16ème législature

Question N° 8341
de Mme Hélène Laporte (Rassemblement National - Lot-et-Garonne )
Question écrite
Ministère interrogé > Agriculture et souveraineté alimentaire
Ministère attributaire > Biodiversité

Rubrique > biodiversité

Titre > Prolifération du grand cormoran

Question publiée au JO le : 30/05/2023 page : 4773
Réponse publiée au JO le : 28/11/2023 page : 10687
Date de changement d'attribution: 21/07/2023

Texte de la question

Mme Hélène Laporte appelle l'attention de M. le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire sur les inquiétudes exprimées par les pêcheurs de Lot-et-Garonne, relativement à la perspective d'une prolifération du grand cormoran. Pendant un temps menacé et protégé par un arrêté du 29 octobre 2009, le grand cormoran (phalacrorax carbo sinensis) a vu sa population augmenter de 16 % entre 2018 et 2022 en raison notamment de la création de quotas de prélèvement qui ont fortement limité sa chasse. Se nourrissant de tous types de poissons, cette espèce opportuniste a pu s'étendre et commencer à se sédentariser au cours des dernières années, provoquant l'inquiétude des éleveurs piscicoles et pêcheurs, un seul cormoran consommant près de 500 grammes de poisson chaque jour. Alors que sur la période 2019-2022, 500 cormorans pouvaient être prélevés en eaux libres chaque année en Lot-et-Garonne, l'arrêté ministériel du 19 septembre 2022 a mis fin à toute dérogation tendant à autoriser la chasse au cormoran en dehors des zones de pisciculture, ne permettant plus d'en prélever que 15 chaque année dans ces zones pour l'ensemble du département. Comme ailleurs sur le territoire, cette situation inquiète les pêcheurs lot-et-garonnais, cette décision particulièrement restrictive intervenant alors même que la population des grands cormorans semble échapper à tout contrôle, ce qui fait induit une pression importante sur la population de plusieurs espèces de poissons comme les saumons, anguilles ou brochets. Cette prédation s'ajoutant à celle exercée par le silure glane - lui aussi très présent dans les eaux lot-et-garonnaises - il y a pour eux des motifs de craindre une lourde perte de biodiversité en milieu fluvial. Aussi, la réglementation imposée irait à l'encontre de l'objectif de préservation des écosystèmes qu'elle poursuit. Elle souhaite donc connaître l'état de la réflexion menée par son ministère à ce sujet et les réponses qu'il entend apporter aux pêcheurs lot-et-garonnais.

Texte de la réponse

Le grand cormoran est une espèce autochtone protégée au niveau national, qui bénéficie également au niveau européen du régime général de la protection de toutes les espèces d'oiseaux (directive oiseau). Son régime alimentaire est piscivore. La population de la sous-espèce Phalacrocorax carbo sinensis s'était significativement réduite jusque dans les années 1970. Depuis lors, le nombre moyen de grands cormorans a augmenté jusqu'à atteindre un niveau relativement stable depuis 2013 et oscillant autour de 100 000 individus présents. Afin de contrôler l'impact que le grand cormoran occasionne sur les piscicultures et, le cas échéant, les poissons sauvages, un système dérogatoire à la protection stricte permet de mener des opérations de régulation dans des conditions fixées par l'arrêté ministériel cadre du 26 novembre 2010. Un arrêté pris tous les trois ans fixe les plafonds départementaux dans les limites desquelles les dérogations peuvent être accordées. L'arrêté couvrant la période 2022/2025, a été publié le 1er octobre 2022. Il est lui-même décliné en arrêtés départementaux annuels ou triennaux définissant les personnes habilitées, les périodes et les zones de tir autorisées. L'élaboration de l'arrêté triennal 2022/2025 est intervenue dans le contexte particulier d'annulation d'arrêtés préfectoraux relatifs aux dérogations sur les cours d'eau et plans d'eau, suite à diverses requêtes déposées ces dernières années. Plus d'une quinzaine d'arrêtés ont été annulés et plusieurs contentieux sont en attente de jugement. Les décisions des tribunaux administratifs font état de motivations insuffisantes des arrêtés car ils ne démontrent pas la présence dans les cours d'eau d'espèces de poissons menacées, l'impact du grand cormoran sur les espèces protégées ou la mise en œuvre de solutions alternatives. Dès lors, les conditions de dérogation ne sont pas remplies. En conséquence, lors des travaux préparatoires à l'élaboration de l'arrêté, des réflexions ont été engagées avec l'ensemble des partenaires concernés par le grand cormoran (représentants des pisciculteurs et pêcheurs, associations de protection de la nature, experts, administration) afin de permettre la sécurisation des actes juridiques et d'éviter que les futurs arrêtés préfectoraux ne soient à nouveau annulés. Au terme de la période de consultation, il a été décidé de ne pas établir dans l'arrêté 2022/2025 de plafonds pour les cours d'eau et plans d'eau et de n'y rendre aucune dérogation possible. En effet, en l'état, les éléments disponibles ne permettaient pas de démontrer l'impact du grand cormoran sur les espèces piscicoles menacées et de remplir les conditions de dérogation. L'arrêté du 19 septembre 2022 permet donc que les dérogations soient accordées pour protéger les seules piscicultures, dans 58 départements, avec un plafond annuel de 27 892 individus autorisés à la régulation. Les craintes des pêcheurs et de leurs fédérations de ne plus bénéficier de dérogations, notamment lorsque certaines rivières présentent des enjeux particuliers en raison de la présence de certaines espèces piscicoles patrimoniales et sensibles, ont été signalées. Aussi, si des études étaient produites localement et démontraient l'impact de l'espèce sur l'état de conservation des espèces de poissons protégées ou menacées, l'arrêté 2022/2025 pourrait être complété au cours de la période triennale, afin de mettre en place des plafonds sur les cours d'eau et plans d'eau concernés dans les départements. La justification de cet impact local permettrait en effet de remplir les conditions nécessaires à l'octroi des dérogations. Un protocole-cadre national a été discuté avec la Fédération nationale de la pêche en France (FNPF) et quatre départements pilotes ont été retenus pour le mettre en œuvre. Les premiers résultats de ces études sont attendus au cours des prochains mois. Enfin, au regard des menaces qui pèsent sur les milieux aquatiques, une vigilance est nécessaire pour que soit mis en œuvre l'ensemble des moyens permettant de restaurer et maintenir leur équilibre. En effet, au-delà de la prédation exercée par le grand cormoran sur les espèces piscicoles, d'autres enjeux importants, tels que la continuité écologique, la lutte contre les pollutions et les espèces exotiques envahissantes, doivent faire l'objet d'une attention particulière.