Décarbonation du site d'ArcelorMittal de Dunkerque
Question de :
M. Julien Gokel
Nord (13e circonscription) - Socialistes et apparentés
M. Julien Gokel interroge M. le ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l'industrie et de l'énergie, sur le projet de décarbonation du site d'ArcelorMittal de Dunkerque. Cette transformation majeure du territoire repose sur deux piliers : d'une part, l'arrivée des industries du futur avec les gigafactories de batteries électriques et d'autre part, la mutation de son industrie historique à travers la décarbonation de la sidérurgie. Cette dernière est capitale, car ArcelorMittal est le premier émetteur de CO2 du Dunkerquois, un territoire qui représente à lui seul 21 % des émissions industrielles du pays. L'enjeu est clair : produire des millions de tonnes d'acier vert par an, en s'appuyant sur des fours électriques et sur la transformation du minerai de fer avec de l'hydrogène bas carbone plutôt qu'avec du charbon. Annoncée en 2023, la décarbonation du site de Dunkerque a suscité de nombreux espoirs. Cependant, l'annonce récente du report de ce projet inquiète les salariés, les élus et l'ensemble des acteurs économiques du territoire. La viabilité du projet de décarbonation dépend de la sortie de la crise sans précédent que traverse la sidérurgie française et européenne. Aujourd'hui, la concurrence internationale, notamment chinoise, bénéficie d'avantages compétitifs qui lui permettent d'écouler sa production à des prix extrêmement bas. Dans ce contexte international et en dépit de la promesse de soutien de l'État à hauteur de 850 millions d'euros d'argent public, la décarbonation du site d'ArcelorMittal est suspendue. L'acier est un bien essentiel et la sidérurgie est fondamentale pour la souveraineté du pays. Elle nécessite des mesures ambitieuses, qui doivent être prises dans les meilleurs délais. M. le député interroge donc le Gouvernement sur les actions qu'il envisage pour garantir la compétitivité de l'industrie sidérurgique française et européenne. Il souhaite connaître les intentions du Gouvernement et les leviers d'action envisagés pour renforcer les mesures de sauvegarde protégeant l'industrie française des importations extra-européennes. Par ailleurs, il souhaite savoir si le Gouvernement entend intervenir auprès de la Commission européenne pour accélérer la mise en place du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) au niveau européen. Sur la question fondamentale de l'énergie, M. le député souhaite savoir si l'État est en mesure de favoriser la signature de contrats d'allocation de production nucléaire (CAPN) avantageux entre les entreprises électro-intensives et EDF, afin de garantir aux aciéristes un accès à une électricité à bas coût. Enfin, M. le député souhaite connaître la position du Gouvernement sur la suspension du projet de décarbonation. Entend-il maintenir une pression ferme pour qu'ArcelorMittal honore ses engagements en matière de transition, étape indispensable pour sécuriser l'avenir du site ? À ce jour, 125 millions d'euros ont déjà été engagés sans que le projet de décarbonation ne soit amorcé. L'État doit s'assurer du bon usage de l'argent public. La situation inquiète de plus en plus le Dunkerquois, où l'industrie sidérurgique joue un rôle moteur. Le projet de décarbonation est capital, non seulement pour le territoire, mais aussi pour l'industrie française dans son ensemble. Il souhaite connaître sa position sur le sujet.
Réponse en séance, et publiée le 5 février 2025
SITE D'ARCELORMITTAL DE DUNKERQUE
M. le président . La parole est à M. Julien Gokel, pour exposer sa question, no 130, relative au site d'ArcelorMittal de Dunkerque.
M. Julien Gokel . Le Dunkerquois vit un moment charnière de son histoire, marqué par une transformation industrielle d'une ampleur inédite. Ce basculement repose sur deux dynamiques complémentaires : d'une part, l'implantation des industries du futur, en l'occurrence des gigafactories de batteries électriques et, d'autre part, la mutation de notre industrie historique incarnée par la décarbonation de l'activité sidérurgique. Cette mutation, cette transition, est capitale parce que le site d'ArcelorMittal est le premier émetteur de CO2 du Dunkerquois, territoire qui, je tiens à le rappeler, représente à lui seul 21 % des émissions industrielles de notre pays.
En 2023, lorsque toutes les planètes semblaient alignées, l'annonce de la décarbonation du site de Dunkerque a suscité de nombreux espoirs, mais la nouvelle récente du report de ce projet nous inquiète à juste titre. J'ai eu l'occasion d'interroger dernièrement le président d'ArcelorMittal, qui met en avant la conjoncture économique mondiale pour expliquer ce report d'investissement dans la décarbonation, invoquant notamment la concurrence internationale qui bénéficie d'avantages compétitifs lui permettant d'inonder le marché à des prix extrêmement bas.
L'acier est un bien essentiel et la sidérurgie est fondamentale pour notre souveraineté, vous le savez, madame la ministre. Je souhaite donc vous interroger sur les mesures que le gouvernement peut prendre pour garantir la compétitivité de l'industrie sidérurgique française et européenne face à la concurrence étrangère.
Premièrement, s'agissant de la question fondamentale de l'énergie, le gouvernement est-il en mesure d'accélérer la signature de contrats d'allocation de production nucléaire (CAPN) avantageux entre les aciéristes et EDF afin de leur garantir un accès à une électricité à bas coût ? Je rappelle que l'État détient 100 % du capital d'EDF et doit jouer son rôle dans cette affaire.
Ensuite, au niveau européen, quels leviers le gouvernement compte-t-il activer pour renforcer les mesures de sauvegarde protégeant notre industrie des importations extracommunautaires ? Envisage-t-il d'intervenir auprès de la Commission européenne pour accélérer la mise en place du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières ? Et pouvons-nous attendre quelque chose de probant du prochain plan d'urgence pour l'acier qui doit être présenté par la Commission à la fin du mois de février ?
Enfin, quelle est la position du gouvernement sur la suspension, provisoire à ce stade, du projet de décarbonation d'ArcelorMittal à Dunkerque ? L'État, qui a déjà engagé 130 millions d'euros sans que le projet ne soit amorcé, a, je n'en doute pas, son mot à dire. Entend-il maintenir une pression ferme pour que le groupe ArcelorMittal honore ses engagements ?
Nous sommes nombreux, dans le Dunkerquois et ailleurs, les salariés en premier lieu, à attendre des réponses concrètes concernant l'avenir du site d'ArcelorMittal.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire.
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire. Tout comme vous, le gouvernement est mobilisé pour préserver l'empreinte industrielle d'ArcelorMittal, qui représente près de 15 000 emplois directs en France. Alors que la sidérurgie européenne est en crise, les ministres Lombard et Ferracci expriment des demandes fortes auprès de la Commission pour agir rapidement en faveur de notre souveraineté industrielle, dans le cadre notamment du Clean Industrial Deal – pacte pour une industrie propre –, en particulier par le biais du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, dit MACF, qui sera pleinement opérationnel en 2026.
Il doit être renforcé de trois manières : un, par l'utilisation de valeurs par défaut selon l'empreinte carbone de l'acier du pays importateur ; deux, par l'extension progressive du MACF aux produits utilisant des volumes significatifs d'acier pour éviter les fuites de carbone ; trois, par des mesures de compensation du coût de carbone pour les industriels qui exportent.
Vous avez également posé des questions quant aux mesures de sauvegarde de l'Union européenne en matière d'acier. Il est vrai que les mesures actuelles ne suffisent pas. Et elles se termineront de toute façon en 2026. C'est pourquoi, à court terme, le gouvernement souhaite, d'une part, s'appuyer en renfort sur les mesures de sauvegarde mises en place en 2018 en baissant les quotas d'importation du fait de la baisse de la demande et, d'autre part, demander à la Commission d'accentuer ses enquêtes antidumping. Aussi, nous travaillons dès aujourd'hui avec nos partenaires européens sur l'après 2026.
S'agissant des prix de l'électricité, je vous confirme que le gouvernement souhaite garantir à notre industrie un prix d'électricité compétitif grâce à notre parc nucléaire. C'est nécessaire à l'électrification et à la décarbonation. Les échanges en ce sens se poursuivent avec EDF et certains contrats ont déjà été signés.
Vous avez posé également une question sur le projet de décarbonation du site de Dunkerque. L'État s'est engagé à le subventionner à hauteur de 850 millions d'euros pour une unité de réduction directe du fer fonctionnant au gaz naturel, puis à terme avec de l'hydrogène et deux fours électriques, en remplacement d'un haut-fourneau qui fonctionne actuellement au charbon.
À ce jour, aucun montant n'a été décaissé car la situation de la sidérurgie européenne ne permet pas à l'entreprise de lancer les investissements. L'État ne verse pas d'aide sans commande du matériel par l'entreprise. Pour autant, ce projet est clé pour la souveraineté industrielle de la France et permettra de préserver l'avenir de ce site et des sites qui en dépendent. L'objectif du gouvernement reste donc le lancement de ces investissements, gage de pérennité de l'outil industriel et des emplois qui y sont associés.
M. le président . La parole est à M. Julien Gokel.
M. Julien Gokel . Vous reconnaissez qu'il n'y a pas encore d'aide de la part de l'État…
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée . Pas d'aide décaissée.
M. Julien Gokel . Mais le président d'ArcelorMittal nous a indiqué avoir tout de même financé 90 millions d'euros d'études, ce qui n'est pas rien, grâce aux aides publiques. Nous étions donc en droit d'espérer qu'il n'y ait pas de suspension du processus.
Comme beaucoup, je pense qu'il y a des raisons de croire que la production d'acier en Europe, en France et en particulier dans le Dunkerquois pourra retrouver des marges de compétitivité dans un avenir proche. Cependant, pour cela, il faudra accélérer au niveau européen, faire preuve de plus d'ambition et de moins d'hésitation lorsqu'il s'agit de protéger les intérêts fondamentaux de notre continent.
L'acier est partout autour de nous, dans l'armature, dans la charpente de nos bâtiments, dans les châssis et la carrosserie de nos moyens de transport, dans nos infrastructures ferroviaires, dans la coque des navires et dans les porte-conteneurs qui transitent chaque jour dans le port de Dunkerque mais aussi dans nos autres ports. L'acier est de surcroît indispensable dans la construction de nos futures centrales nucléaires, de nos éoliennes, de nos machines industrielles et dans la production de milliers d'objets du quotidien. C'est un matériau qui doit être considéré comme un bien essentiel et dont la production doit être maintenue sur notre territoire !
Dans le Dunkerquois, où l'industrie sidérurgique joue un rôle moteur avec 3 200 emplois directs et près de 10 000 emplois indirects, on dit souvent : « Si ArcelorMittal s'enrhume, c'est tout le territoire qui tousse. » Madame la ministre déléguée, nous comptons sur le gouvernement pour bien évidemment avancer sur ces sujets.
Auteur : M. Julien Gokel
Type de question : Question orale
Rubrique : Industrie
Ministère interrogé : Industrie et énergie
Ministère répondant : Économie, finances, souveraineté industrielle et numérique
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 28 janvier 2025