Dématérialisation comme obstacle majeur à l'accès aux droits
Question de :
Mme Danièle Obono
Paris (17e circonscription) - La France insoumise - Nouvelle Union Populaire écologique et sociale
Mme Danièle Obono alerte M. le ministre de la transformation et de la fonction publiques sur la rupture d'accès aux droits que représente la dématérialisation pour de nombreuses personnes âgées, étrangères, en situation de précarité - mais aussi, contrairement aux idées reçues - pour de nombreux jeunes, dont un quart indique rencontrer des difficultés pour réaliser seuls des démarches en ligne. Continuité, égalité, adaptabilité : ces grands principes censés guider les services publics en France sont bafoués par cette dématérialisation qui ressemble bien plus à un abandon. Aussi, elle lui demande ce qu'il compte faire sur ce sujet.
Réponse en séance, et publiée le 11 janvier 2023
DÉMATÉRIALISATION ET ACCÈS AUX DROITS
Mme la présidente. La parole est à Mme Danièle Obono, pour exposer sa question, n° 77, relative à la dématérialisation et à l'accès aux droits.
Mme Danièle Obono. « On parle de dématérialisation, moi je parle de déshumanisation du système. On ne met plus personne devant les gens. On les laisse se débrouiller avec des moyens auxquels ils n’ont pas accès. » Ce constat d’Houria Rahmouni Benahmed, coordinatrice de l’association Zy'Va, à Nanterre, est aujourd’hui largement partagé par tous les acteurs et actrices de terrain qui, des villes ultradensifiées aux campagnes désertifiées, doivent pallier les dégâts d’une dématérialisation austéritaire des services publics. En octobre dernier, un collectif d’associations a ainsi interpellé votre gouvernement, madame la ministre déléguée, sur les ayants droit à la retraite. Ces personnes se retrouvent de plus en plus face à des portes closes à la suite de la fermeture des agences de la Caisse nationale d’assurance vieillesse ; elles sont systématiquement réorientées vers des plateformes téléphoniques saturées ou des espaces en ligne inaccessibles ; elles se tournent alors vers les associations, aux moyens de plus en plus réduits et qui sont confrontées aux mêmes difficultés que les usagers : refus injustifiés, pertes de dossiers, dysfonctionnements informatiques, services injoignables, formation insuffisante des conseillers techniques, etc.
Ainsi, loin de simplifier l’accès aux droits, la politique de dématérialisation mise en œuvre par votre gouvernement s’accompagne d’un allongement des délais de traitement et d’une forte augmentation des difficultés techniques, allant jusqu’à entraîner des interruptions de versements de plusieurs mois et donc une aggravation de la précarité. C'est vrai non seulement pour les retraites, mais aussi pour nombre d'autres prestations relevant de services publics. Dans son rapport de février 2022, la Défenseure des droits ne disait pas autre chose, alertant sur la rupture d’accès aux droits que la dématérialisation représente pour de nombreuses personnes âgées et pour les personnes précaires ou étrangères, mais également – contrairement aux idées reçues – pour de nombreux jeunes, un quart d'entre eux rencontrant des difficultés pour réaliser seuls des démarches en ligne.
Continuité, égalité, adaptabilité : ces grands principes du service public sont aujourd’hui bafoués ! Quelle continuité quand les usagers et les usagères se retrouvent face à des guichets fermés et à des lignes occupées ? Quelle égalité quand 22 % de la population ne dispose ni d’ordinateur ni de tablette à domicile, 15 % n'ayant de toute façon pas de connexion internet ? Quelle adaptabilité quand c’est désormais à l’usager de se substituer à l’administration et de trouver les moyens de se former, de se faire aider, de faire, d’être capable ?
La numérisation, qui aurait pu et dû faciliter l’accès aux droits des usagers et des usagères et le travail des agents et des agentes, sert en fait à appliquer l’austérité budgétaire et à accélérer la casse des services publics.
Madame la ministre déléguée, quand le Gouvernement va-t-il procéder à la réouverture des guichets physiques d’accueil des services publics et à l’embauche de fonctionnaires en nombre suffisant pour permettre l’extension de leurs horaires d’ouverture et l’accompagnement des usagers ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’enseignement et de la formation professionnels.
Mme Carole Grandjean, ministre déléguée chargée de l’enseignement et de la formation professionnels. Madame la députée, le Gouvernement est, comme les Français, particulièrement attaché à l'accès à des services publics de guichet. C'est pourquoi nous agissons concrètement afin de redonner des voix et des visages à nos services publics. Dématérialisation n'a jamais été synonyme d'abandon : en même temps que nous avons simplifié la vie de millions de Français en facilitant les démarches en ligne, nous avons développé comme jamais les dispositifs de guichet unique sur le terrain, les dispositifs « d'aller vers » et les dispositifs d'inclusion numérique. L'accessibilité numérique est en effet l'enjeu majeur de l'accès aux droits et aux services publics. Quatorze millions de Français se déclarent actuellement en difficulté avec le numérique et, parmi eux, on sait que se trouvent souvent nos aînés, mais aussi certains de nos jeunes qui maîtrisent parfaitement les réseaux sociaux mais rencontrent beaucoup de difficultés lorsqu'il s'agit de réaliser leurs démarches administratives en ligne.
Le Gouvernement veille donc à construire des services publics numériques accessibles pour tous en améliorant et en simplifiant les démarches en ligne – je pense par exemple à FranceConnect –, mais aussi en les rendant accessibles aux personnes en situation de handicap et, plus globalement, en écoutant les usagers. Nous avons ainsi reçu plus de 9 millions d'avis sur les démarches en ligne et les prenons en compte dans un objectif d'amélioration. Il s'agit aussi de développer les dispositifs d'accompagnement au numérique : 4 000 conseillers numériques ont été déployés sur l'ensemble de nos territoires ; ils ont déjà accompagné plus d'un million de Français dans leurs usages numériques, et 6 500 agents, répartis dans 2 600 maisons France Services, réalisent plus de 600 000 accompagnements par mois. Nous allons accélérer. Notre objectif est clair : rendre accessibles l'ensemble des démarches administratives par différents canaux pour que chacun puisse choisir la solution qui lui convient le mieux – en ligne, par téléphone ou auprès d'un agent.
Mme la présidente. La parole est à Mme Danièle Obono.
Mme Danièle Obono. De toute évidence, votre gouvernement n'écoute ni nos interpellations ni celles de la Défenseure des droits qui, au terme d'une deuxième étude sur le sujet, montre dans son rapport que le bilan n'est absolument pas à la hauteur des besoins des usagers et des usagères et que vous faites peser sur les associations, comme je le relevais dans ma question – vous n'avez pas répondu sur ce point –, le service dû par les administrations. Vous faites donc le choix d'abandonner les usagers en facilitant – et même en accélérant – le non-recours aux droits. C'est absolument insupportable et votre réponse, madame la ministre déléguée, montre l'incurie du Gouvernement, qui abandonne réellement les Français et les Françaises, que ce soit dans les grandes villes ou dans les campagnes. C'est, je le répète, absolument insupportable. Toutes et tous vous le rappelleront dans les prochaines semaines.
Auteur : Mme Danièle Obono
Type de question : Question orale
Rubrique : Numérique
Ministère interrogé : Transformation et fonction publiques
Ministère répondant : Transformation et fonction publiques
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 3 janvier 2023