Entrave au droit de manifestation par le préfet de l'Hérault
Question de :
M. Jérôme Legavre
Seine-Saint-Denis (12e circonscription) - La France insoumise - Nouveau Front Populaire
M. Jérôme Legavre attire l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur les difficultés dressées par le préfet du département de l'Hérault contre l'exercice, en particulier par l'association Libre Pensée 34 et l'association BDS, de la liberté et du droit de manifestation reconnus à tous les citoyens dans le pays. Ces deux associations, avec de nombreuses autres associations et de très nombreux citoyens, soucieux d'exprimer leur émoi, leur colère et leur aspiration à ce que cessent les crimes perpétrés contre les peuples palestinien et libanais, ont régulièrement convoqué ou soutenu en y participant, des manifestations le samedi, totalement pacifiques et respectueuses de l'ordre public dans la commune de Montpellier. À preuve, malgré les tentatives initiales de la préfecture pour interdire les manifestations de solidarité avec le peuple palestinien, deux décisions du tribunal administratif, rendues les 21 et 26 octobre 2023 en référé-liberté, ont annulé les effets de l'arrêté préfectoral d'interdiction et rétabli le droit de manifester. Depuis lors, chaque semaine, ces deux organisations, comme beaucoup dans le département et dans toute la France, ont pu être organisatrices ou participantes de nombreux rassemblements ou manifestations. Aucune de ces initiatives n'a donné lieu à quelque violence physique ou verbale que ce soit, ce qui est attesté par tous les comptes-rendus dans la presse, les images diffusées et n'est contesté par personne. De même, il n'y a eu ni propos injurieux, ni agressions d'aucune sorte. Pourtant, le préfet n'en mène pas moins, et singulièrement depuis la fin du mois d'août 2024, une offensive visant de nouveau à empêcher le déroulement de ces manifestations et ce qui peut être rapproché d'une campagne de harcèlement contre les deux associations susnommées et leurs militants ; deux interdictions de manifestation, puis l'interdiction systématique de passer par la place de la Comédie et tout dernièrement le dépôt d'une plainte en diffamation contre le secrétaire de la Libre Pensée 34 : les témoignages dont M. le député a été saisi le conduisent à soulever auprès de M. le ministre le caractère aussi exceptionnel dans le pays, qu'exorbitant du droit commun eu égard à la liberté de manifestation qui y est la règle. Il convient de relever que, malgré les demandes en ce sens, le préfet n'a pas été en mesure de donner le moindre élément de faits concernant des « propos injurieux envers la communauté juive » qui auraient été tenus lors d'une conférence de presse pourtant publique. Ceci n'a pas empêché cette affirmation d'être répétée à plusieurs reprises dans les arrêtés d'interdiction M. le député a pu prendre connaissance. Il en va de même avec l'évocation de prétendues « agressions », terme employé lors du CDEN du 16 octobre 2024 par le préfet, sans donner plus de détail ni d'élément factuel. En effet, M. le député tient à rappeler que la liberté de manifestation est une liberté fondamentale à valeur constitutionnelle, en outre reconnue et protégée par de nombreux textes internationaux et européens, auxquels il ne lui semble pas tolérable de permettre à un représentant de l'État de se soustraire. Le préfet ne peut en effet faire mine d'ignorer qu'en matière de manifestation, le principe est la liberté et que seul un risque avéré de trouble à l'ordre public peut justifier une mesure de police, qui plus est strictement limitée et proportionnée à son objet. C'est ce qu'a de nouveau rappelé le Conseil d'État, dans une décision rendue le 18 octobre 2023. Aussi, si le préfet affirme que des éléments sont de nature à troubler l'ordre public, il doit en donner le contenu exact et en aucun cas se servir d'élément étrangers aux manifestations pour justifier l'interdiction de celles-ci. Si des éléments de nature particulière à un territoire sont invoqués, il faut les indiquer clairement et ne pas simplement en évoquer l'existence. Il semblerait que ces principes guidant l'action publique ne soient pas respectés en la matière et que les motivations des arrêtés d'interdiction contenues dans les considérants soient de nature à remettre en cause la neutralité et la réserve qu'impose la fonction d'un représentant de l'État. C'est pourquoi il l'interroge sur les mesures qu'il envisage de prendre, dans des délais qui permettent le rétablissement d'une liberté fondamentale dans les semaines qui arrivent, afin que cesse cette situation d'exception qui ne peut raisonnablement s'installer dans un État de droit.
Réponse publiée le 17 juin 2025
Le régime des manifestations sur la voie publique est régi par les articles L. 211-1 et suivants du code de la sécurité intérieure (CSI) qui prévoient une obligation de déclaration préalable des manifestations sur la voie publique trois jours francs au moins et quinze jours francs au plus avant la date de celle-ci, permettant à l'autorité investie du pouvoir de police, lorsqu'elle estime que la manifestation projetée est de nature à troubler l'ordre public, de l‘interdire par arrêté notifié immédiatement aux signataires de la déclaration au domicile élu. Par un télégramme du 12 octobre 2023 relatif aux « conséquences des attaques terroristes subies par Israël depuis le 7 octobre 2023", le ministre de l'intérieur et des outre-mer d'alors a indiqué aux préfets que les manifestations pro-palestiniennes, parce qu'elles sont susceptibles de générer des troubles à l'ordre public, doivent être interdites. Le juge des référés du Conseil d'Etat a jugé le 18 octobre 2023 (n° 488860) que ce télégramme ne portait pas une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de manifestation et à la liberté d'expression dans un contexte où les hostilités dont le Proche-Orient était le théâtre, à la suite des attaques commises par des membres du Hamas sur le territoire israélien le 7 octobre 2023, était à l'origine d'un regain de tensions sur le territoire français, qui s'est notamment traduit par une recrudescence des actes à caractère antisémite. Dans ce contexte, les manifestations sur la voie publique ayant pour objet, directement ou indirectement, de soutenir le Hamas, ou de valoriser les exactions telles que celles du 7 octobre 2023, sont de nature à entraîner des troubles à l'ordre public, résultant notamment d'agissements relevant du délit d'apologie publique du terrorisme ou de la provocation publique à la discrimination, à la haine ou à la violence contre un groupe de personnes à raison de son appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion. Il revient au préfet compétent de déterminer, au vu non seulement du contexte national, mais aussi des circonstances locales, s'il y a lieu d'interdire une manifestation présentant un lien direct avec le conflit israélo-palestinien, quelle que soit la partie au conflit qu'elle entend soutenir, sans pouvoir légalement prononcer une interdiction du seul fait qu'elle vise à soutenir la population palestinienne. Si le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier, faisant une appréciation différente des circonstances de l'espèce, a suspendu l'exécution d'arrêtés d'interdiction de manifestation du préfet de l'Hérault dans les cas que vous mentionnez, d'autres ont à l'inverse été confirmées par la juridiction administrative (par exemple TA Montpellier 30 août 2024 n° 2405015). Il ne saurait en tout état de cause se déduire des décisions juridictionnelles que vous citez une quelconque volonté du préfet de l'Hérault de porter une atteinte systématique à la liberté de manifester de ces deux associations, ni a fortiori un quelconque harcèlement de celles-ci. A cet égard, les propos tenus à la presse le 3 et le 4 septembre 2024 par le représentant de la Libre Pensée 34 (« quand vous avez un juge comme le juge du tribunal administratif de Montpellier qui reprend in extenso les arguments du préfet qui lui-même reprend in extenso tout l'argumentaire du CRIF, il n'y a plus la séparation des pouvoirs (…) Tous les présents à l'audience ont pu voir au grand jour la collusion ouverte entre les complices génocidaires, le préfet et le président du tribunal administratif », « ce sont des méthodes de voyous … il y a un problème de partialité de la décision du tribunal administratif et de séparation des pouvoirs … Le juge a écrit un tract qui est digne d'un tract politique d'élus d'extrême droite ») ont donné lieu, à juste titre, à un signalement au procureur de la République en application de l'article 40 du code de procédure pénale le 6 septembre 2024 ainsi qu'à une plainte du préfet le 12 septembre 2024.
Auteur : M. Jérôme Legavre
Type de question : Question écrite
Rubrique : Droits fondamentaux
Ministère interrogé : Intérieur
Ministère répondant : Intérieur
Dates :
Question publiée le 22 octobre 2024
Réponse publiée le 17 juin 2025