Lutte contre la pédocriminalité
Question de :
Mme Bénédicte Auzanot
Vaucluse (2e circonscription) - Rassemblement National
Mme Bénédicte Auzanot interroge M. le ministre de l'intérieur sur la lutte contre les réseaux de pédocriminels. Elle souhaite connaître la liste des services engagés dans cette lutte et le détail des moyens mis en œuvre par le ministère en matière d'effectifs et de budget. Elle désire également savoir si des statistiques spécifiques à cette forme de délinquance sont disponibles et, dans l'affirmative, en obtenir la transmission.
Réponse publiée le 3 juin 2025
La lutte contre les violences commises à l'encontre des mineurs constitue de longue date un domaine d'action prioritaire pour les forces de sécurité intérieure, au premier rang desquelles la direction nationale de la police judiciaire et ses services territoriaux de la filière judiciaire, ainsi que la préfecture de police. A l'échelon central, le dispositif répressif est piloté par l'office mineurs (OFMIN), créé en août 2023 et rattaché à la direction nationale de la police judiciaire (DNPJ) de la direction générale de la police nationale. La création de cet office spécifiquement chargé de la lutte contre les violences graves faites aux mineurs vise à renforcer les moyens d'action et à améliorer l'efficacité du traitement judiciaire de ces violences. Composé de policiers et de gendarmes, formés et spécialisés dans les techniques d'investigation et les techniques spéciales d'enquête (analyse d'images aux fins d'identification des victimes, enquête sous pseudonyme, etc.), et d'une psychologue, cet office, chef de file national de la lutte contre les violences faites aux mineurs, est particulièrement chargé d'animer et de coordonner, sur le plan national, l'action des services de police et des unités de gendarmerie dans ce domaine (à l'exception des violences exercées dans le cadre de faits de proxénétisme, traitées par un autre service central de la DNPJ : l'office central pour la répression de la traite des êtres humains). Il traite à son niveau le haut du spectre de la criminalité faite aux mineurs. L'office coordonne des opérations nationales, voire internationales, d'interpellation de pédocriminels, le plus souvent en lien avec des réseaux pédocriminels utilisant des messageries chiffrées. En 2024, l'OFMIN a par exemple été à l'initiative de l'interpellation du fondateur et PDG de la plateforme TELEGRAM. L'OFMIN a développé une grande expertise dans le traitement des phénomènes pédocriminels tels que le « livestreaming » (commande, achat et visionnage en ligne de sessions en direct ou enregistrées de viols et agressions sexuelles sur mineurs), pour lequel il exerce une compétence exclusive, de « sextorsion » (chantage en ligne à l'obtention de contenus pédocriminels et/ou d'argent auprès d'un mineur), de « grooming » (mise en confiance et sollicitation en ligne d'un mineur à des fins sexuelles), de pédocriminalité itinérante (Français ou résidents français se déplaçant dans un autre pays dans le but d'avoir des relations sexuelles avec un mineur). Enfin, l'OFMIN a développé une importante activité de veille et d'enquête sous pseudonyme sur les réseaux, sur l'internet classique mais aussi le « darknet », amenant à l'identification de dizaines de membres de communautés pédocriminelles se livrant à du partage de contenus pédocriminels, voire de producteurs de contenus et donc d'agresseurs physiques (44 % des individus échangeant des contenus illicites passent à l'acte physiquement sur un enfant). L'OFMIN est le point de contact central pour la France des organismes de police Europol et Interpol, de l'ensemble des services étrangers dédiés à la lutte contre l'exploitation sexuelle des mineurs, mais également de ses partenaires français et étrangers du milieu associatif et du secteur privé. Un poste d'expert technique international dédié à la lutte contre la cyberpédocriminalité a été créé pour la zone de l'ASEAN (Asie du Sud-Est) à Bangkok le 1er décembre 2024 et a été pourvu par un enquêteur de l'OFMIN. L'office est également le représentant de la France au sein du groupe d'experts EMPACT (European Multidisciplinary Platform Against Criminal Threats), hébergé par Europol. Il convient en outre de souligner que l'OFMIN se dote progressivement de structures territoriales sur l'ensemble du territoire. Les effectifs de ce réseau territorial bénéficieront à la fois des formations spécifiques et de l'assistance ou de l'appui de l'office. L'OFMIN produit notamment des guides opérationnels détaillant un phénomène ou une technique d'enquête, dotant les enquêteurs des outils nécessaires à un traitement efficace des procédures. L'OFMIN a ouvert 270 enquêtes judiciaires en 2024, permettant l'identification en procédure de 99 pédocriminels au profil particulièrement dangereux. 233 autres profils d'individus détenteurs et diffuseurs d'images pédocriminelles ont été transmis à des services territorialement compétents pour une judiciarisation locale. Ce travail représente un total de 332 individus suspectés d'infractions en lien avec la pédocriminalité. La lutte contre les violences faites aux mineurs implique, naturellement, un engagement actif dans l'espace numérique. À cet égard, la plate-forme PHAROS (plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements) de la DNPJ, rattachée à l'office anti-cybercriminalité (OFAC) - composé de policiers et de gendarmes -, administre le portail www.internet-signalement.gouv.fr. Ce portail permet depuis 2009 aux particuliers, aux associations, aux administrations et aux professionnels de l'internet de signaler les contenus illicites, notamment de nature pédocriminelle (images, vidéos pédocriminelles, propositions sexuelles faites à un mineur, etc.). Les effectifs de PHAROS ont doublé depuis 2020, permettant de faire évoluer le fonctionnement de la plate-forme, qui assure désormais une prise en compte des signalements en 24/7. Le traitement de ces signalements permet à PHAROS d'agir en parallèle sur les plans judiciaire et administratif : sur le plan judiciaire, une unité est chargée d'initier des investigations pour identifier et/ou localiser les auteurs de contenus illicites (en l'occurrence, pédocriminels) aux fins de transmission au service territorialement compétent ; sur le plan administratif, une cellule spécialisée est chargée de mettre en œuvre les prérogatives administratives de la plate-forme, qui visent, notamment en matière de contenus pédocriminels, à bloquer et déréférencer ces derniers lorsqu'ils n'ont pas été retirés à sa demande. Cette dernière cellule agit à la fois sur le fondement des contenus signalés, mais également sur tous les contenus détectés de manière proactive, dans le cadre d'une veille permanente. Il peut être noté qu'en parallèle de l'activité de PHAROS, l'OFAC et son réseau territorial (11 antennes et 8 détachements actuellement, mais à terme 45 détachements) intervient également en assistance des services d'enquête, à l'instar de l'OFMIN, afin de les aider sur le plan technique. Il assure également une mission de lutte contre les cyberservices criminels dans ses aspects darknet et darkphone, vecteurs de partage notamment de contenus pédocriminels. Pour ce qui concerne la direction générale de la gendarmerie nationale, en 2023, 2 958 exploitations sexuelles de mineurs en ligne ont été recensées, soit un chiffre en nette augmentation (+18 %). 667 détenteurs d'images pornographiques représentant un mineur ont été mis en cause. Les propositions sexuelles à un mineur, essentiellement commises via les réseaux numériques, ont augmenté de 27 % (450 faits enregistrés en 2023, contre 354 en 2022). Toutefois, la gendarmerie estime qu'une part plus importante de personnes détient, diffuse ou échange des contenus à caractère pédocriminel, avec des velléités de passage à l'acte, par une approche numérique (proposition puis rencontre suivie d'un rapport sexuel, commission d'un acte à caractère sexuel sur un tiers, obtention de contenu auto-produit comme des photos et vidéos, etc.). Pour répondre à la menace croissante pesant sur l'univers numérique des mineurs, la gendarmerie nationale dispose d'une capacité de montée en puissance et de coordination de ses unités dans la lutte contre la pédocriminalité. Tout d'abord, la gendarmerie est pleinement investie dans le volet préventif. Ainsi, chaque année, la sensibilisation aux dangers d'internet représente plus de 5 000 actions de prévention avec plus de 120 000 « permis internet » délivrés (plus de 160 000 en 2023), ce qui représente une proportion significative d'une tranche d'âge, ainsi mieux armée pour identifier les dangers d'internet. Ensuite, concernant les investigations judiciaires, la gendarmerie nationale s'appuie, au niveau central, sur l'unité nationale cyber (UNCyber) et son centre national de lutte contre les criminalités numériques (C3N) ainsi que sur le plateau de répression des infractions sexuelles commises sur les mineurs (PRISM). Le centre national d'analyse des images à caractère pédocriminel (CNAIP), exclusivement armé de gendarmes, administre quant à lui la base Caliope depuis sa création et apporte son appui tant aux unités de la gendarmerie qu'aux services de la police nationale. Cette base contient plus de 15 millions de signatures numériques relatives à des contenus identifiés, facilitant leur identification dans les échanges en ligne. Le C3N a vocation à traiter les faits les plus graves et les plus complexes. Il est actuellement composé de 11 militaires, parmi lesquels, outre le CNAIP, des enquêteurs qui se consacrent aux cas particuliers et structures numériques facilitant la commission des infractions. Il a récemment fait fermer le site Coco.fr et travaille sur les différents espaces numériques de discussions et de partages des pédocriminels, conjointement avec les antennes « cyber » des sections de recherches (SR) réparties dans les régions, qui agissent selon des modes opératoires éprouvés. La gendarmerie nationale, pionnière en matière d'enquête sous pseudonyme, met d'ailleurs en œuvre des opérations nationales d'envergure depuis 2007 (de l'opération Arc-en-Ciel aux opérations régulières Horus). Cette structuration permet à la gendarmerie de prendre en charge plus de 50 % du contentieux de la pédocriminalité avec une capacité sans équivalent de recueil de la preuve numérique, notamment contre les prédateurs en ligne dont elle traite la majeure partie. L'article 230-46 du code de procédure pénale fournit aux forces de sécurité intérieure une arme particulièrement efficace. Cette technique d'enquête a été mise en œuvre en premier lieu pour lutter contre la pédocriminalité. La gendarmerie a su mesurer les capacités d'investigation offertes par ce texte en faisant le choix de former ses militaires à cette technique, avec un objectif de 1100 à 1500 « enquêteurs sous pseudonyme » (ESP) dans les mois à venir, dans le cadre de son plan « Ambition Cyber ». La formation a été décentralisée au niveau des 13 régions de gendarmerie, qui ont pu ainsi organiser la montée en puissance de ces capacités d'investigations. Aujourd'hui, les ESP, répartis dans les unités de recherches sur l'ensemble du territoire national, luttent quotidiennement contre la pédocriminalité, en recherchant sur les réseaux les personnes tentant d'entrer en contact avec des mineurs pour des motivations sexuelles, pour ensuite les interpeller une fois l'infraction caractérisée. Parmi les autres enquêteurs spécialisés, les enquêteurs NTECH sont des experts dans l'exploitation des supports numériques, la restauration des données effacées et dans le recueil de la preuve numérique. L'ensemble de ces capacités permet d'obtenir des bilans concrets, quotidiennement ou dans le cadre des opérations nationales Horus. Ainsi, en 2023, ce sont 345 militaires (contre 130 en 2022) qui ont été engagés activement dans la traque de prédateurs sur les réseaux numériques. 248 enquêtes ont été ouvertes (contre 105 en 2022) et 102 personnes interpellées (contre 61 en 2022). 15 personnes ont d'ores et déjà été incarcérées. En ce qui concerne les partenariats développés avec différentes associations nationales (ex. : e-enfance) et internationales, le C3N de la gendarmerie, l'OFMIN et l'OFAC de la DNPJ en leur qualité d'offices centraux, sont destinataires de signalements d'activités pédocriminelles qui, après vérifications et investigations, sont adressés pour traitement aux services territoriaux. Ces derniers ont par ailleurs leurs propres capacités d'investigation, permettant de traiter des dossiers à leur niveau. Ce dispositif global et coordonné sur l'ensemble du territoire, a permis de traiter 3 125 dossiers de pédocriminalité en 2023 pour ce qui concerne la gendarmerie, le plus souvent à l'initiative des enquêteurs, évitant ainsi de nouvelles victimes. Lorsqu'une victime est identifiée dans le cadre de ces procédures, les maisons de protection de familles (MPF, réparties à raison d'une par département ou collectivité ultramarine) et le réseau des enquêteurs spécialement formés à l'audition de mineur victime (plus de 2 000 actuellement en poste) permettent d'accueillir dans de bonnes conditions les mineurs pour lesquels le retentissement psychologique peut être important. L'expertise de la gendarmerie nationale et de la police nationale dans ce contentieux en ligne est reconnue auprès des pays partenaires, ce qui en fait des interlocuteurs de 1er plan pour la coopération internationale dans le domaine opérationnel. Outre les échanges entre les bases de contenus illicites Caliope du CNAIP et ICSE (international child sexual exploitation) d'Interpol, et sous réserve du rôle d'office central de l'OFMIN de la DNPJ qui est le point de contact central pour les échanges internationaux et représente le ministère de l'intérieur dans les instances européennes et internationales, la gendarmerie nationale est par ailleurs engagée dans la Victim Identification Task Force d'Europol. Elle assure également la présidence du sous-groupe Victim Identification d'Interpol. Hormis le CNAIP et les enquêteurs associés, les autres acteurs possèdent un champ d'action excédant la lutte contre les réseaux pédocriminels. Les ESP, par exemple, luttent aussi sur les réseaux et le dark web, contre les trafics, d'armes, de faux papiers, de stupéfiants, le terrorisme, etc. Aussi, le coût budgétaire de la lutte contre la pédocriminalité ne peut pas être précisément évalué. Pour ce qui concerne la police nationale, ses services d'enquête se composent au niveau territorial de 23 000 enquêteurs (répartis dans 49 services interdépartementaux de police judiciaire, 51 services départementaux de police judiciaire et 306 services locaux de police judiciaire affectés dans les commissariats de police nationale). Les services territoriaux de police judiciaire disposent de brigades d'enquête spécialisées (brigades d'atteintes aux personnes, brigades de protection de la famille). Ces enquêteurs traitent au quotidien des violences faites aux mineurs, notamment les plus de 800 enquêteurs affectés dans les brigades de protection de la famille. Sur le plan statistique, le service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI) publie sur le site internet du ministère de l'intérieur des chiffres permettant de quantifier certaines formes de « pédocriminalité ». Il en est ainsi, par exemple, de la publication Interstats Info Rapide n° 33 de mars 2024 (« Les violences sexuelles hors cadre familial enregistrées par les services de sécurité en 2023 »), qui fait par exemple apparaître qu'un peu plus de la moitié (55 %) des victimes de violences sexuelles hors cadre familial sont mineures au moment des faits. Certains types d'infractions concernent presque exclusivement des mineurs, en particulier les atteintes sexuelles, le recours à la prostitution et la pédopornographie. Plusieurs données sont également disponibles dans la publication Interstats Analyse n° 67 d'avril 2024 (« Les infractions liées au numérique enregistrées par la police et la gendarmerie de 2016 à 2023 »). Cette publication fait par exemple apparaître que les atteintes « numériques » à l'encontre des mineurs (qui regroupent les infractions de cyber-pédopornographie, d'envoi de supports pornographiques à des mineurs, etc.) étaient 2,3 fois plus nombreuses en 2023 (9 710 faits) qu'en 2016 (4 220 faits). Le SSMSI ne dispose toutefois pas encore d'un champ infractionnel complet des infractions relevant de la « pédocriminalité », qui nécessite encore un travail d'expertise et de consolidation de statistiques au niveau national. Il convient en outre de souligner que les violences sexuelles enregistrées et connues des services ne représentent qu'une très faible part des violences sexuelles commises. Le SSMSI estimait par exemple pour l'année 2022 que le taux de dépôt de plainte pour des majeurs pour des violences sexuelles était de 6 % (Vécu et ressenti en matière de sécurité. Victimation, délinquance et sentiment d'insécurité. Rapport d'enquête – édition 2023). Les données recueillies par les offices centraux OFMIN et OFAC apportent également un éclairage sur le phénomène. Pour détecter les victimes de pédocriminalité et identifier leurs auteurs, outre le dépôt de plainte, l'OFMIN dispose de plusieurs moyens. Peuvent être, par exemple, cités les signalements de contenus pédocriminels échangés par internet sur le territoire national adressés par la fondation américaine National Center for Missing and Exploited Children (NCMEC). En 2024, l'OFMIN a réceptionné 164 516 signalements et priorisé 2200 de ces signalements, permettant d'identifier 199 individus suspects dans des rapports adressés aux services territoriaux de police/gendarmerie ou aux tribunaux judiciaires. Peuvent également être cités les contenus pédocriminels téléchargés et partagés en ligne entre plusieurs personnes identifiées grâce aux outils de veille spécifiques. En 2024, 25 000 adresses IP étaient signalées à l'OFMIN comme ayant échangé des contenus pédocriminels. En 2024, 270 procédures ont été établies par cet office central, à la suitee d'un travail d'analyse et de recoupement pour prioriser les cibles les plus actives ou les plus dangereuses au regard de leur profil. S'agissant de la plate-forme PHAROS de l'OFAC, elle a traité 25 759 signalements de contenus pédocriminels en 2024. 68 enquêtes judiciaires pour des contenus pédopornographiques ou relatives à des faits de corruption de mineurs ou de proposition sexuelle sur mineur par voie de télécommunications ont été initiées. 80 731 demandes de retraits de contenus pédopornographiques ont été transmises sur le fondement de l'article 6-1 de la loi du 21 juin 2004, et 592 sites ont vu leur accès empêché au titre de la mesure de blocage.
Auteur : Mme Bénédicte Auzanot
Type de question : Question écrite
Rubrique : Enfants
Ministère interrogé : Intérieur
Ministère répondant : Intérieur
Dates :
Question publiée le 29 octobre 2024
Réponse publiée le 3 juin 2025