Question orale n° 779 :
Comment réduire le coût du racisme

16e Législature

Question de : M. Rodrigo Arenas
Paris (10e circonscription) - La France insoumise - Nouvelle Union Populaire écologique et sociale

M. Rodrigo Arenas appelle l'attention de M. le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique sur le fait que sur le territoire où il est élu, il a la chance de voir la part de sa population jeune rester relativement stable. Ces jeunes naissent, grandissent, vont à l'école, ici, à Paris, dans les 13e et 14e arrondissements. Malheureusement, M. le député est de plus en plus souvent interpellé par des familles venues, il y a parfois des années de cela, d'Asie, d'Afrique ou encore du Maghreb et qui lui disent le malaise ressenti par leurs enfants victimes plus ou moins ouvertement de racisme. Ce climat les pousse parfois, même de plus en plus souvent, à quitter la France. Ce sont donc des millions d'euros qui sont dépensés pour faire grandir et former ces jeunes qui sont ainsi perdus chaque année. D'après « France Stratégie », le pays pourrait gagner jusqu'à 1,5 point de PIB sur les 20 prochaines années si on réduisait les discriminations raciales. Il lui demande donc quelle part du budget il va allouer à la lutte contre le racisme, quel chiffrage précis il peut lui donner par exemple pour le plan national contre le racisme, l'antisémitisme et les discriminations, et comment il planifie la baisse du coût du racisme en France sur les années à venir.

Réponse en séance, et publiée le 29 mai 2024

LUTTE CONTRE LE RACISME
Mme la présidente . La parole est à M. Rodrigo Arenas, pour exposer sa question, no 779, relative à la lutte contre le racisme.

M. Rodrigo Arenas . Si vous vous plaisez à dire que notre pays est une terre d'accueil pour les capitaux étrangers ou encore pour les touristes venus du monde entier, nous vous entendons beaucoup moins parler de tous ces jeunes qui s'y sentent moins bien accueillis et qui vont même jusqu'à quitter notre territoire, parfois définitivement. Des publications universitaires disent le sentiment de malaise ressenti par un nombre grandissant de Françaises et de Français, qui ne trouvent plus leur place en France alors qu'ils sont pourtant chez eux. Le mal-être de nos concitoyens, je l'entends aussi dans ma circonscription.

Madame la ministre déléguée chargée des entreprises, du tourisme et de la consommation, chers collègues, Paris n'a pas attendu les Jeux olympiques et paralympiques (JOP) pour être une ville-monde. Notre capitale se caractérise par sa mixité culturelle puisqu'on estime à environ 20 % la population d'origine étrangère. Dans une partie de ma circonscription, cette part atteint même les 30 %. Pourtant, j'entends monter des rues populaires, des quartiers cosmopolites, l'inquiétude croissante de certaines familles, qui me disent que leurs fils ou leurs filles ont décidé de tenter leur chance à l'étranger – aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Australie, dans les pays de la péninsule arabique, soit autant de pays où ils peuvent compter sur leur mérite, quelle que soit leur origine. Chez nous, les chiffres sont sans appel : 1,2 million de personnes subissent une discrimination ou une atteinte à caractère raciste ou antisémite chaque année. Dans mon territoire, les jeunes issus de l'immigration ne trouvent pas de logement ou d'emploi parce qu'ils subissent une discrimination liée à leur patronyme ou à leur faciès.

Selon l'Institut Montaigne, que le Gouvernement n'accusera certainement pas d'islamo-gauchisme, les hommes perçus comme musulmans par les employeurs ont jusqu'à quatre fois moins de chance d'obtenir un entretien d'embauche que les candidats perçus comme chrétiens – ces qualifications ne devraient évidemment pas avoir de sens dans notre république, mais les études attestent qu'elles en ont, malheureusement, au quotidien. Dans son livre Les épreuves de la vie, le sociologue Pierre Rosanvallon, professeur au Collège de France, souligne l'amertume et les dommages psychologiques que ces discriminations causent à nos concitoyens.

Le racisme du quotidien a aussi un coût financier, dont on parle trop peu. Quand on sait qu'un enfant qui grandit en bonne santé et reçoit une éducation convenable coûte en moyenne 180 000 euros jusqu'à ses vingt ans, on ne peut s'empêcher de penser, quand on le voit quitter l'Hexagone, que c'est un terrible gâchis, y compris économique. Ce racisme, diffus mais quotidien, empêche les individus d'exploiter leur potentiel économique et éloigne de la France des jeunes qui mettent leur talent au service d'autres pays, moins regardants sur leur origine. D'après France Stratégie, si nous réduisions les discriminations raciales dans l'accès à l'emploi, dans le travail et dans l'éducation, notre pays pourrait gagner jusqu'à 1,5 point de PIB au cours des vingt prochaines années. D'autres calculs estiment à près de 10 milliards d'euros le manque à gagner chaque année du fait de ces talents gâchés. L'État investit et forme une jeunesse qui souffre de discriminations et qui, faute d'embauche, malgré ses compétences, ne contribue pas à produire la richesse nationale. Ainsi le coût de nos intolérances est-il devenu une charge économique.

Madame la ministre déléguée, vous qui êtes chargée de l'économie avec Bruno Le Maire, à qui s'adressait initialement cette question, comment vous assurerez-vous que des moyens seront fléchés vers le plan national 2023-2026 de lutte contre le racisme, l'antisémitisme et les discriminations liées à l'origine ? Plutôt que de mener à la hache des coupes budgétaires aveugles et de faire les poches des plus précaires,…

Mme la présidente . Merci, cher collègue !

M. Rodrigo Arenas . …quelles mesures prendrez-vous pour que le racisme cesse de coûter de l'argent à la France et d'appauvrir nos territoires, en particulier le 13e et le 14e arrondissements de la capitale ?

Mme la présidente . La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des entreprises, du tourisme et de la consommation.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des entreprises, du tourisme et de la consommation . Je vous ai écouté avec attention, monsieur Arenas. Je ne partage pas vos observations finales, mais je vous remercie pour la qualité de votre question sur un sujet très important. Le fait que la France accueille 10 millions de visiteurs n'est pas contradictoire avec la tendance actuelle des jeunes à voyager. Dans notre monde ouvert et globalisé, ils tentent des expériences temporaires, parfois durables, à l'étranger. Nous savons tous que les voyages forment la jeunesse. Indépendamment de la problématique que vous soulevez, que je ne nie pas, les jeunes sont nombreux à vouloir enrichir leur parcours d'un séjour à l'étranger. S'ils partent, ce n'est donc pas uniquement parce que notre pays est devenu un enfer…

En tout état de cause, le Gouvernement est pleinement engagé dans la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et toutes les formes de discrimination. Un plan ambitieux couvrant la période de 2023 à 2026 a été lancé au début de l'année dernière. Il comporte plusieurs actions importantes, notamment l'instauration de testings pour l'accès à l'emploi et au logement. Nous avons alloué des moyens financiers à ces actions. Les crédits d'intervention de la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah) sont passés de 6,1 millions d'euros en 2020 à 8,1 millions en 2023, soit une hausse de plus de 30 %. Compte tenu de la situation, ces crédits connaissent une nouvelle hausse particulièrement forte en 2024, puisqu'ils sont portés à 17 millions d'euros, soit plus du double des crédits de l'année précédente. Ce fort relèvement vise à accompagner la mise en place opérationnelle de testings, pour un budget de 3 millions d'euros. L'État a aussi augmenté son soutien financier au mémorial de la Shoah en rehaussant les montants de la subvention de 2 à 2,5 millions d'euros. Ces crédits sont portés par le programme 129, Coordination du travail gouvernemental, qui concerne l'action des services placés auprès du Premier ministre. En complément, des actions sont menées par le ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse et par le ministère de la culture.

Le Gouvernement partage votre objectif de renforcer la visibilité d'ensemble de la lutte contre le racisme. C'est la raison pour laquelle la loi de finances initiale pour 2024 prévoit l'élaboration d'une nouvelle annexe au projet de loi de finances (PLF) : un document transversal présentant les crédits dédiés à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et les discriminations liées à l'origine dans différents périmètres budgétaires. Je rappelle, par ailleurs, que la majorité, par le truchement du député Marc Ferracci, défend la proposition de loi visant à lutter contre les discriminations par la pratique de tests individuels et statistiques. Je ne doute pas que nous finirons par trouver un accord sur ce texte, ce qui n'est pas encore le cas.

Données clés

Auteur : M. Rodrigo Arenas

Type de question : Question orale

Rubrique : Discriminations

Ministère interrogé : Économie, finances, souveraineté industrielle et numérique

Ministère répondant : Économie, finances, souveraineté industrielle et numérique

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 21 mai 2024

partager