Question écrite n° 9573 :
Utilisation des gardes à vues à des fins répressives

16e Législature

Question de : M. Jérôme Guedj
Essonne (6e circonscription) - Socialistes et apparentés (membre de l’intergroupe NUPES)

M. Jérôme Guedj appelle l'attention de M. le ministre de l'intérieur et des outre-mer sur l'utilisation des gardes à vues à des fins répressives dans le cadre des manifestations contre la réforme des retraites. Dans un courrier accompagné d'un rapport qui lui a été envoyé en date du 3 mai 2023 par la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), M. le ministre a été interpellé concernant la mise en place d'une instrumentalisation des mesures de garde à vue à des fins répressives et lui est rappellée « la nécessité de veiller au respect des dispositions législatives et réglementaires applicables à la procédure de garde à vue ». Ayant procédé à des contrôles les 24 et 25 mars 2023 dans neuf commissariats parisiens pour contrôler les conditions de prise en charge des personnes interpellées, Mme Dominique Simonnot, en sa qualité de CGLPL, a pointé dans du doigt dans ces écrits la description très régulière de la mise en place « d'interpellations violentes », « de fouilles systématiques en sous-vêtements », « de conditions d'hygiène indignes », « d'espaces individuels insuffisants en cellule collective » ou encore « d'irrégularités dans les fiches d'interpellation ». On apprend notamment dans son rapport comment des policiers décident, presque au hasard et à la suite de discussions triviales, des infractions à retenir contre elles. Pire, il apparaît même que des fiches d'interpellation pré-remplies ont été distribuées aux agents, ce qui contrevient bien évidemment aux règles et à la logique de l'État de droit basée sur la garantie des droits des individus et l'individualisation des cas et des peines. Enfin, cette politique répressive de la garde à vue conduit souvent les policiers à ne pas être en capacité d'expliquer le contexte précis de l'arrestation, ces derniers évoquant, au contraire, des ordres reçus pour interpeller de façon systématique dans certains secteurs de la capitale. Cette politique d'arrestations systématiques et préventives de certains manifestants a eu des résultats sans équivoque : 80 % des personnes interpellées ont été relâchées sans aucune poursuite et les rares qui ont été jugées en comparution immédiate sont souvent ressorties libre du tribunal. Comme le décrit la CGLPL, on aassisté ces dernières semaines à une « banalisation de l'enfermement ». Avec 629 procédures classées sans suite sur un total de 785 gardes à vue prononcées entre le 16 et 22 mars 2023, le CGLPL questionne directement M. le ministre sur la finalité réelle de ces gardes à vue, d'autant plus que conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, le droit français conditionne pourtant expressément le recours à une mesure de garde à vue à l'existence d'un soupçon caractérisé quant à la commission ou la tentative d'infraction. Les observations que le CGLPL a réalisées les 25 et 26 mars 2023 contreviennent donc aux règles de l'État de droit et apparaissent comme non fondées juridiquement. Aussi, il souhaite savoir quelles sont les éléments à sa disposition venant justifier la mise en place de cette politique de gardes à vues préventives et si des mesures vont être mises en œuvre dans les plus brefs délais afin d'éviter que ce type de pratiques se répètent de manière régulière dans l'ensemble des commissariats.

Réponse publiée le 6 février 2024

La Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) a fait parvenir au ministre de l'Intérieur et des Outre-mer, par courrier en date du 17 avril 2023, un rapport concernant le contrôle de locaux de garde à vue parisiens les 24 et 25 mars 2023. Transmis au préfet de police pour examen, une réponse a été adressée le 2 mai 2023 à cette autorité administrative indépendante. Il est apparu important de rappeler que les témoignages relevés par les équipes du CGLPL auprès des personnes gardées à vue ne peuvent être tenus pour preuve de leur non implication dans les faits reprochés. Par nature, les scènes collectives de violences, telles que celles concernées par les contrôles, complexifient le travail des services enquêteurs pour rechercher l'attribution de la responsabilité individuelle dans le temps de la garde à vue. La recherche des preuves et indices est fréquemment, et volontairement, entravée par les mis en cause, souvent rompus aux techniques d'enquête (absence de téléphone portable, tenues noires identiques, dégradation des caméras de vidéoprotection, etc.). Ces contraintes expliquent notamment que les infractions puissent être considérées comme insuffisamment caractérisées par l'autorité judiciaire. Mais cela ne doit nullement être assimilé à une absence d'infraction initiale. La contextualisation des exactions commises par un individu lors de la participation à un groupement en vue de commettre des violences ou des dégradations, reste donc une tâche complexe pour les services. Aussi, la préfecture de police renforce sa procédure de renseignement des procès-verbaux. Par ailleurs, l'acheminement simultané d'un nombre important d'auteurs d'infractions jusqu'aux commissariats pour être présentés à l'officier de police judiciaire territorialement compétent constitue un défi logistique qu'il est important d'avoir à l'esprit. S'agissant du taux élevé de procédures classées sans suite constaté par la CGLPL, celui-ci correspond à la période du 16 mars, ainsi qu'à la nuit du 22 au 23 mars 2023. Or, parmi les 129 personnes susceptibles d'avoir été présentes lors des contrôles des 24 et 25 mars 2023, qui ont été interpellées dans le contexte de la manifestation de l'intersyndicale du 23 mars 2023, 127 ont été placées en garde à vue. Il s'en est suivi 50 déferrements, 15 convocations devant le délégué du procureur de la République et 13 comparutions sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC). Cela représente un taux de réponse pénale de 61 % (78 sur 127). Compte tenu des circonstances exceptionnelles qui pesaient sur les services interpellateurs et d'enquête, ce taux apparaît satisfaisant. Par ailleurs, 6 enquêtes préliminaires restent en cours. Concernant les manifestations spontanées des 24, 25 et 26 mars 2023, 20 interpellations ont donné lieu à 18 gardes à vue et 9 personnes ont été déférées. 50% des mesures ont donc eu des suites pénales. Au-delà de ces chiffres, les comportements qui se sont exprimés dernièrement, que ce soit dans le cadre des manifestations ou des récentes émeutes, sont inacceptables. Les forces de l'ordre ont en effet dû faire face à des personnes extrêmement résolues, promptes à commettre en groupe des violences, des dégradations, des vols, des pillages, des agressions. Nul ne saurait accepter que les forces de l'ordre restent passives face à ces exactions et qu'elles ne procèdent pas aux interpellations nécessaires à la restauration de l'ordre public et à la sécurité des personnes et des biens. L'institution policière n'a d'autre objectif que de protéger ses concitoyens et d'accomplir avec rigueur et professionnalisme ses missions. Aussi, si les observations du CGLPL ont un intérêt de fond incontestable, les déclarations d'instrumentalisation des mesures de garde à vue à des fins répressives sont parfaitement infondées.

Données clés

Auteur : M. Jérôme Guedj

Type de question : Question écrite

Rubrique : Droits fondamentaux

Ministère interrogé : Intérieur et outre-mer

Ministère répondant : Intérieur et outre-mer

Dates :
Question publiée le 4 juillet 2023
Réponse publiée le 6 février 2024

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