Question de : Mme Delphine Batho
Deux-Sèvres (2e circonscription) - Écologiste et Social

Mme Delphine Batho interroge M. le ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics, sur l'ampleur de la fraude aux aides publiques MaPrimeRénov' gérées par l'Agence nationale de l'habitat. Le précédent gouvernement, par la voix du ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics, avait déclaré en mai 2024 que « sur MaPrimeRénov' par exemple, j'ai reçu des signalements de Tracfin pour environ 400 millions d'euros ». L'ancien Premier ministre avait confirmé le 15 mai 2024 devant la représentation nationale que ce montant concernait la seule année 2023. L'ampleur de cette fraude est considérable. Elle porte gravement préjudice à l'État et aux contribuables. Elle affecte les moyens budgétaires disponibles pour la politique d'économies d'énergie et abîme la confiance des citoyennes et des citoyens, mais aussi des artisans, dans les politiques publiques de sobriété énergétique. Or l'alerte de Tracfin date de fin 2022. De plus, les problématiques de fraude sont notoires depuis l'origine du dispositif MaPrimeRénov' et étaient censées avoir été corrigées. Ainsi, dès juillet 2020, l'Anah indiquait observer « une recrudescence de pratiques commerciales agressives et frauduleuses » et avoir mis en place des mesures pour y remédier. Au regard de l'antériorité des problématiques de fraude sur les politiques publiques d'économies d'énergie, notamment concernant les certificats d'économies d'énergie (CEE), Mme la députée prie M. le ministre de bien vouloir indiquer quel défaut de vigilance explique une fraude de près d'un demi-milliard d'euros en 2023. Elle lui demande de bien vouloir indiquer si le préjudice s'est poursuivi pour l'année 2024. Elle le prie également de bien vouloir indiquer le montant total du préjudice pour l'État depuis la mise en place du dispositif en 2020, les montants recouvrés ainsi que les informations sur les bénéficiaires de ces détournements de fonds et les poursuites engagées. Enfin, au regard des actions de contrôle mises en place, qui ont des répercussions négatives sur la diligence dans le traitement de dossiers conformes et réguliers, elle le prie de bien vouloir l'informer des actions mises en place pour lutter contre la fraude sans pénaliser la politique d'économies d'énergie.

Réponse publiée le 18 février 2025

Pour permettre aux ménages d'améliorer le confort de leur logement, réduire leur consommation d'énergie et lutter contre le changement climatique, le Gouvernement fait de la rénovation énergétique une priorité. Au total, les aides financières aux rénovations énergétiques ont représenté en 2024, pour le parc résidentiel, un montant prévisionnel d'aides CEE engagées d'environ 4 Md€ et, pour le parc résidentiel privé, un montant d'aides MaPrimeRénov' engagées de 3,3 Md€. Le secteur de la rénovation est, du fait de ces montants, exposé à des pratiques commerciales trompeuses, fraudes et escroqueries dont les victimes sont à la fois les ménages abusés et les dispositifs d'aides publiques et les entreprises. Sur ce dernier point, il convient de ne pas confondre le montant réel du préjudice subi par l'État avec la somme de 398 M€ des déclarations de soupçon reçues par Tracfin de la part des banques. Après investigation, il est fréquent que soit ces signalements ne correspondent pas à des fraudes réelles, soit qu'ils les surestiment largement. Plus significatifs pour juger de la fraude détectée par Tracfin sont les montants en jeu dans ses transmissions à la justice, après investigations du service, dénonçant des escroqueries. Depuis 2022, 15 notes ont été transmises pour un montant total de préjudice s'élevant à 14,2 M€. Le Gouvernement lutte avec la plus grande détermination contre les diverses pratiques frauduleuses observées, notamment pour protéger les particuliers et les professionnels du secteur. Une cellule de veille interministérielle anti-fraude aux aides publiques rattachée à la mission interministérielle de lutte anti-fraude (MICAF) a été mise en place le 5 décembre 2023. Elle réunit, en vue d'une meilleure détection et sanction, les services de gendarmerie, de police, la DGCCRF, la DGFIP, Tracfin, la DG Travail, le parquet de la JUNALCO, le parquet européen et les services en charge de la conception et du déploiement de la politique de rénovation énergétique des logements (DGALN, DGEC, ANAH). Elle définit des stratégies d'action et d'enquête concertées. Un plan interministériel cohérent associant l'ensemble des acteurs concernés a également été présenté par le Gouvernement en novembre 2023. Le premier axe de ces mesures est d'améliorer la prévention et de limiter les risques d'escroquerie. Une communication adaptée a été mise en place par la DGCCRF et l'Anah (campagnes de communication, sites internet du service public de l'habitat France Rénov, espaces conseils France Rénov', Maisons France Service) pour rendre plus accessible l'information sur les bons réflexes que doit avoir un ménage pour se protéger des fraudeurs. Le ménage est également informé qu'il peut faire un signalement et doit, s'il est victime d'une escroquerie, porter plainte pour faire valoir ses droits. Ces signalements et dépôts de plaintes des ménages complètent les diverses informations dont les administrations disposent, à l'image des déclarations de soupçons reçues par Tracfin. Ces informations font l'objet d'une exploitation et d'un partage dans le cadre législatif en vigueur afin de déceler les tentatives de fraudes, qui sont par nature dissimulées et complexes. Ces signalements contribuent également à cibler les actions de contrôle et de détection, qui constituent le second axe de lutte contre la fraude. Pour faire face aux pratiques trompeuses, dont notamment le démarchage frauduleux, la DGCCRF pilote depuis 2014 c'est à dire avant l'entrée en vigueur du dispositif MaPrimeRénov', une enquête nationale pluriannuelle visant l'ensemble des professionnels de la rénovation énergétique au stade précontractuel. L'enquête nationale réalisée en 2023 auprès de 797 établissements dans le secteur de la rénovation énergétique a ainsi fait ressortir, parmi ces établissements ciblés, un taux d'anomalie de 50 % (contre 54 % en 2022). Ces anomalies ont donné lieu à un nombre important de suites : 139 avertissements (mesures pédagogiques rappelant les dispositions en vigueur), 203 injonctions administratives, 122 procès-verbaux pénaux et 77 procès-verbaux administratifs. En 2024, le renforcement des moyens consacrés à ces enquêtes, et notamment le doublement des effectifs CCRF dédiés, a permis la réalisation de plus de 1 300 visites. Des sanctions pénales significatives ont été prononcées à la suite d'enquêtes des services de la CCRF ; par exemple en 2024, 16 salariés d'une entreprise de la Haute-Vienne ont été condamnés à des peines de prison : le dirigeant a notamment été condamné à 5 années d'emprisonnement, donc 4 fermes. Les contrôles des aides versées aux ménages par l'Anah sont aussi renforcés et diversifiés. Le système d'instruction des demandes de prime MaPrimeRénov' repose sur une instruction en deux étapes, avant et après les travaux, et 100% des dossiers sont contrôlés à chaque étape. Ce système est complété d'un contrôle de second niveau, soit de manière aléatoire, soit selon des critères de risques de fraude qui a été renforcé. Il est parachevé par des contrôles sur place, avant paiement, ciblés sur les dossiers les plus à risque, pour environ 10% des dossiers, contre 7% en 2023. En outre, les données des usagers sont davantage protégées grâce à la sécurisation des comptes mise en place sur les plateformes d'aide avec France Connect +, déployée courant 2024, ainsi qu'à un meilleur contrôle des données fiscales et bancaires. Dans le cas des rénovations d'ampleur, vient s'ajouter l'obligation depuis le 1er janvier 2024 de recourir à un assistant à maitrise d'ouvrage agréé par l'Etat (« Mon Accompagnateur Rénov' ») qui permet de sécuriser l'usager, l'entreprise, et l'Etat tout au long du parcours de travaux aidés ; dispositif qui fait l'objet lui-même d'un contrôle tant des structures agréées que des prestations. Face à la recrudescence des fraudes, la loi de finance initiale pour 2024 a mis en place les fondements législatifs nécessaires à des exigences de garanties financières plus fortes de la part des mandataires. Les dirigeants des entreprises mandataires condamnées pour des schémas frauduleux pourront en outre être personnellement sanctionnés. Afin d'améliorer le ciblage des contrôles et mieux détecter les schémas de fraude et les tentatives de fraude en temps réel, les outils informatiques et l'analyse des données ont été renforcés. Toutes ces lignes de défense peuvent être par ailleurs complétées de vérifications supplémentaires : à titre d'exemple, l'Anah a initié au printemps 2024 une campagne massive de vérification d'identité des bénéficiaires, complémentaire aux procédures de contrôle déjà existantes. Enfin, en cas de suspicion de fraude sur un dossier, sa mise en paiement est suspendue systématiquement par l'ANAH et des vérifications approfondies sont menées. Ces vérifications sont essentielles car une suspicion, ou même une non-conformité à la suite d'un contrôle de l'Anah, ne signifie pas nécessairement une tentative de fraude à l'aide publique. Le Gouvernement est également conscient des tentatives de fraude qui existent sur le dispositif des certificats d'économie d'énergie (CEE). Le taux de contrôle imposé aux producteurs d'énergie avant dépôt de leur dossier augmente progressivement (10 % en 2023, 15 % en 2025). Pour les dispositifs les plus à risque, le taux de contrôle demandé est de 100 %. Ainsi, chaque année, les entreprises demandeuses de CEE réalisent environ 125 000 contrôles sur site par un organisme d'inspection accrédité. En complément, le nombre de contrôles mandatés par la direction générale de l'énergie et du climat est également en augmentation : de l'ordre de 8 000 contrôles sur site ont été réalisés en 2024 et plus de 200 000 vérifications par courrier ou mailing afin de mener des contrôles ciblés sur les travaux de rénovation globale et les thermostats connectés. Les exigences d'indépendance des organismes d'inspection du dispositif des certificats d'économies d'énergie (CEE) ont également été renforcées et les pouvoirs de supervision du comité français d'accréditation (Cofrac) et des services de l'État ont été étendus. De surcroît, le financement des rénovations globales de maisons individuelles par le dispositif CEE a été réformé au 1er janvier 2024 et celui des bâtiments collectifs depuis septembre 2024, pour mieux maîtriser les conséquences de fausses déclarations. Les textes CEE évoluent pour s'adapter en quasi temps réel aux fraudes détectées (renforcement des contrôles avant dépôt sur certains travaux, demande des pièces justificatives supplémentaires en réaction à des schémas de fraude…). Depuis janvier 2023, 34 décisions de sanction ont été prises à l'encontre de 25 entreprises différentes, sous forme de sanctions financières, d'un montant total de 12 M€ et d'annulations de CEE, représentant de l'ordre de 21,1 M€. Enfin, afin de renforcer encore les leviers d'action des services de l'Etat, depuis la prévention jusqu'aux sanctions, le Gouvernement a pris connaissance avec intérêt de la proposition de loi contre toutes les fraudes aux aides publiques, n° 447, déposée le mardi 15 octobre 2024 par M. le député Thomas Cazenave. Il s'attachera à soutenir les mesures qui y sont proposées et/ou à proposer de les amender dans l'objectif d'aller plus loin en matière de lutte contre la fraude à la rénovation énergétique.

Données clés

Auteur : Mme Delphine Batho

Type de question : Question écrite

Rubrique : Finances publiques

Ministère interrogé : Budget et comptes publics

Ministère répondant : Logement

Dates :
Question publiée le 22 octobre 2024
Réponse publiée le 18 février 2025

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