Question écrite n° 1218 :
Friche industrielle de Château-Feuillet à La Léchère en Savoie

17e Législature

Question de : M. Jean-François Coulomme
Savoie (4e circonscription) - La France insoumise - Nouveau Front Populaire

M. Jean-François Coulomme interroge M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie sur la friche industrielle de Château-Feuillet (anciennement Ferroglobe) à La Léchère, en Savoie. Les industries à forte consommation d'énergie se sont développées dans les vallées alpines il y a plus d'un siècle pour accéder à l'énergie hydroélectrique. C'est ainsi que le site de Château-Feuillet, en Tarentaise, a vu se développer sur une dizaine d'hectares des activités électro-métallurgiques autour de la production de silicium. La multinationale Ferroglobe a décidé de manière incompréhensible l'arrêt d'activité de Ferropem et a licencié en 2022 plus de 200 personnes sans que le motif économique n'ait été reconnu par le ministère du travail ; une vingtaine d'agents sont toujours salariés protégés actuellement du fait du refus du motif économique par l'administration. Ferroglobe a cédé cette « friche industrielle » de 12 hectares à la société Ugi'Ring au capital de 100 000 euros, à l'exception de la zone de décharge de 2 hectares conservée par Ferropem et dont on ne connaît pas la destinée. Cette friche industrielle se situe : à côté de la RN90 qui est saturée de voitures, souvent à l'arrêt lors des chassés-croisés de déplacements vers les stations de sports d'hiver ; à une centaine de mètres de l'école communale ; à quelques décamètres de logements, d'un hôtel, d'une station thermale qui existait bien avant l'implantation des usines, et au droit de trois cours d'eau, dont l'Isère. La société Ugi'Ring est la filiale d'Ugitech à Ugine, située à 30 km de Château-Feuillet, et qui a bénéficié d'une aide publique de 9,4 millions d'euros en 2021 pour développer le projet d'économie circulaire en recyclant les déchets de l'aciérie d'Ugine et de 20 millions d'euros au titre des métaux critiques. Ce projet était prévu sur le site d'Ugine. Saisissant l'opportunité de l'arrêt d'activité de Ferropem à Château-Feuillet, Ugi'Ring a sollicité des aides publiques importantes pour un projet passant de 13 000 tonnes de déchets sidérurgiques à 77 000 tonnes par an d'entrants dont 50 000 tonnes de déchets dangereux non spécifiés. Ce faisant, le projet consiste à faire entrer dans la vallée étroite de Tarentaise, par camions, 80 000 tonnes par an de produits toxiques, pour faire ensuite ressortir de la vallée 26 000 tonnes de produits extraits du ou des fours d'Ugi'Ring, après les opérations d'incinération et de traitement à proximité d'habitations, d'une école, d'une station thermale et de plusieurs cours d'eau dont l'Isère. Le projet prévoit 3 ou 4 cheminées de 33 mètres de hauteur, par lesquelles s'échapperont des fumées dont la composition n'est pas communiquée, et probablement des PFAS (alkyls perfluorés et polyfluorés) et autres molécules toxiques, ce qui est particulièrement inquiétant pour les populations. L'aérologie en vallée étroite empêche souvent la circulation des masses d'air, ce qui est un facteur aggravant dans ce type de configuration géographique. La population n'a pas été associée au choix de reprise et de destinée de cette friche industrielle stratégique. Elle a découvert le dossier Ugi'Ring en février 2024 au moment de l'enquête publique en vue d'autoriser la société Ugi'Ring à exploiter le site et d'instaurer des servitudes d'utilité publique, plusieurs mois après l'achat du site par la société Ugi'Ring. Malgré la faible information officielle, les habitants se sont très vite mobilisés : en quelques jours plus de 800 personnes se sont regroupées sur les réseaux sociaux, une pétition a été signée par 17 000 personnes alors que la population du territoire est de 6 500 habitants. Le collectif citoyen a organisé des réunions publiques qui ont permis d'informer et de débattre sur les enjeux de ce projet de site Seveso « seuil haut », et a élaboré un projet alternatif pour proposer un autre avenir à ce site, correspondant aux besoins économiques et sociaux locaux : accueil d'entreprises puisque l'assemblée du Pays de Tarentaise Vanoise déclare le manque de 30 ha pour accueillir des activités économiques sur ce territoire. Le nombre d'emplois industriels par hectare est en moyenne de 30 à 50 en France. Avec Ugi'Ring, on est à 5, et peut-être, à terme, 10 emplois par hectare. Le projet alternatif permet d'envisager plus de 300 emplois avec l'accueil de plusieurs entreprises, ce qui diminue le risque concernant la durabilité des emplois. A contrario, la société Ugi'Ring, qui dépend du groupe international Swiss Steel, et dont une partie du capital appartient à un oligarque russe, est vulnérable et ne s'engage pas dans la durée, malgré les importantes aides publiques qui ne font pas l'objet de contreparties engageant la holding bénéficiaire, et ne s'engage pas davantage dans la garantie financière des risques et potentielles catastrophes industrielles, puisque le capital engagé par l'industriel n'est que de 100 000 euros. Ce projet alternatif prévoit aussi la création de nombreux logements dans une partie de terrain qui n'est pas polluée, ce qui répondrait à une forte demande (pour de la résidence principale à prix accessible, notamment en location). Compte tenu de la loi « ZAN », ce projet alternatif présente l'avantage de développer des emplois et des logements sans aucune consommation d'espaces non anthropisés, et sans risque pour un territoire de montagne en pleine reconversion de son modèle économique jusqu'ici largement dépendant du tourisme hivernal, et pour lequel le tourisme des 4 saisons est un enjeu de maintien de plusieurs dizaines de milliers d'emplois, saisonniers et permanents. Ainsi, les questions de M. le député sont les suivantes : suite à l'enquête publique qui a suscité plus de 900 questions dont la plupart sans réponse, et des risques pour la population comme pour l'environnement, M. le ministre peut-il suspendre toute décision de l'État ? M. le ministre peut-il organiser une concertation avec tous les acteurs permettant d'envisager toutes les hypothèses, y compris celle de trouver un autre site pour le projet Ugi'Ring et envisager un projet alternatif à La Léchère ? M. le ministre peut-il apporter toutes les informations sur les 54 000 tonnes de différence entre les intrants et les sortants du projet Ugi'Ring ? M. le ministre peut-il garantir l'absence d'impact sur l'activité agricole (zone AOC Beaufort), sur l'apiculture, sur la santé des riverains, sur l'activité de la station thermale de La Léchère, sur les nuisances sonores, sur les déversements accidentels de toxiques dans les cours d'eau, sur les risques sismiques et les risques de sinistres ? Vu la proximité avec la zone Natura 2000 du massif de la Lauzière, du site de montagne préservé de Naves bénéficiant d'une politique financée au titre du tourisme doux, comment M. le ministre voit-il la compatibilité de ce projet Seveso avec la politique de valorisation du patrimoine naturel engagé par les vallées d'Aigueblanche, largement financée par les fonds publics dans le cadre notamment de « l'Espace valléen » ? Qui paiera les conséquences sur l'activité agricole (zone AOP Beaufort), sur l'apiculture, sur la santé des riverains, sur l'activité de la station thermale de La Léchère, sur la qualité de l'air et de l'eau ? L'usine sidérurgique de Feurs (Loire), qui pratique aussi le recyclage et le traitement de piles, qui fut dirigée par un des actionnaires d'Ugi'Ring, a connu une dizaine d'accidents ayant eu pour conséquences des décès et des blessés graves : quelle confiance peut-on avoir en ces dirigeants ? Sur un investissement d'environ 90 millions d'euros, les subventions publiques étant de 30 millions d'euros, comment justifier ces versements publics bénéficiant à une holding à capitaux étrangers, par ailleurs en difficulté financière ? Quelles garanties sont exigées de la part de l'actionnaire majoritaire pour assurer la viabilité économique, sociale et environnementale de cette activité ? Il lui demande enfin ce qu'il pense de la sous-densité d'emplois du projet Ugi'Ring par rapport à la surface exploitée, tandis que la Tarentaise est en manque de foncier pour l'expansion des entreprises locales, fortement liées à l'activité touristique, thermale, des sports d'hiver et du pastoralisme, ainsi que les services médicaux, paramédicaux, bien-être, restauration et hôtellerie qui les accompagnent.

Réponse publiée le 18 mars 2025

L'État suit avec la plus grande attention la transformation du site industriel de Ferropem, fermé en 2021 après le licenciement de 230 salariés, et son intégration dans deux projets structurants portés par les entreprises Ugitech et Tokai Cobex. Ces initiatives s'inscrivent dans une dynamique de relance économique et de transition écologique, appuyé par un accompagnement étroit des services de l'État, particulièrement vigilants au respect des procédures en vigueur. Repreneur du site, le sidérurgiste spécialisé en aciers inoxydables Ugitech prévoit d'y développer son projet Ugi'Ring. Ugitech est aujourd'hui le seul producteur français d'aciers inoxydables, et utilise à ce titre des ferro-alliages de nickel, molybdène, manganèse et de chrome principalement, aujourd'hui exclusivement issus d'extraction minière en dehors des frontières de l'Union européenne. Le projet Ugi'Ring de recyclages de ferro-alliages par pyrométallurgie permettra la production in-situ de ferro-alliages de seconde vie par valorisation de piles alcalines et salines d'une part, et de coproduits industriels provenant d'Ugitech d'autre part. Ce projet limitera les besoins d'Ugitech en ferro-alliages primaires de plus de 90 %, diminuant d'une part les émissions dites de scope 3 associées à la production de ferro-alliages primaires, et réduisant du même coup drastiquement la dépendance du seul producteur d'acier inoxydable français aux matières premières extra-européennes. À proximité, l'entreprise Tokai Cobex mène le projet BAM4EVER, initiative reposant sur plusieurs investissements successifs et soutenus par l'État dans le cadre des plans France Relance et France 2030. Tokai Cobex ambitionne de produire en France jusqu'à 50 000 tonnes de graphite synthétique à partir de 2028, utilisé pour la production d'anodes destinées à la production de cellules de batteries de véhicules électriques. En complément de l'acquisition d'équipements et de la construction de nouveaux ateliers de production, un des investissements du projet consiste en la réactivation d'un four mis en sommeil pour produire du graphite synthétique destiné à ce marché, les sites français ayant jusqu'à une période récente concentré leur production sur des produits nécessaires aux activités de la métallurgie. Bien que la cuisson au combustible fossile reste indispensable à ce stade, le gaz naturel est également utilisé pour le traitement des fumées, renforçant la qualité environnementale du processus. Le procédé technologique développé par Tokai Cobex permet la production d'un graphite synthétique doté d'une empreinte carbone de l'ordre de 3 kg de CO2 équivalent par kg de graphite produit, alors que l'empreinte carbone moyenne est de l'ordre de 40 kg de CO2 équivalent par kg de graphite dont la production mondiale est contrôlée à plus de 95 % par la Chine. Fin 2023, l'enjeu crucial des discussions portait sur le financement de la desserte de gaz, indispensable à la réalisation des phases ultérieures des projets Ugi'Ring, en particulier pour sa phase II, et Tokai Cobex. En plus de répondre aux besoins techniques des deux initiatives précitées, ce dispositif permet de remplacer le fioul, réduisant ainsi l'impact environnemental et augmentant la sécurité des sites. Les échanges sur ce point sont toujours en cours et progressent activement. Sur ces deux projets, les services de l'État sont pleinement mobilisés afin de garantir que chaque étape respecte scrupuleusement les procédures en vigueur, notamment en matière environnementale comme en matière de sécurité. Leurs réussites se traduiraient dès lors par des évolutions importantes pour l'aménagement du territoire, notamment dans une région marquée par la fermeture de Ferropem. Ces différents projets offrent surtout des perspectives significatives de revitalisation économique dans une zone rurale fragilisée, avec des créations d'emplois et des projets de développement futur. Sur le plan industriel, ils participent à la relocalisation d'une partie de la chaîne de valeur des batteries électriques pour le projet de Tokai Cobex, et à la désensibilisation de la production nationale d'aciers inoxydables aux imports de ferro-alliages d'en dehors de l'UE pour le projet d'Ugitech, renforçant ainsi la souveraineté nationale dans des secteurs stratégiques. Enfin, ils contribuent à la transition écologique en permettant l'intégration des procédés visant à réduire les émissions de CO, directes et indirectes, par rapport aux technologies actuelles existantes – tout en prévoyant des évolutions futures vers des solutions encore plus durables. Tout au long de ces transformations, l'État restera à l'écoute de toutes les parties prenantes et continuera de favoriser la concertation, dans le cadre des règles et des processus consultatifs. À ce titre, des avancées importantes peuvent être relevés. Le rapport d'enquête publique pour le projet Ugi'Ring, publié le 6 juin 2024, a validé toutes les autorisations environnementales nécessaires. En parallèle, des échanges réguliers ont lieu avec les associations locales, comme "Action citoyenne pour la Léchère", qui a présenté des propositions alternatives au sous-préfet d'Albertville. Le 14 octobre 2024, deux arrêtés validant la demande d'autorisation environnementale et d'institution de servitudes d'utilité publique autour du site, ont été signés par le préfet. Enfin, une réunion publique organisée le 15 novembre 2024 a permis de rassembler 200 personnes, témoignant de l'importance du dialogue et de la transparence. Lors de cette réunion, la même association a annoncé vouloir proposer une motion en demandant aux autorités publiques et aux élus locaux de différer ce projet d'installation d'Ugi'Ring et demander un moratoire. Quoi qu'il en soit, les différents services de l'État demeurent engagés en faveur de ces projets industriels, dont la contribution au développement des filières décarbonées de l'acier et des batteries est essentielle à la compétitivité et à la souveraineté industrielle française. Ces démarches illustrent notre objectif visant à concilier ambition économique et transition écologique, tout en assurant un dialogue constructif avec les acteurs locaux.

Données clés

Auteur : M. Jean-François Coulomme

Type de question : Question écrite

Rubrique : Industrie

Ministère interrogé : Économie, finances et industrie

Ministère répondant : Industrie et énergie

Dates :
Question publiée le 22 octobre 2024
Réponse publiée le 18 mars 2025

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