16ème législature

Question N° 913
de Mme Ségolène Amiot (La France insoumise - Nouvelle Union Populaire écologique et sociale - Loire-Atlantique )
Question écrite
Ministère interrogé > Justice
Ministère attributaire > Justice

Rubrique > lieux de privation de liberté

Titre > Vague de suicides dans le centre pénitentiaire de Nantes

Question publiée au JO le : 23/08/2022 page : 3843
Réponse publiée au JO le : 07/03/2023 page : 2205
Date de signalement: 06/12/2022

Texte de la question

Mme Ségolène Amiot alerte M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur la vague de suicides inquiétante qui a lieu depuis plusieurs mois à la maison d'arrêt de Nantes et souhaite savoir si une enquête est prévue par l'Inspection générale de la justice. Le ministère de la justice n'est pas sans savoir que le samedi 13 août 2022 à la maison d'arrêt de Nantes, un détenu de 36 ans s'est suicidé, seul dans sa cellule, alors qu'il présentait des troubles psychologiques. Il s'agit du deuxième suicide en trois jours dans cet établissement, le sixième depuis le mois de mai dans le centre pénitentiaire. Mme la députée souhaite alerter M. le ministre sur cette vague insupportable de suicides qui se produisent dans ce seul centre pénitentiaire de Nantes. L'établissement hébergerait 788 détenus pour 573 places, selon la direction interrégionale des services pénitentiaires de Bretagne, Basse-Normandie et Pays de la Loire. Ce qui représente une densité carcérale de 138 %, corrigée à 165 % selon la direction de l'établissement en question (pour une densité globale nationale de 117 %). Un délégué syndical précise dans un quotidien régional : « Nous avons de plus en plus de détenus qui souffrent de problèmes psychiatriques. Malgré les moyens mis en œuvre et la présence de personnels soignants, nous ne sommes pas adaptés à la prise en charge de ce type de profils. Ceux qui veulent parvenir à leurs fins y arrivent toujours parce que nous n'avons pas les moyens de surveiller chaque détenu 24 heures sur 24... ». Elle souhaite, par la tenue d'une telle enquête, que l'Inspection générale de la justice analyse le plus vite possible les causes de ces suicides à répétition et que des mesures adéquates et effectives soient prises en compte immédiatement, cela en va de la survie des concitoyens détenus, à Nantes comme partout en France. Dans l'objectif que cette enquête fasse également jurisprudence et que d'autres soient diligentées sur tout le territoire d'hexagone et d'outre-mer.

Texte de la réponse

Le ministère de la Justice est particulièrement attentif à la prise en charge de l'état de santé physique et psychologique des personnes détenues. De nombreuses mesures visant à lutter contre les suicides en détention ont été mises en œuvre et font l'objet d'une mobilisation et d'un suivi constant de l'administration pénitentiaire. Dans le cadre d'une politique volontariste de prévention du suicide en détention mise en place dès 1967 par l'administration pénitentiaire, le plan de référence en la matière est celui du 15 juin 2009. Il comprend cinq grands axes, constitués par le renforcement de la formation des personnels pénitentiaires à l'évaluation du potentiel suicidaire, l'application de mesures particulières de protection pour les personnes détenues en crise suicidaire, le développement de la pluridisciplinarité au sein de la détention, la lutte contre le sentiment d'isolement au quartier disciplinaire, ainsi que la mobilisation de l'ensemble des membres de la communauté carcérale. Depuis lors, une dotation de protection d'urgence comportant des couvertures spécifiques et vêtements déchirables a été créée. Des cellules de protection d'urgence, destinées à accueillir une personne détenue dont l'état psychique apparaît incompatible avec le placement ou le maintien en cellule ordinaire ont également été aménagées. La mise en place de ce plan d'actions fait l'objet, depuis son élaboration, d'un suivi régulier par un comité de pilotage national, coprésidé par le directeur de l'administration pénitentiaire et le professeur Jean-Louis Terra, expert international reconnu de la question de la prévention du suicide. Par ailleurs, la prévention du suicide constitue l'un des axes phares des politiques pénitentiaires publiques. Le garde des Sceaux a en outre décidé le 21 août 2020 d'une inspection interministérielle portant sur les suicides en milieu carcéral, conduite par l'inspection générale de la Justice et l'inspection générale des affaires sanitaires et sociales. La mission a rendu en mai 2021 un rapport définitif sur la politique globale de prévention du suicide qui comprend 38 recommandations qui concernent à la fois le ministère de la Justice et le ministère de la santé et de la prévention. En complément, la direction de l'administration pénitentiaire a souhaité faire évoluer la pertinence et l'efficience de sa politique de prévention du suicide. Elle a publié un marché public à cet effet en juin 2020. Deux objectifs étaient attendus : la formation des personnels pénitentiaires et le dispositif des codétenus de soutien. La société Planète Publique a remporté ce marché et a déposé son rapport en octobre 2021. Afin de renforcer la prise en charge des personnes sous main de justice présentant un risque de passage à l'acte suicidaire, la direction de l'administration pénitentiaire (DAP) a mis en œuvre les recommandations de ces rapports. Elle a diffusé en juillet 2022 un plan d'actions recentré sur le pilotage et la mise en œuvre des actions par les services pénitentiaires. Un guide de référence regroupant les textes et les bonnes pratiques, sera diffusé d'ici février 2023. Il a pour objectif de faciliter leur bonne appropriation par les personnels en charge de leur mise en œuvre. Ce guide sera un réel outil pratique pour les personnels, qui pourront se référer aisément à la doctrine en la matière et à des « fiches pratiques ». L'accompagnement de sa diffusion sera un axe stratégique majeur et structurant du pilotage de la politique de prévention du suicide en milieu carcéral. Enfin, les plans interrégionaux de lutte contre le suicide en détention feront prochainement l'objet d'une synthèse, à destination de la direction de l'administration pénitentiaire. Après une période d'expérimentation, la généralisation de la dotation du coupe-liens s'est progressivement mise en œuvre dès la fin d'année 2019 pour les personnels de surveillance. L'utilisation de cet outil, de nature à répondre à l'urgence d'une tentative de suicide par pendaison, a été intégrée dans les pratiques opérationnelles en établissement pénitentiaire. Tous les sites en sont désormais dotés. L'administration pénitentiaire contribue par ailleurs à un dispositif de surveillance épidémiologique des suicides des personnes détenues, mis en place depuis le 1er janvier 2017 par l'Agence nationale de santé publique. L'objectif est de mieux identifier les facteurs de passage à l'acte suicidaire. Cette étude permet de déterminer la part des facteurs sanitaires/psychologiques et celle des facteurs pénitentiaires dans les passages à l'acte des personnes détenues, afin d'améliorer les modalités de prévention des suicides en milieu carcéral. Enfin, la prévention représente un volet majeur de la feuille de route santé des personnes placées sous main de justice 2019-2022. Ainsi, le programme VigilanS est expérimenté au sein des centres pénitentiaires d'Annœullin et de Sequedin depuis juin 2021. Ce dispositif a pour objectif général de contribuer à faire baisser le nombre de suicides et le nombre de récidives de tentative de suicide. Il consiste en un système de contact régulier et d'alerte en organisant autour de la personne ayant fait une tentative de suicide un réseau de professionnels de santé qui garderont le contact avec elle. Cette expérimentation fait actuellement l'objet d'une évaluation afin d'envisager les éventuelles suites à y donner. En outre, l'accès au Numéro national de prévention du suicide (3114) pour les personnes détenues est en cours d'élaboration, afin de mettre en œuvre l'expérimentation de ce dispositif prochainement. Enfin, le centre pénitentiaire de Nantes a créé dès 2018 une fiche technique relative à la mise en œuvre des surveillances adaptées des personnes détenues présentant un risque suicidaire. Cette fiche prévoit notamment les modalités de cette prise en charge, le public concerné, ainsi que l'obligation d'examiner toutes les surveillances adaptées à chaque commission pluridisciplinaire unique de prévention du suicide. La direction de l'établissement et ses équipes demeurent, en lien avec la direction interrégionale des services pénitentiaires de Rennes, totalement mobilisés pour mieux prévenir le risque suicidaire au centre pénitentiaire de Nantes.