Rubrique > politique extérieure
Titre > Évocation des droits humains et libertés publiques avec M. Narendra Modi
M. Arnaud Le Gall appelle l'attention de Mme la ministre de l'Europe et des affaires étrangères sur l'invitation qui a été faite à M. Narendra Modi, Premier ministre de l'Union indienne, d'être l'invité d'honneur des célébrations du 14 juillet, au cours desquelles les discussions commerciales et stratégiques occuperont la première place. M. Modi est un dirigeant démocratiquement élu dans le cadre d'élections ouvertes et compétitives, dont les résultats sont reconnus par tous. Toutefois, au-delà de ce bon fonctionnement électoral, depuis qu'il a été élu à la tête du pays en 2014, M. Modi enfonce son pays dans l'autoritarisme identitaire. Sa mise en œuvre d'un régime hindouiste favorisant les seuls hindous aux dépens des minorités chrétiennes et musulmanes, entraîne la multiplication des violences ethnoreligieuses, notamment des ratonnades menées par des milices assurées de leur impunité quand bien même ces actes entraînent la mort arbitraire de citoyens indiens dont le seul tort est de ne pas pratiquer la religion considérée comme majoritaire. Se rendre coupable de tels actes est même à présent valorisé comme gage d'avancement politique. Or la Constitution de l'Union indienne dispose du sécularisme de l'État, c'est-à-dire son égale bienveillance envers toutes les religions et sa neutralité institutionnelle dans la gestion des affaires religieuses. L'ethnicisation du politique s'accompagne d'une brutalisation des institutions démocratiques d'une part et d'une criminalisation des opposants d'autre part. Le dernier avatar à cet égard a été la condamnation à deux ans de prison ferme de Rahul Gandhi, député et leader du parti du Congrès, au motif de diffamation de la personne du Premier ministre. Cette peine entraînant l'inéligibilité, elle empêchera M. Gandhi de prendre part aux élections générales de 2024 alors qu'il est le principal opposant de M. Modi. Cette situation générale a valu à New Delhi d'être rétrogradée par l'institut suédois « V-Dem » qui considère à présent l'Inde comme « démocratie partiellement libre ». Par ailleurs, la mise en place d'un régime ethnicisé et autoritaire en Asie du sud, en lieu et place de la seule démocratie dans la région, menacerait de déstabiliser encore plus avant une zone dont l'équilibre sécuritaire est déjà très volatile. Que l'on songe par exemple à la proximité de l'Afghanistan, gouverné par un régime Taliban ; du Pakistan, dont les institutions sont phagocytées par l'armée ; des Maldives, au prorata premier contingent au monde de combattants ayant rejoint l'Organisation de l'État islamique. Il n'est pas ici question de remettre en cause le fait que la France entretienne des relations officielles avec l'Inde. L'entrée par la seule caractéristique des régimes ne saurait en effet être une dimension suffisante pour informer la diplomatie, qu'elle soit nationale ou européenne. La catégorisation par « régime » est d'autant plus fallacieuse que se multiplient les cas d'États dont le fonctionnement mêle institutions libérales et pratique autoritaire du pouvoir. En outre, à l'heure où l'humanité doit faire face à des défis communs, au premier rang desquels le dérèglement climatique, refuser de travailler avec un maximum d'États sur la scène internationale serait une faute. Enfin, la doctrine et la pratique historique par l'Union indienne d'une politique étrangère dite « non alignée » en fait un partenaire de premier plan pour un pays qui, à l'instar de la France, doit également jouer la carte du non-alignement entre les alliances plus ou moins militarisées en plein reconfiguration dans le présent contexte de fragmentation de la mondialisation. Pour autant, on ne peut que déplorer la valorisation de sa personne et par conséquent la légitimation de sa politique, qu'offre à M. Modi l'invitation officielle du Président de la République au défilé militaire du 14 juillet. La politique de M. Modi est aux antipodes des principes de « Liberté, Egalité, Fraternité », sans lesquels la célébration de la fête nationale française ne peut qu'être vidée de son sens républicain. De même, il est problématique que, questionné sur le bafouement des libertés publiques en Inde au retour de la mission parlementaire, le président de la commission des affaires étrangères, membre de la majorité, réponde, à des arguments étayés par des données, qu'il ne s'agit là que « d'appréciations personnelles » tant l'Inde est « une démocratie modèle si on la compare à la Russie, à la Chine et à de nombreux pays d'Afrique ». Le nivellement par le bas ne saurait en aucun cas être une grille d'analyse pertinente. Par conséquent, il s'interroge sur la place accordée aux questions relatives aux droits humains dans les échanges commerciaux qu'entretiennent Paris et New Delhi.