Sortie d'indivision en outre-mer
Question de :
M. Marcellin Nadeau
Martinique (2e circonscription) - Gauche démocrate et républicaine - NUPES
M. Marcellin Nadeau attire l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur les difficultés liées à la sortie de l'indivision aux Antilles et en Martinique en particulier. Celle-ci a connu un regain d'actualité après les émeutes qui se sont déroulées à Fort-de-France au début de l'année 2024 suite à l'incarcération d'un administré en révolte qui voit sa propriété occupée par un tiers. Dans d'autres cas, ces propriétés sont vendues parfois à plusieurs reprises par des tiers malgré des droits légitimes. Ce phénomène complexe dit des « terres volées » (mais qui parfois l'ont été de bonne foi) pose la question de la sortie complexe de l'indivision dans les pays d'outre-mer et fait l'unanimité chez les élus tant elle pose la question cruciale dans des îles, où la terre est contrainte, des mécanismes structurels d'accès à la terre, à la propriété immobilière qu'il faut repenser, voire aux relents de colonialité. M. le député fait partie de ceux qui pensent qu'il faut une « sortie par le haut » de ces affaires pour éviter toute dégénération - ou récupération - par la violence ou l'arbitraire. C'est pourquoi outre la création d'un espace de médiation qui prendrait à bras le corps les cas qui apparaîtraient dans ce domaine, à l'instar de l'Agence des « 50 pas géométriques » pour la bande littorale, il lui paraît nécessaire d'agir par la loi. Or il faut bien reconnaître que la loi sur les successions votée en 2018 est inapplicable et non appliquée car irréaliste. C'est pourquoi il lui demande s'il ne serait pas opportun d'envisager une mission d'information administrative qui analyserait au fond toutes les situations possibles de résolutions définitives de ces conflits liés à la terre en Martinique et en Guadeloupe et pourrait déboucher sur un texte normatif clair, transparent et équitable.
Réponse en séance, et publiée le 15 mai 2024
SORTIE D'INDIVISION EN OUTRE-MER
Mme la présidente . La parole est à M. Marcellin Nadeau, pour exposer sa question, no 737, relative à la sortie d'indivision en outre-mer.
M. Marcellin Nadeau . Vous connaissez – je suppose – les difficultés liées à la sortie de l'indivision aux Antilles, en particulier en Martinique. Cette question a d'ailleurs connu un regain d'actualité après les émeutes qui ont eu lieu à Fort-de-France, au début de l'année, à la suite de l'incarcération d'un justiciable révolté par l’occupation par un tiers de la propriété qu'il possédait en indivision avec certains membres de sa famille. Dans d'autres cas, ces propriétés sont vendues – parfois à plusieurs reprises – par des tiers, malgré l'existence de droits légitimes de propriété.
Ce phénomène dit des terres volées – bien que certains en fassent l'acquisition de bonne foi – pose la question de la sortie complexe de l'indivision dans nos pays. Elle fait l'unanimité chez les élus, tant elle soulève la question, cruciale dans des îles où la terre est contrainte, des mécanismes structurels d’accès à la terre et à la propriété immobilière – aux relents de colonialité par certains aspects –, qu'il faut absolument repenser. Je fais d'ailleurs partie de celles et ceux qui considèrent qu'il est possible de sortir par le haut de ces affaires pour éviter toute dégénération ou récupération par la violence ou l'arbitraire.
Outre la création d'un espace de médiation qui prendrait à bras-le-corps les cas existants, à l'instar de l'agence des 50 pas géométriques pour la bande littorale, il me paraît nécessaire d'agir par la loi. Or la loi du 27 décembre 2018 visant à faciliter la sortie de l'indivision successorale et à relancer la politique du logement en outre-mer est jusqu'à présent inappliquée, car elle est jugée inapplicable par certains professionnels, notamment les notaires. Dès lors, ne serait-il pas opportun de créer une mission d'information qui analyserait tous les cas possibles de résolution définitive des conflits liés à la terre en Martinique, comme en Guadeloupe, et qui pourrait déboucher sur un texte normatif clair, transparent et équitable ?
Mme la présidente . La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des personnes âgées et des personnes handicapées.
Mme Fadila Khattabi, ministre déléguée chargée des personnes âgées et des personnes handicapées . Les problèmes fonciers aux Antilles sont bien réels et font l'objet de nombreux travaux parlementaires, parmi lesquels un récent rapport sur le foncier agricole en outre-mer des sénateurs Thani Mohamed Soilihi et Vivette Lopez. C'est notamment sur le fondement de celui-ci qu’en juillet 2023, le comité interministériel des outre-mer s'est engagé à résorber le désordre foncier et à rétablir le droit de propriété sur l'île.
Le Gouvernement a tenu ses engagements, puisque la loi du 9 avril 2024 visant à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé et des grandes opérations d'aménagement a amélioré significativement les conditions d'application de la loi de 2018. Elle a prolongé le dispositif jusqu'en 2038 et allégé les formalités, sans remettre en cause le partage en cas d'omission d'un indivisaire ; elle a également introduit un partage par souche sur le modèle du régime dérogatoire polynésien.
La question de l'acquisition de la propriété de la terre par la prescription reste sensible. Dans les cas les plus complexes, c'est parfois le seul moyen juridique pour qu'une famille en possession d'une terre, mais dépourvue de titre, puisse régulariser sa situation. La loi de 2024 a raccourci le délai, qui est passé de trente à dix ans, ce qui permettra d'accélérer les régularisations avec le soutien du groupement d'intérêt public de Martinique, créé au mois de février 2023. Si des contestations persistent, le recours à la justice reste une protection contre l'arbitraire et la violence.
Le Gouvernement est conscient des difficultés et veillera à la bonne application des mesures adoptées par votre assemblée, afin de faciliter la sortie des indivisions non réglées depuis plusieurs générations. Vous avez demandé la création d’une mission. J’en ferai part au ministre chargé de ces questions, qui vous apportera sans doute une réponse.
Mme la présidente . La parole est à M. Marcellin Nadeau.
M. Marcellin Nadeau . En dépit de quelques évolutions intéressantes, le problème – qui a été révélé en Martinique à l'occasion de l'affaire dite Pinto – demeure.
La création de cette mission est fondamentale, d'autant qu'une inquiétude pointe son nez : la réduction du délai de prescription acquisitive, qui passerait de trente à dix ans. Cela suscite de nombreuses inquiétudes, notamment chez les professionnels, qui sont actuellement sous pression à cause du peu de transparence qui caractérise les transferts de propriété. Faites comprendre à M. le garde des sceaux qu'il est nécessaire de lancer cette mission pour faire le point sur la question !
Mme Fadila Khattabi, ministre déléguée . Je n'y manquerai pas !
Auteur : M. Marcellin Nadeau
Type de question : Question orale
Rubrique : Donations et successions
Ministère interrogé : Justice
Ministère répondant : Justice
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 7 mai 2024