Police judiciaire : quelles réponses à la crise des effectifs ?
Question de :
M. Antoine Léaument
Essonne (10e circonscription) - La France insoumise - Nouveau Front Populaire
M. Antoine Léaument alerte M. le ministre de l'intérieur sur la crise des effectifs et à la chute du taux d'élucidation des enquêtes. La réforme de la police judiciaire engagée par les prédécesseurs de M. le ministre produit aujourd'hui des effets particulièrement préoccupants, notamment en ce qui concerne le déficit d'effectifs d'enquêteurs spécialisés. Cette carence fragilise profondément l'efficacité de l'action judiciaire et, par voie de conséquence, la sûreté des concitoyens. Depuis la mise en œuvre de la réforme de la filière « investigation », la police judiciaire connaît une diminution significative de ses effectifs, estimée entre 2 000 et 2 500 postes. Ce déficit en ressources humaines augmente encore la difficulté de traiter un stock déjà considérable de procédures en attente, évalué à plus de 3,5 millions de dossiers. L'Association nationale de la police judiciaire évoque, quant à elle, une véritable « agonie des services d'enquête » et estime à près de 12 000 le nombre d'enquêteurs supplémentaires nécessaires pour résorber le volume des affaires en cours. Une telle situation compromet gravement la capacité des services à traiter les dossiers dans des délais raisonnables et entraîne une dégradation continue du taux d'élucidation. À titre d'illustration, entre 2017 et 2021, le taux d'élucidation à un an pour les escroqueries et abus de confiance est passé de 29 % à 17 %, soit une baisse de douze points. Sur la même période, les violences sexuelles ont enregistré une diminution de six points de leur taux d'élucidation, tendance confirmée en 2022 par le service statistique ministériel de la sécurité intérieure, qui fait état d'une baisse globale de huit points depuis 2017. S'agissant des atteintes aux biens, si celles-ci ont reculé de 17 % au cours des douze dernières années, leur taux de résolution demeure extrêmement faible, avoisinant à peine 11 %. Les infractions économiques et financières connaissent, pour leur part, une chute spectaculaire de leur taux d'élucidation, passé de 37,3 % à 19,7 % sur la même période. Ce constat alarmant est corroboré par de nombreux témoignages de terrain. Ainsi, Le Monde rapportait le 22 octobre 2025 les propos d'enquêteurs dénonçant « un foutage de gueule pur et simple », faisant état de consignes visant à « classer sans suite le maximum de dossiers » pour éviter d'aggraver encore l'engorgement des services. De même, l'article du Dauphiné libéré du 3 novembre 2025 citait un enquêteur déclarant : « En nous fondant dans la filière investigation, on est monté sur le Titanic ». La réforme, qui visait initialement à renforcer la cohérence et l'efficacité de la filière, a paradoxalement conduit à un redéploiement d'effectifs vers les missions de proximité, au détriment des enquêtes complexes et de haut niveau, notamment en matière de criminalité économique et financière. Le rapport d'information parlementaire établi par MM. les députés Ugo Bernalicis et Thomas Cazenave sur le bilan de la réforme de la police nationale souligne que les services d'investigation, tous niveaux confondus, ont vu leurs effectifs diminuer dans des proportions comprises entre 10 % et 30 % en moyenne. Certaines directions territoriales illustrent particulièrement cette tendance : la direction territoriale de la police nationale de Martinique aurait ainsi perdu 14 agents entre 2023 et 2025, tandis que la direction interdépartementale de la police nationale d'Eure-et-Loir a, elle aussi, subi une réduction notable de ses effectifs. Cette évolution fragilise l'attractivité de la filière investigation et rend de plus en plus difficile le recrutement des enquêteurs spécialisés, accentuant ainsi la crise structurelle qui affecte la police judiciaire. Aussi, au regard de ces éléments, il souhaiterait savoir quelles mesures concrètes le Gouvernement entend prendre afin de renforcer les effectifs d'enquêteurs spécialisés au sein de la police judiciaire et de garantir une répartition optimale des ressources humaines entre les différents services, de manière à restaurer la capacité opérationnelle de l'action judiciaire.
Auteur : M. Antoine Léaument
Type de question : Question écrite
Rubrique : Police
Ministère interrogé : Intérieur
Ministère répondant : Intérieur
Date :
Question publiée le 16 décembre 2025