la Justice.