Prévention de la maltraitance de la petite enfance
Question de :
Mme Sophia Chikirou
Paris (6e circonscription) - La France insoumise - Nouvelle Union Populaire écologique et sociale
Mme Sophia Chikirou interroge M. le ministre des solidarités, de l'autonomie et des personnes handicapées sur les suites que le Gouvernement compte donner au rapport de l'inspection générale des affaires sociales commandé par ses soins sur « la qualité de l'accueil et la prévention de la maltraitance dans les crèches ». Sur une requête de M. le ministre et à la suite du décès d'un enfant au sein d'une crèche collective en juin 2022, l'IGAS publiait en mars 2023 un rapport sur la qualité de l'accueil et la maltraitance dans les crèches. Ce rapport fait état de cas alarmants de maltraitance : des enfants oubliés sur les toilettes ou dans des parkings, des privations d'eau pour éviter de changer des couches, des privations de repas, des forçages alimentaires ou encore des appellations désobligeantes données aux enfants par les professionnels de la petite enfance. Le texte détaille les facteurs de risques favorisant une telle maltraitance dans les structures d'accueil de jeunes enfants : dégradation des conditions de travail, formation insuffisante, manque de temps de réflexion et d'élaboration, culture insuffisante du signalement. Pour prévenir la maltraitance, pointe le rapport, il faut répondre à la pénurie des professionnels qui réduit le temps alloué au « lien individuel avec l'enfant ». Il manquerait 10 000 temps pleins au bon fonctionnement des structures actuelles, sans compter le besoin de création de places en crèche. Le taux de vacance est entre 6,5 % et 8,6 %. Les conditions de travail actuelles dans les crèches sont, elles aussi, incompatibles avec la bientraitance des enfants. Le rapport alerte sur le rythme de travail séquencé « à la chaîne », qui vide l'activité de son sens, favorise la négligence, priorise les contraintes de réalisation de l'activité vis-à-vis des besoins de la personne accueillie, le tout accompagné par un management dysfonctionnel « qui n'accueille pas les doutes et les erreurs des professionnels ». Les facteurs de stress multiples, la charge de travail importante, la fatigue et le surmenage, la perte de sens contribuent à dévaloriser les métiers pourtant essentiels de la petite enfance. À cela s'ajoute le manque de formation, souligné par l'IGAS, les syndicats et les directeurs de structure qui décrivent des professionnels souvent livrés à eux-mêmes, notamment pour l'accueil d'enfants particulièrement vulnérables ou en situation de handicap. Mme la députée interpelle ainsi M. le ministre sur la manière dont le Gouvernement compte mettre en œuvre les recommandations émises par le rapport susmentionné. Elle insiste sur l'urgence de rétablir des taux d'encadrement qui permettent la bientraitance dans les établissements de la petite enfance, à hauteur de 5 enfants par adulte, comme indiqué par le rapport. Elle souligne également les manquements au code de la santé publique concernant les conditions de travail des professionnels du secteur et les besoins de formation de ces professionnels. Mme la députée rappelle, enfin, que la revalorisation des métiers de la petite enfance, par la formation et l'amélioration des conditions de travail et d'encadrement, est une condition sine qua non à la création des nouvelles places de crèche promises par le Gouvernement. Elle pointe que, pour répondre aux besoins des familles, il faudrait former 30 % de professionnels en plus et créer 500 000 places supplémentaires. Mme la députée interpelle par ailleurs M. le ministre sur la libéralisation de la garde et des crèches, au profit du secteur privé (hors associatif), très lucratif, peu réglementé, régi par des logiques de profit au détriment des conditions d'accueil des enfants, tout en appliquant souvent des tarifs prohibitifs. Dans le même temps, l'existence même des crèches associatives est menacée : à Paris, 65 à 75 % des gestionnaires associatifs sont déficitaires en 2021 alors que les associations offrent des solutions accessibles à 95 000 familles et sont gestionnaires d'1/4 des places de crèches. Mme la députée interroge donc M. le ministre sur les investissements à venir pour créer un service public de la petite enfance : quels modes d'attribution des financements publics pour que les gestionnaires puissent se concentrer sur le bien-être des enfants plutôt que sur leur taux de remplissage, sans augmenter le coût pour les familles ? Quel renforcement des moyens de la branche famille pour contrôler les modèles économiques du secteur privé lucratif tout en apportant de la transparence sur les coûts pour les familles et les finances publiques ? Mme la députée rappelle également que le congé parental représente une alternative favorisant à la fois le bien-être familial et l'émancipation économique des femmes. À ce titre, il conviendrait d'étudier avec sérieux la proposition du rapport « d'établir un congé parental de 4 mois pour les 2 parents » ainsi que la possibilité d'adapter les modalités de ce congé selon le choix des familles : revalorisation de l'allocation dès le premier enfant, réduction du temps de travail, aménagement du travail. Elle souhaite connaître sa position sur ce sujet.
Réponse publiée le 24 octobre 2023
Les difficultés structurelles et conjoncturelles qui fragilisent l'offre de modes d'accueil constituent une préoccupation forte du Président de la République qui a fait de la refondation du secteur de la petite enfance une priorité afin de permettre à toutes les familles de disposer d'une solution d'accueil de qualité pour leurs jeunes enfants. Le ministère chargé des solidarités a demandé à l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) de faire la lumière sur l'ensemble des facteurs qui conduisent, de manière directe ou indirecte, à dégrader la qualité d'accueil. Rendu public le 11 avril 2023, ce rapport fait le constat d'une grande hétérogénéité au sein du secteur de la petite enfance, avec des établissements de grande qualité portés par une réflexion pédagogique approfondie, comme des établissements de qualité dégradée. Pour remédier à cette situation, le rapport propose 7 axes de préconisations qui sont repris dans le volet qualité du service public de la petite enfance. La mise en place d'un service public de la petite enfance, annoncée par la Première ministre le 1er juin 2023, a pour ambition de répondre aux multiples défis que rencontre le secteur. Le préalable au développement quantitatif et qualitatif de l'offre d'accueil du jeune enfant est la lutte contre la pénurie de professionnels de la petite enfance. Améliorer les conditions de travail et surmonter le risque de pénurie de professionnels permettra, dans le même temps, d'offrir aux enfants de meilleures conditions d'accueil. Pour ce faire, un comité de filière petite enfance a été installé dès novembre 2021, afin de mettre en place une gestion prévisionnelle territoriale et nationale partagée des emplois et des compétences visant à faire face à court terme à la pénurie de professionnels de la petite enfance (auxiliaires de puériculture, éducateurs de jeunes enfants et infirmières puéricultrices) ; et à répondre au sentiment de manque de reconnaissance des professionnels et au besoin de réaffirmation du sens de leur activité en œuvrant à améliorer l'attractivité des métiers de la petite enfance (notamment en matière de rémunération et de mobilité professionnelle). A la suite des travaux du comité de filière de la petite enfance et des recommandations du rapport IGAS, des engagements ont d'ores et déjà été pris pour accroître la qualité d'accueil. S'agissant de l'attractivité des métiers, un travail de préfiguration pour la création d'un observatoire de la qualité de vie au travail dans la petite enfance a été piloté par l'agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (ANACT). Les conclusions devraient être remises au mois de septembre. En outre, en juin 2023, les membres du comité de filière ont signé un document d'engagement pour un socle commun en faveur des professionnels de l'accueil du jeune enfant prévoyant notamment, l'application d'une convention collective à tous les salariés de l'accueil collectif, la définition des emplois repères et la fixation des salaires minimum d'entrée sur ces emplois repères. Cet accord prévoit également des revalorisations des grilles salariales ou la mise en place de politiques d'amélioration des conditions de travail. Les branches professionnelles signataires qui mettront en œuvre leurs engagements se verront accompagner par la branche famille pour revaloriser les salaires. 238 millions d'euros sont prévus chaque année à cette fin dans la Convention d'objectifs et de gestion (COG) 2023-2027 qui lie l'Etat et la caisse nationale d'allocations familiales (CNAF). L'octroi de ces financements supplémentaires sera conditionné à la révision des conventions collectives afin de garantir l'application du socle minimal, en particulier les salaires d'entrée sur les emplois repères. Un plan relatif à l'attractivité du métier d'assistant maternel devrait, par ailleurs, être présenté à l'automne. Le nouveau service public de la petite enfance permettra, par ailleurs, d'améliorer la qualité institutionnelle d'accueil et de prévenir le risque de la maltraitance en réformant les règles d'organisation et de financement des modes d'accueil. Sera mise à l'œuvre une réforme de la prestation de service unique pour alléger la pression résultant du financement à l'heure ainsi qu'une mission IGAS et de l'Inspection générale des finances (IGF) pour rendre sous six mois des préconisations d'évolution du modèle de financement et de réglementation des micro-crèches par la prestation d'accueil du jeune enfant (PAJE). L'article 10 bis du projet de loi Plein emploi pose les fondations d'une nouvelle culture du contrôle et de l'évaluation de la qualité d'accueil. En matière d'amélioration de la qualité d'accueil, si la publication de la Charte nationale d'accueil du jeune enfant par arrêté du 23 septembre 2021 avait permis de formaliser la priorité donnée à la qualité dans l'accueil du jeune enfant en posat les bases nécessaires au développement harmonieux, respectueux des droits et des besoins et la singularité de chaque enfant dans tous les modes d'accueil, l'article 10 bis prévoit sa déclinaison opérationnelle dans des référentiels de pratiques professionnelles afin d'ancrer dans la recherche l'amélioration collective, continue et durable de la qualité d'accueil. Ces outils s'accompagneront du déploiement d'un programme national de recherche « petite enfance » pour développer les connaissances sur le développement du jeune enfant et garantir leur diffusion auprès de l'ensemble des adultes qui en prennent soin. L'article 10 bis s'assure aussi de renforcer le système de contrôle et de suivi des suspicions de maltraitance au sein des lieux d'accueil. Pour cela, les responsabilités de chaque acteur chargé du contrôle seront précisées et les acteurs seront encouragés les échanges d'informations entre eux. Ces acteurs disposeront de nouveaux leviers en matière de sanction allant jusqu'à la fermeture des établissements. Les procédures de contrôles seront clarifiées et des guides nationaux d'évaluation de la qualité seront élaborés afin de faciliter l'exercice des missions de contrôle. De plus, l'article 10 bis prévoit les modalités de publication et de transmission des résultats des contrôles. De plus, de nouveaux pouvoirs de sanctions seront accordés aux inspections générales des finances et des affaires sociales afin qu'ils puissent, notamment, contrôler les sièges des groupes de crèches privées. Afin de créer un réflexe de vigilance et de suivi des suspiscions de maltraitance, Florence Dabin, présidente du GIP Enfance en Danger, a été missionnée par la ministre des Solidarités et des Familles afin de proposer des recommandations sur la mise en place d'un système unifié de recension, de remontée et de suivi des signalements. Une gouvernance renouvelée de la politique petite enfance et un approfondissement du pilotage de la qualité d'accueil sont nécessaires pour construire un service public de la petite enfance qui apportera aux Françaises et aux Français une offre d'accueil du jeune enfant qui soit à la fois sécurisée et de qualité, financièrement accessible et disponible en nombre suffisant pour répondre aux besoins de tous les parents de jeunes enfants.
Auteur : Mme Sophia Chikirou
Type de question : Question écrite
Rubrique : Enfants
Ministère interrogé : Solidarités, autonomie et personnes handicapées
Ministère répondant : Solidarités et familles
Dates :
Question publiée le 25 avril 2023
Réponse publiée le 24 octobre 2023