Question orale n°742 : Accessibilité des voitures électriques et filière automobile française

16ème Législature

Question de : Mme Alma Dufour (Normandie - La France insoumise - Nouvelle Union Populaire écologique et sociale)

Mme Alma Dufour interroge M. le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique sur l'accessibilité des voitures électriques et les perspectives de volume d'emplois dans la filière automobile en France. Depuis plusieurs années, la filière automobile française est en déclin : 23 % seulement des véhicules fabriqués sur son sol en 2021 contre 56 % en 2003 et une balance commerciale déficitaire depuis 2007. Les emplois sont passés de 300 000 en 2000 à 190 000 en 2020, une chute de plus d'un tiers. 100 000 emplois supplémentaires pourraient disparaître d'ici à 2035. Le virage vers l'électrique est souvent présenté comme une opportunité pour inverser cette funeste tendance. Si Mme la députée salue les efforts réalisés pour encourager la relocalisation de la production locale en conditionnant le bonus écologique à des critères CO2, elle regrette que la politique du Gouvernement s'arrête au milieu du chemin. Les mesures prises ces derniers mois encouragent la production en France mais pas la consommation de véhicules français. La mise en œuvre à marche forcée des ZFE sans prendre de mesures pour tenter d'encadrer les prix des véhicules (tant sur le marché du neuf que de l'occasion), a constitué une aubaine pour les constructeurs d'augmenter les prix et de s'enrichir via les aides publiques. La Dacia Spring de Renault a ainsi augmenté de 3 810 euros entre 2021 et 2023 (passant de 16 990 euros à 20 800 euros). Puis, son prix a chuté de 2 400 euros ces derniers mois (aujourd'hui à 18 400 euros), après l'arrêt du bonus écologique, illustrant la prédation sur laquelle Mme la députée avait alerté à plusieurs reprises en 2023. En 2024, l'effet conjugué de l'augmentation des prix par les constructeurs et la limitation des aides publiques provoque une augmentation de 3 000 euros environ du reste à charge des véhicules électriques pour le consommateur français. Le véhicule le moins cher du marché est passé de 6 184 euros à 9 184 euros (Dacia Spring avec ou sans surprime ZFE), à une fourchette de 9 009 euros à 12 009 euros (Citroën e-C3). Par ailleurs, l'arrêt brutal du leasing social à peine un mois après sa mise en œuvre est de nature à décourager la consommation des classes populaires et moyennes. Trop chers, les véhicules électriques made in France de Renault - la Magane notamment - se vendent difficilement et les usines de Cléon et de Douai sont régulièrement au chômage partiel. Renault met donc la pression sur ses salariés français et a supprimé 1 700 emplois en 1 an. À Cléon, dans la circonscription de Mme la députée, 2 000 emplois ont été supprimés en 15 ans. La Dacia Spring est faite en Chine et pourrait être réassemblée en Slovénie pour contourner l'exclusion du bonus, la Legend à 20 000 euros serait elle aussi assemblée en Slovénie. Quant à Stellantis, il ne produit en France que des véhicules électriques haut de gamme. La Citroën C3 est assemblée en Slovaquie et la e-208 en Espagne. Pourtant, les différences de coût de main-d'œuvre sont faibles et les marges explosent. En 2023, Renault affiche + 7 % de marge opérationnelle et Stellantis 18 milliards de profits, devenant n° 2 du CAC 40 ! Le Gouvernement compte-t-il rompre avec la stratégie initiée par Nicolas Sarkozy d'arroser le secteur automobile français d'argent public sans en contrepartie la baisse des prix et la création d'emplois en France ? Elle lui demande s'il compte céder au chantage ou reprendre si besoin le contrôle des sites de production.

Réponse en séance, et publiée le 15 mai 2024

FILIÈRE AUTOMOBILE FRANÇAISE
Mme la présidente . La parole est à Mme Alma Dufour, pour exposer sa question, no 742, relative à la filière automobile française.

Mme Alma Dufour . Ma question porte sur l'ensemble du secteur automobile. On vend souvent, à la télévision, le mirage de Dunkerque. Mais la réalité du secteur automobile français, vous le savez, est bien plus sombre.

Seulement 23 % des véhicules achetés en France sont fabriqués sur notre territoire, contre 56 % en 2003. Notre balance commerciale est clairement déficitaire dans ce secteur d'activité, et le nombre d'emplois y est passé de 300 000, en 2000, à 190 000, aujourd'hui. Les syndicats estiment que plus de 100 000 emplois pourraient encore disparaître d'ici dix ans, si vous ne changez pas de politique.

Le virage vers l'électrique est présenté comme une chance de nous réindustrialiser, et nous saluons le conditionnement du bonus écologique à un score CO2. Mais, sur ce sujet comme sur tant d'autres, le Gouvernement fait du « en même temps ». Vous cherchez à encourager la production en France, mais vous pénalisez en même temps la consommation de véhicules français.

Les ZFE (zone à faibles émissions), sans encadrement du prix des véhicules, ont été une aubaine pour les constructeurs qui ont augmenté leurs tarifs et se sont enrichis, comme jamais auparavant, sur les aides publiques. Le prix de la Dacia Spring de Renault a, par exemple, augmenté de 3 810 euros entre 2021 et 2023. Il a ensuite chuté de 2 400 euros après l’arrêt du bonus écologique, ce qui démontre la prédation à laquelle se livrent les constructeurs et au sujet de laquelle je vous avais alerté pendant toute l'année 2023.

En 2024, l'augmentation des prix pratiquée par les constructeurs, la limitation des aides publiques et l'exclusion de certains véhicules du bonus écologique, sans encadrement des prix, ont fait augmenter le reste à charge de 3 000 euros en moyenne, pour un consommateur français désireux d'acquérir un véhicule électrique.

L'arrêt brutal du leasing social, un à deux mois après sa mise en place, décourage définitivement les classes populaires d'accéder à un véhicule électrique.

Vendus trop cher, les véhicules électriques made in France trouvent peu de clients. En conséquence, les usines Renault de Cléon ou de Douai sont régulièrement au chômage partiel. Il y a quinze ans, le parking des salariés de l'usine de Cléon, dans ma circonscription, était rempli des véhicules qu'ils produisaient. Aujourd'hui, ces salariés ne peuvent plus se payer que la Dacia qui concurrence leur propre emploi. Voici le résultat de vingt ans de course à la compétitivité : des salariés obligés de creuser leur propre tombe.

Mais le pire est que les marges explosent dans le secteur : elles ont augmenté de 7 % pour Renault, tandis que Stellantis a réalisé en 2023 18 milliards de bénéfices, devenant le numéro 2 du CAC40. Pourtant Renault supprime 1 700 emplois en un an et va produire la Legend en Chine et en Slovénie ; on apprend que Stellantis va produire la C3 en Slovaquie, elle qui vient d'annoncer la mise à mort du dernier site de production automobile de Seine-Saint-Denis, celui de son sous-traitant MA France, qui employait 400 personnes.

Les conditions des salariés restant dans le secteur ne sont guère vivables. Les ouvriers commencent à peine au-dessus du Smic, pour faire les trois-huit. Les licenciements pour troubles musculo-squelettiques se multiplient.

Ma question est simple : avez-vous l'intention de continuer encore longtemps à arroser le secteur automobile d'argent public, sans demander de contrepartie sur la baisse du prix des véhicules made in France, sur la création d'emplois en France et sur des rémunérations décentes pour les salariés français ?

Mme la présidente . La parole est à M. le ministre délégué chargé des comptes publics.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué chargé des comptes publics . Vous savez que la France a renforcé l'ambition environnementale du bonus écologique et a lancé – vous l'avez évoqué – le leasing social, avec une voiture électrique à 100 euros par mois pour les ménages les plus modestes.

Mme Alma Dufour . Mais vous l'avez arrêté !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué . Ces aides contribuent à démocratiser les véhicules propres et à réduire l'écart de prix avec les véhicules thermiques : c'est l'enjeu auquel nous devons faire face. Une baisse de prix des véhicules électriques a d'ailleurs été constatée en 2024, encouragée par l'arrivée sur le marché de véhicules plus accessibles, produits en France, ainsi que par le développement d'un marché de l'occasion et par des solutions comme le rétrofit de véhicules thermiques, que nous continuons à encourager.

Après des années difficiles, liées à une succession de crises et à un marché de l'automobile en berne, la bonne santé financière retrouvée des deux constructeurs français historiques, Renault et Stellantis, mais aussi la production record de l'usine Toyota d'Onnaing, permettent à la filière d'investir en France et d'envisager sereinement l'électrification de la production. Les annonces de Renault autour du pôle ElectriCity à Douai ou l'engagement pris par Stellantis de produire plus de douze modèles en France témoignent de cette capacité d'investissement mais aussi de l'attractivité et de la compétitivité de la France en matière de production de véhicules. Ces nouvelles perspectives auront des retombées concrètes pour le site de Cléon, par exemple, qui doit produire plus d'un demi-million de moteurs électriques, ou pour le site de Douai, que vous avez cité, qui doit accueillir la production de nouveaux modèles, dont la nouvelle R5, attendue pour la fin de l'année 2024 et dont le prix de départ, hors bonus, devrait être inférieur à 25 000 euros.

Nous pouvons nous réjouir de ces investissements et de l'adoption, aussi rapide que possible, du véhicule électrique, alors que la filière, comme les citoyens, doivent prendre un virage important vers la décarbonisation de l'industrie et celle des déplacements du quotidien.

Mme la présidente . La parole est à Mme Alma Dufour.

Mme Alma Dufour . Ce qui est agaçant, avec ce Gouvernement, c'est que vous répondez à côté.

Vous avez arrêté le leasing social au bout de deux mois, sans jamais prévenir les consommateurs français que l'enveloppe était limitée dans le temps. Les gens se sont rués dessus parce qu'ils en ont besoin, notamment dans les ZFE, et vous avez brutalement mis fin à cette politique. Ce n'est pas acceptable.

Vous dites ensuite que le prix des véhicules électriques baisse ; mais c'est parce que vous faites référence au prix de ceux qui sont fabriqués à l'étranger. C'est de cela que je vous parle : comment faire pour que baisse le prix des véhicules made in France, notamment par Stellantis ? Je veux bien attendre la Renault R5, mais je doute fortement qu'elle soit prête en 2025. Et où son moteur sera-t-il fabriqué ? En France ? Sera-t-elle assemblée en Slovénie ? Nous n'avons aucune garantie, ni chez Renault ni chez Stellantis, que les véhicules abordables pour les classes moyennes et les classes populaires seront fabriqués en France.

Vous pouvez faire des véhicules haut de gamme dans les usines françaises, mais ils ne se vendent pas, et les salariés se retrouvent en conséquence au chômage partiel. Et ce chômage partiel sera utilisé par les entreprises pour fermer des sites au prétexte qu'ils ne sont pas productifs. Je le répète : Stellantis vient de supprimer 400 emplois, en Seine-Saint-Denis, chez son sous-traitant MA France. Voilà la réalité : quels sont les engagements des constructeurs en termes d'emplois en France ?

Données clés

Auteur : Mme Alma Dufour (Normandie - La France insoumise - Nouvelle Union Populaire écologique et sociale)

Type de question : Question orale

Rubrique : Automobiles

Ministère interrogé : Économie, finances, souveraineté industrielle et numérique

Ministère répondant : Économie, finances, souveraineté industrielle et numérique

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 7 mai 2024

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