Question orale n°783 : Exonération de l'indemnisation des éleveurs après la tuberculose bovine

16ème Législature

Question de : M. Jérôme Nury (Normandie - Les Républicains)

M. Jérôme Nury appelle l'attention de M. le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire sur l'exonération fiscale et sociale de l'indemnisation des éleveurs faisant suite à l'abattage sanitaire imposé par l'État après découverte de tuberculose bovine dans le cheptel. Depuis 2017, le département de l'Orne est le théâtre de plusieurs cas avérés de tuberculose bovine obligeant, conformément aux directives administratives, à l'abattage des troupeaux affectés. Une situation sanitaire qui conduit à des épreuves douloureuses pour les éleveurs. C'est le cas notamment pour des éleveurs du bocage qui, après l'abattage de l'intégralité de leur troupeau en 2019, sont de nouveau confrontés cette année à un foyer de contamination dans leur ferme. C'est le cas également de nouvelles fermes, dans des périmètres de plus en plus larges. L'État prévoit une indemnisation face à ce drame. Bien que cette solidarité soit importante à leur égard, deux difficultés apparaissent : le recouvrement intégral du préjudice pour l'éleveur et le règlement élevé d'impôts sur le revenu et des cotisations sociales non compensées par l'État. Si la valeur économique d'un élevage entier peut sembler importante en cas d'indemnisation, elle reste néanmoins un trompe-l'œil sur l'état des finances de l'éleveur. Celui-ci n'ayant abattu son cheptel que sur ordre de l'administration, il paraît injuste d'imposer cette somme qui va servir à repeupler la ferme et reconstituer le cheptel. Récemment, un éleveur ornais a dû se résoudre à l'abattage de ses 700 bêtes. L'indemnisation perçue, bien qu'apparemment généreuse, se voit en effet assujettie à un impôt proportionnel à son montant. Cet impôt appliqué sur une somme exceptionnelle, que l'éleveur n'aurait jamais envisagé de réaliser en une seule opération, impacte lourdement la trésorerie de l'exploitation agricole déjà mise à mal par la perte du cheptel. Une conséquence d'autant plus incompréhensible que l'indemnisation totale ne reprend pas toujours en intégralité les expertises indépendantes réalisées pour estimer les pertes du professionnel. L'exigence sanitaire ne doit pas être un prétexte pour l'État à décourager le travail de toute une vie des éleveurs dont l'activité fait partie de notre patrimoine. C'est la raison pour laquelle, M. le député demande à M. le ministre d'étudier l'opportunité d'exonérer de cotisations sociales et d'impôt sur le revenu l'indemnisation versée aux éleveurs dans le cadre d'abattages sanitaires obligatoires. Il demande également à ce que la méthode d'évaluation de l'indemnisation puisse être revue afin de recouvrir l'intégralité du préjudice ; cela marquerait un soutien à un secteur vital pour l'économie et la souveraineté agricole tout en protégeant les revenus et la résilience des agriculteurs face aux crises.

Réponse en séance, et publiée le 29 mai 2024

ABATTAGE SANITAIRE OBLIGATOIRE
Mme la présidente . La parole est à M. Jérôme Nury, pour exposer sa question, no 783, relative à l'abattage sanitaire obligatoire.

M. Jérôme Nury . Voilà plusieurs mois que j'alerte les pouvoirs publics, les gouvernements successifs et le ministre de l'agriculture sur la propagation malheureuse, dans l'Orne et le sud du Calvados, de la tuberculose bovine. Cette maladie, qui suscite une grande inquiétude chez les éleveurs, entraîne l'abattage systématique de milliers d'animaux. Du fait du peu de fiabilité des deux tests disponibles sur le marché, il faut attendre l'abattage des bêtes suspectes pour que la contamination soit confirmée ou infirmée : pendant ce temps, les exploitations concernées peuvent se retrouver à l'arrêt pour plusieurs semaines.

Dans la mesure où la zone de prophylaxie a été considérablement étendue, ce sont donc, depuis plusieurs semaines, des dizaines de milliers d'animaux qui sont testés. Les nombreux faux positifs entraînent des abattages en très grand nombre. Les éleveurs, attachés à des bêtes qu'ils ont parfois mis des décennies à sélectionner, sont choqués par ces mesures qui, en quelques minutes et sur de simples suspicions, réduisent leur travail à néant – et ce d'autant plus qu'il s'avère que la presque totalité de ces bêtes abattues sont saines.

Il faut ajouter à cela les inquiétudes de la filière lait cru quant à l'approvisionnement nécessaire à la fabrication du célèbre Camembert AOP – appellation d'origine protégée –, dont les sites de production se trouvent au cœur de la zone contaminée.

Il est urgent, madame la ministre, que les services de l'État réduisent autant qu'il est possible le temps pendant lequel les exploitations sont mises à l'arrêt.

Il est également urgent que l'indemnisation des éleveurs, en particulier quand c'est tout le cheptel qui est abattu à la suite de la découverte d'un cas avéré, soit à la hauteur du traumatisme et du préjudice financier qu'ils subissent.

Depuis plus d'un an, j'alerte votre ministère sur cette immense injustice que constitue la fiscalisation de ces indemnités au titre de l'impôt sur le revenu. Un éleveur ornais ayant récemment touché 1 million en compensation de l'abattage de ses 700 bêtes devra payer près de 140 000 euros supplémentaires en impôts sur le revenu, et ce même en bénéficiant d'un amortissement sur plusieurs années.

Dans la mesure où cette indemnité est destinée à la reconstitution du cheptel, et donc à celle de l'outil de production, il est profondément injuste qu'elle soit considérée comme un revenu supplémentaire imposable.

Il est donc indispensable que cette indemnisation n'entre pas dans le calcul de l'impôt sur le revenu, du moment que l'éleveur poursuit son activité. À défaut, il faudrait au moins que la somme versée prenne en compte ce surcoût d'impôts. Cette solution avait été choisie lors de la crise de l'encéphalopathie spongiforme bovine.

J'ai déjà appelé votre attention sur ce sujet lors des discussions préalables à l'examen du projet de loi d'orientation agricole, qui fera tout à l'heure, dans l'hémicycle, l'objet d'un vote solennel. Les amendements que j'ai déposés en ce sens ont été malheureusement déclarés irrecevables au titre de l'article 45 de la Constitution, car trop éloignés de l'objet du texte.

Il n'existe donc absolument rien à ce sujet dans le projet de loi d'orientation agricole, ce que je juge incompréhensible. C'est maintenant au Gouvernement qu'il revient de régler ce problème dans le cadre de la navette parlementaire, en introduisant dans le texte les dispositions nécessaires. Ce ne serait que justice pour les éleveurs normands : ils comptent sur vous.

Mme la présidente . La parole est à Mme la ministre déléguée à l'agriculture et à la souveraineté alimentaire.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée à l'agriculture et à la souveraineté alimentaire . Je connais l'engagement qui est le vôtre auprès de la filière élevage, monsieur le député. Permettez-moi d'excuser l'absence de M. Marc Fesneau, particulièrement attaché à ces sujets.

Vous demandez l'exonération fiscale des indemnités perçues par les éleveurs au titre de la tuberculose bovine.

Je tiens tout d'abord à dire que nous partageons totalement le désarroi des éleveurs touchés par ces abattages. La lutte contre la tuberculose bovine est avant tout un enjeu de santé publique visant à réduire le risque de transmission de la maladie à l'homme. Ces abattages sont malheureusement nécessaires, dans des circonstances précises, pour garantir la sécurité de nos concitoyens. Ce n'est jamais de gaîté de cœur, et seulement en situation de dernier recours, que la décision d'abattre un troupeau est prise.

L'État mobilise près de 20 millions d'euros par an pour indemniser les éleveurs et soutenir les actions de notre police sanitaire. En complément, 15 millions ont été annoncés dans le cadre du plan de souveraineté sur l'élevage, afin de faire progresser le niveau général de biosécurité des élevages bovins.

Les indemnités versées en compensation de l'abattage d'un troupeau dans le cadre de la lutte contre la tuberculose bovine constituent un revenu imposable, dès lors qu'elles ont pour objet de couvrir la perte d'animaux inscrits dans un compte de stock. Elles ne sont donc pas imposées dans leur totalité, mais seulement sur le montant correspondant à la différence entre l'indemnité et la valeur en stock des animaux abattus.

Il en est de même pour les indemnités versées pour perte de production, dont l'objectif est de compenser une perte d'activité commerciale.

Dans le cadre de la feuille de route renouvelée de lutte contre la tuberculose bovine 2024-2029, qui sera présentée début juillet, un groupe de travail sur les modalités d'indemnisation en cas de foyer de tuberculose commencera ses activités. Il associera tous les représentants des professions agricoles ; ses conclusions seront rendues d'ici à la fin 2024.

Notre ambition est de parvenir à adapter le dispositif d’indemnisation aux évolutions de notre société : je pense à la baisse de l'acceptabilité de l'abattage des troupeaux, ou au regain d'intérêt pour les races à faibles effectifs. La question de la fiscalité des indemnités perçues par les éleveurs pourra également y être abordée.

Mme la présidente . La parole est à M. Jérôme Nury.

M. Jérôme Nury . Si vous comprenez bien le problème, vous donnez le sentiment que le Gouvernement ne cherche pas vraiment à le résoudre, puisqu'il n'y a rien à ce sujet dans le projet de loi d'orientation agricole. Philippe Vasseur, ministre de Jacques Chirac, s'en était pourtant emparé lors de la crise de l'encéphalopathie spongiforme bovine à la fin des années 1990 : c'est donc possible.

Par ailleurs, c'est bien sur la totalité des indemnités perçues que les agriculteurs sont imposés, puisqu'une partie du montant de l'indemnité est liée au prix de vente de la viande. Les éleveurs sont donc bien soumis à l'impôt sur le revenu sur la totalité des recettes tirées de la vente de la viande et de l'indemnisation. Il serait urgent que vous vous penchiez sur cette question.

Données clés

Auteur : M. Jérôme Nury (Normandie - Les Républicains)

Type de question : Question orale

Rubrique : Agriculture

Ministère interrogé : Agriculture et souveraineté alimentaire

Ministère répondant : Agriculture et souveraineté alimentaire

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 21 mai 2024

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