16ème législature

Question N° 7451
de M. Philippe Gosselin (Les Républicains - Manche )
Question écrite
Ministère interrogé > Culture
Ministère attributaire > Culture

Rubrique > tourisme et loisirs

Titre > Gites SACEM

Question publiée au JO le : 18/04/2023 page : 3471
Réponse publiée au JO le : 11/07/2023 page : 6432

Texte de la question

M. Philippe Gosselin appelle l'attention de Mme la ministre de la culture sur l'obligation faite aux établissements d'hébergement touristique de verser des droits d'auteur à la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM). Actuellement, la SACEM effectue des démarches auprès des propriétaires de gîtes et de chambres d'hôtes en vue d'obtenir le paiement d'une redevance au titre des droits d'auteur. Cette situation interroge pour trois raisons : d'abord, si la redevance en matière de rémunération équitable versée aux artistes-interprètes et aux producteurs de phonogrammes est prévue par l'article L. 214-1 du code de la propriété intellectuelle, en contrepartie de la communication au public de phonogrammes du commerce, il n'est aucunement assuré que les usagers de ces hébergements utilisent les moyens de diffusion à leur disposition (télévision, radio, etc.). Leur utilisation, même ponctuelle, n'est en rien avérée. Il est alors impossible d'établir quelles œuvres ont effectivement été diffusées et quelle est la rémunération qui pourrait en découler pour les auteurs. Ensuite, la taxation d'office des propriétaires de gîtes et chambres d'hôtes mise en œuvre par la SACEM ne tient pas compte de l'usager redevable : l'hébergeur met à disposition l'intégralité de l'hébergement mais ne préside pas à l'utilisation de tous les services existants. En d'autres termes, ce n'est pas l'hébergeur qui diffuse telle ou telle œuvre, c'est le « locataire-client » qui décide s'il en jouit ou non et c'est aussi lui qui en bénéficie, dans un espace touristique privatisé, pour le seul usage des habitants de la location. Enfin, cette situation juridique interroge car, en 2022, la jurisprudence de la cour de cassation semble désuète. En effet, si celle-ci précise qu'un hôtelier qui met à la disposition de ses clients un appareil permettant la réception de programmes de télévision réalise un acte de communication au public mettant en œuvre le droit d'auteur (Cass. Civ. 1ère, 14 janvier 2010, Cass. Civ. 1ère, 6 avril 1994), cette situation de fait n'a plus grand sens en 2022, où par les ordinateurs et les smartphones, chacun peut avoir accès à la réception de programmes audiovisuels ou radiophoniques. Il n'y a donc pas lieu de mettre en place une redevance contre les propriétaires quand chacun des locataires utilise ses appareils privés pour accéder à des contenus audiovisuels. On rappellera aussi que la loi de finances 2023 supprime la redevance TV. Si la seule présence d'équipements génère une taxation d'office, celle-ci devient un encouragement à les supprimer et à diminuer le niveau de confort d'une location touristique, alors même que leur présence entre en compte dans les évaluations des labels et classements touristiques. Les propriétaires visant à développer une offre de qualité sont donc pénalisés dans leur démarche. Plus largement, c'est l'offre touristique locale qui risque de se trouver pénalisée, ainsi que, par répercussion, l'ensemble de la destination et les activités annexes. Ce sujet est particulièrement important pour l'économie touristique des départements qui développent un tourisme de qualité comme la Manche. Aussi, il interroge le Gouvernement sur les moyens pour connaître l'état précis du droit en la matière et si ce qu'il compte, le cas échéant, mettre en œuvre pour corriger cette situation et, notamment, s'il envisage de moderniser la législation du code de la propriété intellectuelle sur cet enjeu.

Texte de la réponse

Le code de la propriété intellectuelle (CPI) reconnaît aux titulaires de droits de la musique des droits patrimoniaux sur leurs œuvres, prestations ou phonogrammes. Les sommes dont le paiement est aujourd'hui réclamé par la société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM) aux exploitants d'hébergements touristiques (hôtels, résidences de tourisme, chambres d'hôtes, gîtes et meublés de tourisme) qui procèdent à des diffusions musicales dans leurs parties communes ou leurs chambres couvrent non seulement la rémunération due aux auteurs et compositeurs, mais aussi la rémunération, dite « rémunération équitable », due aux artistes-interprètes et aux producteurs de phonogrammes au titre de la diffusion publique des phonogrammes du commerce. L'intervention de la SACEM est juridiquement fondée, s'agissant des droits d'auteur, sur l'article L. 122-2 du CPI qui soumet à l'autorisation de l'auteur la représentation de son œuvre, laquelle consiste dans la « communication de l'œuvre au public par un procédé quelconque ». Selon les juridictions françaises et européennes, la distribution d'un signal au moyen d'appareils de télévision par un établissement hôtelier aux clients installés dans les chambres de cet établissement, quelle que soit la technique de transmission du signal utilisée, constitue un acte de communication soumis au droit d'auteur (cf. notamment CJCE, 7 décembre 2006, C 306/05). La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a certes écarté l'existence d'un tel acte dans des affaires récentes concernant la location de véhicules équipés de postes de radio ou encore la présence de systèmes de sonorisation dans des moyens de transport, mais sur la base d'un raisonnement qui n'est pas transposable aux hypothèses où « des prestataires de services transmettent délibérément à leur clientèle des œuvres protégées, en distribuant un signal au moyen de récepteurs qu'ils ont installés dans leur établissement » (CJUE, 2 avril 2020, C-753/18 ; v. dans le même sens : CJUE, 20 avril 2023, C 775/21 et C 826/21). En outre, selon la jurisprudence actuelle de la CJUE, il suffit que l'œuvre soit mise à la disposition du public de sorte que les personnes puissent y avoir accès sans qu'il soit déterminant qu'elles utilisent ou non cette possibilité. Le fait que les clients n'aient pas mis en marche l'appareil de télévision et n'aient pas eu effectivement accès aux œuvres n'a pas été jugé déterminant (cf. CJCE, 7 déc. 2006, SGAE, C 306/05). Au-delà du bien-fondé de l'intervention de la SACEM, la question de l'adéquation du montant des redevances réclamées demeure une préoccupation importante pour les professionnels du secteur touristique. Le ministère de la culture n'est pas compétent pour intervenir dans la fixation des modalités de collecte et de répartition de cette rémunération – cette dernière ne constitue pas en effet une taxe ou une redevance de nature fiscale –, mais demeure attentif à ce que les organismes de droit privé, telle que la SACEM, prennent en compte les préoccupations exprimées par les propriétaires de gîtes et de chambres d'hôtes. À cet égard, la SACEM a introduit en 2014 un système de tarification simplifié réservé aux petits établissements d'hébergement touristique disposant de 10 chambres ou moins, ainsi qu'aux chambres d'hôtes et gîtes. Le montant de ce forfait annuel, soit 120,11 € HT en 2022 au titre des droits d'auteur, tend à harmoniser le traitement de ces petites structures. Ce forfait a été établi par référence au minimum applicable aux établissements hôteliers. Il convient en effet de s'assurer que le traitement spécifique accordé aux établissements d'hébergement touristique n'induise pas de distorsion de concurrence au détriment des exploitants d'établissements hôteliers. En vue de simplifier les modalités d'accès aux œuvres, sans pour autant priver les auteurs de leurs droits et de la juste rémunération de leur activité créatrice, la SACEM poursuit actuellement des discussions avec les principales fédérations et associations représentant les acteurs de l'hébergement touristique. Cela devrait permettre d'adapter les conditions de son intervention à la réalité des exploitations les plus modestes.