Question orale n° 120 :
Crise de la protection de l'enfance en Haute-Garonne

17e Législature

Question de : Mme Anne Stambach-Terrenoir
Haute-Garonne (2e circonscription) - La France insoumise - Nouveau Front Populaire

Mme Anne Stambach-Terrenoir alerte Mme la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles sur la situation dramatique vécue au Centre départemental de l'enfance et de la famille de la Haute-Garonne. Cet établissement public autonome financé par le conseil départemental accueille des jeunes pris en charge par l'aide sociale à l'enfance et en attente d'une place en structure ou en famille d'accueil, théoriquement pour une durée brève de quelques mois. Dans les faits, des dizaines d'entre eux sont là depuis plus d'un an, parfois plusieurs années et certains font plusieurs passages au CDEF du fait de l'instabilité de leurs conditions d'accueil. Malgré une augmentation importante du budget accordé par le conseil départemental ces dernières années, ce service souffre de sureffectifs, liés à l'augmentation des besoins, au manque de place en famille d'accueil, en établissements sociaux, au manque de référents de l'aide sociale à l'enfance. Cette situation n'est pas propre à la Haute-Garonne. Les besoins augmentent mais les départements sont de plus en plus contraints budgétairement, du fait des décisions prises par les gouvernements successifs auxquels Mme la ministre participe. Certains des jeunes accueillis auraient besoin d'une prise en charge sanitaire ou médico-sociale. Or la pédopsychiatrie et les établissements médico-sociaux sont complètement saturés. En l'absence de prise en charge adaptée, la santé physique et mentale de ces jeunes se dégrade et les travailleurs sociaux du CDEF sont confrontés à des situations auxquelles ils ne peuvent apporter de réponse. Ainsi, sur les cinq premiers mois de 2024, 66 incidents graves ont été signalés, dont 90 % suite à des actes de violence : coup de fil de chargeur dans les yeux, coups de poings dans le ventre d'une maman enceinte de 7 mois qui venait en visite, coup de couteau dans le dos à un agent, coups de pieds, de poing, morsures, tentative de strangulation, tentatives d'incendie. Les agents doivent s'enfermer à clé dans les bureaux pour travailler, ce qui n'est pas sans poser des problèmes de sécurité en cas d'incendie. Des agents sont en pleurs toute la journée et certains enfants sortent traumatisés de leur passage au CDEF. Voilà la réalité du quotidien des jeunes accueillis dans ce service et des travailleurs sociaux qui s'épuisent à tenir ce service à bout de bras. Voilà la réalité de la protection de l'enfance aujourd'hui en France. Le cloisonnement entre les secteurs social, médico-social et sanitaire est un obstacle à la mise en place de solutions concrètes qui permettrait d'améliorer la prise en charge dont ces jeunes ont besoin. Mme la députée demande à Mme la ministre si elle compte enfin mettre en place un comité de suivi réunissant en urgence l'ensemble des acteurs concernés, afin de disposer de dispositifs adaptés à la prise en charge sanitaire et médico-sociale des jeunes accueillis dans les services sociaux. L'agence régionale de santé peut par exemple mettre à disposition des postes de pédopsychiatres, mettre en place une équipe mobile pédo-psychiatrique à destination de ces établissements, mais il faut pour cela qu'elle ait les moyens de mener à bien ses missions. Elle lui demande ce qu'elle compte faire pour répondre à cette situation d'urgence.

Réponse en séance, et publiée le 5 février 2025

PROTECTION DE L'ENFANCE EN HAUTE-GARONNE
M. le président . La parole est à Mme Anne Stambach-Terrenoir, pour exposer sa question, no 120, relative à la protection de l'enfance en Haute-Garonne.

Mme Anne Stambach-Terrenoir . Je souhaite alerter la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles sur la situation dramatique du centre départemental de l'enfance et de la famille (CDEF) de Haute-Garonne.

Cet établissement fait office de service d’urgence de l’aide sociale à l’enfance (ASE) : il prend en charge l’accueil inconditionnel de tout mineur ayant besoin d’une mise à l’abri immédiate, qu’il lui soit confié sur décision de parents, du juge des enfants ou du parquet des mineurs. Qui dit service d’urgence dit, en théorie, séjour bref : les jeunes ne doivent y rester que quelques mois, dans l’attente d'un placement en structure ou en famille d’accueil.

Cependant ces places n’existent pas, ou en trop petit nombre. En réalité, des dizaines de ces jeunes séjournent donc dans ce centre depuis plus d’un an, parfois plusieurs années, et certains y font plusieurs passages.

Malgré l'augmentation importante du budget accordé par le conseil départemental ces dernières années, le service souffre terriblement de cette suractivité : sa pouponnière accueille parfois plus de quarante bébés pour seulement trente-six places, des jeunes y dorment sur des matelas posés au sol, on y observe une recrudescence d’actes de violence, parfois graves, entre enfants accueillis et envers les agents. Ces situations intenables provoquent un turnover qui ne permet plus d’assurer un véritable accompagnement. Des agents sont en pleurs toute la journée ; certains enfants sortent traumatisés de leur passage au CDEF.

Voilà la réalité du quotidien d’enfants et de jeunes qui sont pourtant là parce qu’ils ont un besoin urgent d’être protégés. Voilà la réalité du quotidien des travailleurs sociaux qui s’épuisent à tenir ce service à bout de bras.

Cette situation n’est pas propre à la Haute-Garonne ; elle n’est pas non plus l’affaire exclusive des conseils départementaux. Elle nécessite une intervention immédiate de l’État, d’autant plus que le budget que vous venez d'adopter par 49.3 retranche plus de 2 milliards des budgets des collectivités.

La saturation et le manque de moyens des services de pédopsychiatrie ainsi que le cloisonnement institutionnel entre les secteurs sanitaire, social et médico-social expliquent pourquoi beaucoup de jeunes du CDEF, qui ont souvent vécu l’indicible, n’ont pas accès à la prise en charge sanitaire ou médico-sociale dont ils auraient besoin. Leur santé physique et mentale se dégrade et les travailleurs sociaux se retrouvent face à des situations auxquelles ils ne peuvent répondre, mettant en danger les jeunes comme les agents.

En février 2024, après une succession de drames en psychiatrie au centre hospitalier universitaire (CHU) de Toulouse, le ministre Frédéric Valletoux avait annoncé la création d’un comité de suivi réunissant tous les acteurs pour penser enfin des mesures d’urgence et une réorganisation de la psychiatrie dans le département. Cela faisait des années que les soignants alertaient sur l’effondrement de la psychiatrie publique, sans être entendus.

Cela fait aussi des années que les agents du CDEF et de l’ASE alertent sur l’effondrement de leurs services.

Les professionnels demandent que tous les acteurs – département, agence régionale de santé (ARS), services de pédopsychiatrie et préfecture –, soient sans tarder mis autour de la table pour dégager des mesures d’urgence dotées de moyens et des axes de travail concrets.

Il faut des places pérennes pour accueillir les enfants et les jeunes, pour les accompagner dignement ; il faut des unités supplémentaires au CDEF et les moyens matériels et humains qui vont avec ; il faut des équipes mobiles de pédopsychiatrie et de professionnels du médico-social ; il faut des mesures d’urgence, pour la sécurité et le respect de la dignité des jeunes qui sont placés, comme des agents qui travaillent à leurs côtés. Ces derniers doivent être écoutés maintenant.

Nous sommes tous responsables des enfants de l'ASE. Lorsqu’ils arrivent au CDEF, c’est qu’ils ont besoin d’une protection immédiate ; or nous les mettons aujourd’hui en danger. N’attendez plus les drames pour agir.

M. le président . La parole est à Mme la ministre chargée du travail et de l’emploi.

Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du travail et de l’emploi . La situation que vous décrivez appelle toute notre attention. Mme Catherine Vautrin, la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles, s'assurera auprès du préfet et du président du conseil départemental que le nécessaire sera fait avec diligence. Elle demandera, au besoin, une instruction conjointe des directions départementales de l'emploi, du travail et des solidarités (DDETS) et des ARS.

La ministre a déjà exprimé sa préoccupation et son ambition de refonder la protection de l'enfance. Elle connaît très bien les difficultés que vous venez de souligner.

La santé et le bien-être des enfants protégés, notamment ceux ayant des besoins spécifiques en matière de prise en charge de leur handicap ou de leur santé mentale, importent tout particulièrement. Une enveloppe de 50 millions d'euros, prévue par l'objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) et dédiée au développement de réponses pour ces enfants, sera valorisée dans le cadre de la contractualisation en prévention et protection de l'enfance.

Cette enveloppe doit faciliter le déploiement d'équipes mobilisables par les professionnels de l'ASE en guise d'appui à l'évaluation des besoins des enfants protégés en situation de handicap ou à l'accompagnement de ces enfants dans le cadre d'interventions de professionnels formés. Il s'agit aussi de développer des places dédiées à ces enfants dans les instituts médico-éducatifs (IME), dont on connaît la situation très contrainte. Nous sommes également très attachés à développer l'accueil familial et thérapeutique (AFT), pour faciliter la prise en charge d'enfants à profil complexe ou souffrant de troubles psychiatriques – Mme Vautrin s'y emploie.

Face à des situations telles que celles des secteurs social, médico-social et sanitaire, la contractualisation tripartite entre l'État, les conseils départementaux et les ARS vise à apporter des réponses pluridisciplinaires, qui englobent les champs du handicap et de la santé mentale.

Plus largement, nous portons une attention particulière à la santé de tous les enfants protégés, et les expérimentations en cours – dans le cadre des dispositifs Santé protégée et Pégase (protocole de santé standardisé appliqué aux enfants ayant bénéficié avant l'âge de 5 ans d'une mesure de protection de l'enfance) – se révèlent prometteuses : Mme Vautrin travaillera à leur généralisation. Vous connaissez également notre attachement aux unités d’accueil pédiatrique des enfants en danger (Uaped). Comme vous l'avez dit, l'enfance en danger est l'affaire de tous.

Données clés

Auteur : Mme Anne Stambach-Terrenoir

Type de question : Question orale

Rubrique : Enfants

Ministère interrogé : Travail, santé, solidarités et familles

Ministère répondant : Travail, santé, solidarités et familles

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 28 janvier 2025

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