Police des polices : à quand de réels moyens pour les enquêtes ?
Question de :
M. Abdelkader Lahmar
Rhône (7e circonscription) - La France insoumise - Nouveau Front Populaire
M. Abdelkader Lahmar appelle l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur les moyens d'enquête de l'inspection générale de la police nationale (IGPN) et de l'inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN). Dans un rapport d'enquête publié en novembre 2025, intitulé « Polices des polices en France : pourquoi il faut tout changer », l'ONG Flagrant déni met en évidence les raisons structurelles de l'accroissement de l'impunité policière dans le pays en s'appuyant sur des témoignages de victimes, d'avocats, de policiers, des analyses de chercheurs et des comparaisons internationales. Le rapport souligne la spécificité du système français : ce sont des policiers ou gendarmes qui enquêtent sur leurs propres collègues, sous le contrôle de la hiérarchie, créant une double dépendance, verticale vis-à-vis des chefs de service et horizontale vis-à-vis des collègues. Cette organisation, selon de multiples critiques, limite l'indépendance et l'impartialité des enquêtes. Des institutions et personnalités qualifiées ont régulièrement alerté sur cette situation. La Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), en 2021, a insisté sur la nécessité de renforcer les garanties d'indépendance et d'impartialité des organes de contrôle et de rétablir la confiance du public dans les inspections, notamment l'IGPN et l'IGGN, qui restent internes aux forces concernées. Le Conseil national des barreaux (CNB), en 2023, a souligné que la cheffe de l'IGPN reste sous la tutelle du ministère de l'intérieur et que sa nomination ainsi que sa révocation dépendent du ministre, compromettant l'autonomie de l'inspection. Le Conseil de l'Europe, à plusieurs reprises en 2022 et 2023, a critiqué le manque d'indépendance fonctionnelle et la partialité potentielle des inspections. Sébastian Roché, chercheur au CNRS spécialisé en sociologie des forces de l'ordre, rappelle que le contrôle interne français est parmi les plus internes en Europe : ce sont des policiers qui contrôlent les policiers, sous l'autorité du même directeur général. Loïc Pageot, ancien procureur-adjoint au parquet de Bobigny et ayant supervisé de nombreuses enquêtes sur des policiers en Seine-Saint-Denis, déplore la dépendance hiérarchique de l'IGPN et de l'IGGN vis-à-vis du ministère de l'intérieur, qui compromet l'indépendance des enquêtes et la remontée d'informations vers l'autorité judiciaire. Anthony Caillé, porte-parole de la CGT intérieur, estime que la chefferie de l'inspection ne devrait pas appartenir au corps policier afin de supprimer ce « fil à la patte ». Olivier Cahn, professeur de droit pénal, rappelle que la Cour européenne des droits de l'homme impose des enquêtes effectives, ce qui suppose un minimum d'indépendance et de moyens. Des exemples concrets illustrent ces dérives. Lors de l'enquête préliminaire sur les dérives corruptives de l'office anti-stups français (OFAST) à Marseille en 2024-2025, l'IGPN aurait omis de retranscrire certaines déclarations importantes, ce qui aurait pu limiter la portée des investigations judiciaires. Cette affaire révèle que, malgré les déclarations publiques et les plans d'action affichés par l'IGPN, ses moyens humains restent insuffisants et son autonomie est limitée, au point de compromettre le traitement complet des dossiers sensibles. Face à ce constat, l'ONG Flagrant déni recommande d'augmenter massivement le nombre d'enquêteurs afin de garantir un traitement plus rapide, efficace et indépendant des affaires impliquant des policiers et des gendarmes. À la lumière de ces éléments, il lui demande dans quelle mesure il s'engage à mettre en application cette recommandation et quelles mesures sont envisagées pour augmenter significativement le nombre d'enquêteurs au sein de l'IGPN et de l'IGGN afin de traiter l'ensemble des affaires judiciaires impliquant des policiers et gendarmes, pour réduire la dépendance hiérarchique et garantir l'indépendance fonctionnelle des enquêteurs en s'inspirant des modèles étrangers tels que l'Allemagne, le Portugal ou le Luxembourg, pour allouer des moyens supplémentaires permettant la formation, l'expertise et la mobilité des enquêteurs et enfin pour rendre publiques les statistiques détaillées de l'ensemble des enquêtes internes, afin d'améliorer la transparence et la confiance du public.
Auteur : M. Abdelkader Lahmar
Type de question : Question écrite
Rubrique : Police
Ministère interrogé : Intérieur
Ministère répondant : Intérieur
Date :
Question publiée le 16 décembre 2025