Question écrite n° 1526 :
Conditions d'intervention des forces de l'ordre en cas de refus d'obtempérer

17e Législature

Question de : M. Nicolas Ray
Allier (3e circonscription) - Droite Républicaine

M. Nicolas Ray interroge M. le ministre de l'intérieur sur nécessité de modifier l'instruction de commandement NR 89, initialement adoptée par la direction centrale de la sécurité publique (DCSP) le 14 mai 1999 et renouvelée le 18 août 2020. Cette instruction relative aux règles d'intervention et de sécurité en matière de poursuite de véhicule en fuite par les services de police prohibe en effet « toute poursuite systématique » en cas de refus d'obtempérer à une injonction des forces de l'ordre. Seuls les « faits d'une grande gravité » peuvent donner lieu par défaut à une course-poursuite. Il s'agit ainsi de la « fuite ou l'évasion d'un individu armé ayant l'intention d'attenter à la vie d'un tiers », la poursuite « d'auteurs, armés ou non, d'un crime de sang » et « d'auteurs non identifiés d'autres crimes ou délits aggravés entraînant un préjudice corporel ». Dans les autres situations, les agents de police qui décideraient de prendre en chasse un véhicule en fuite doivent en informer le Centre d'information et de commandement (CIC) afin d'obtenir l'autorisation d'engager la poursuite. Ainsi, les modalités d'intervention des policiers sont bien plus strictes que celles de la gendarmerie nationale. Le vade-mecum de la direction générale de la gendarmerie nationale relatif à l'interception en sécurité d'un véhicule refusant d'obtempérer incite en effet les militaires à privilégier une interception différée lorsque celle-ci est possible et à faire de l'interception immédiate le « dernier recours, au regard de la prise de risque qu'elle suppose », tout en garantissant qu'elle soit « proportionnée à la situation ». Si les policiers sont également tenus d'appliquer le discernement et la proportionnalité de leur intervention pour ne pas risquer de mettre en danger la vie d'autrui ou leur propre vie, la nécessité d'obtenir l'accord de leur hiérarchie pour engager les poursuites en cas de refus d'obtempérer alourdit leur charge de travail sur le terrain. De plus, le Centre d'information et de commandement n'étant pas toujours capable d'évaluer très rapidement la situation à laquelle est confronté l'équipage, la doctrine conduit en pratique à une interdiction quasiment systématique des poursuites de véhicules. Pourtant, les auteurs de délits qui refusent d'obtempérer méritent d'être appréhendés au plus vite. Or les sommations de s'arrêter ne suffisent malheureusement pas. En dix ans, entre 2012 et 2022, le nombre de refus d'obtempérer simples a augmenté de 34 % et celui des refus d'obtempérer aggravés de 95 %. Pour rétablir l'ordre dans le pays, il est essentiel de redonner aux agents de la gendarmerie et des polices nationale et municipales les moyens d'intervenir. Si les directives formulées par la DCSP peuvent être adaptées par les autorités à l'échelle du territoire, comme l'a fait la Préfecture de police dans une note datée de juillet 2020, le cadre juridique de l'ensemble des forces de l'ordre doit être uniformisé et allégé afin de faciliter leur action et gagner en efficacité. L'existence de plusieurs doctrines d'intervention sensiblement différentes d'un territoire à un autre nuit à l'efficacité des prises en charge des délinquants. C'est la raison pour laquelle il lui demande quelles mesures le Gouvernement entend prendre pour simplifier, sur l'ensemble du territoire, la procédure d'engagement d'une poursuite et adapter les instructions aux évolutions de la délinquance. Les règles d'intervention des forces de l'ordre en cas de refus d'obtempérer doivent être simplifiées et uniformisées, en faisant confiance et en laissant davantage de marges d'appréciation aux fonctionnaires et agents assermentés sur la voie publique.

Réponse publiée le 3 juin 2025

Les refus d'obtempérer témoignent de la dégradation du respect de l'autorité, notamment de celle de l'État, et de la montée de la violence. Ces comportements sont aussi l'expression de différents autres phénomènes : conduite sans permis ou sans assurance ou consommation de drogue ou d'alcool par exemple. De plus en plus fréquemment, des conducteurs au comportement criminel n'hésitent plus, pour se soustraire à un contrôle, à mettre en danger la vie des agents des forces de l'ordre mais aussi de tiers présents sur la voie publique. Cette réalité quotidienne témoigne du contexte de violence et d'irrespect dans lequel policiers et gendarmes, de plus en plus, interviennent, régulièrement au péril de leur vie, avec chaque année de terribles drames. En 2023, les forces de l'ordre ont enregistré plus de 23 000 refus d'obtempérer. Pour les seuls services de la direction générale de la police nationale, plus de 8 000 ont été constatés au cours des 9 premiers mois de 2024. Les gendarmes, quant à eux, ont relevé 12 833 refus d'obtempérer en métropole et outre-mer durant l'année 2024. Les refus d'obtempérer ne sont pas des infractions routières minimes, mais des délits à part entière. Ils doivent être traités en tant que tels, à la hauteur de la gravité qu'ils représentent. Face à l'aggravation des atteintes commises contre les forces de sécurité intérieure de l'État, l'arsenal législatif a été durci. La loi du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure a ainsi aggravé la répression du refus d'obtempérer à une sommation de s'arrêter. Les forces de police et de gendarmerie disposent de méthodes opérationnelles d'immobilisation des véhicules (dispositifs d'interception des véhicules automobiles), en application de l'article L. 214-2 du code de la sécurité intérieure. Des limites techniques et matérielles et les précautions d'usage ne permettent toutefois pas l'utilisation systématique de ces dispositifs, quand ceux-ci mettent en danger les forces de sécurité intérieure, le contrevenant ou un tiers. De plus, ils ne fonctionnent pas toujours face à des conducteurs déterminés à ne pas s'arrêter et alors que les constructeurs automobiles développent des pneumatiques toujours plus résistants. L'absence d'arrêt immédiat du véhicule peut avoir différentes causes, notamment si les forces de l'ordre concernées jugent qu'une réaction immédiate est potentiellement génératrice de risques trop importants (présence de nombreux piétons, zone de forte circulation, etc.). Au sein de chaque force de sécurité intérieure, des directives en matière de réaction face au refus d'obtempérer sont éditées. Ainsi, le vade-mecum de la direction générale de la gendarmerie nationale relatif à l'interception en sécurité d'un véhicule refusant d'obtempérer incite les militaires à privilégier une interception différée lorsque celle-ci est possible et à faire de l'interception immédiate le « dernier recours, au regard de la prise de risque qu'elle suppose », tout en garantissant qu'elle soit « proportionnée à la situation ». La méthode appliquée à ces interventions repose ainsi que le principe du « SUN » : sécurité, urgence, nécessité. Aussi, tout refus d'obtempérer est porté à la connaissance du centre d'opérations et de renseignement de la gendarmerie qui, en fonction des circonstances, peut faire manœuvrer les unités pour permettre la prise en charge du contrevenant en diffusant une alerte et en déployant un dispositif d'interception. A défaut, il enjoint à limiter les risques si le véhicule est bien identifié ou localisé ou si la poursuite présente trop de dangers. Au sein de la police nationale, la « course poursuite » n'est pour autant en aucun cas interdite. Les policiers peuvent engager une prise en charge. Les règles d'intervention sont à cet égard précisées par des instructions - dont certaines rappelées dans la question écrite - aux services territoriaux de police, tant ceux de la préfecture de police que ceux de la direction générale de la police nationale. Celles-ci ont pour but de fournir un cadre juridique clair et sécurisant en encadrant les formes de l'action policière et en fournissant des solutions alternatives à la seule poursuite de véhicules. Les règles d'intervention des forces de l'ordre, si elles font à ce jour l'objet d'instructions distinctes entre la préfecture de police, la direction générale de la police nationale et la direction générale de la gendarmerie nationale relèvent toutefois des mêmes principes. Comme dans toutes leurs missions, policiers et gendarmes doivent faire preuve de discernement et de sang-froid, ne pas mettre en danger les autres usagers de la route et régulièrement rendre compte au centre d'information et de commandement ou du centre opérationnel et de renseignement de la gendarmerie dont ils relèvent. Un cadre global d'instructions est toutefois à l'étude. Des travaux sont donc actuellement conduits entre la préfecture de police, la direction générale de la police nationale et la direction générale de la gendarmerie nationale pour élaborer une doctrine commune garantissant une uniformité des réponses face aux refus d'obtempérer sur l'ensemble du territoire national. Cette doctrine a vocation à laisser davantage d'initiative opérationnelle aux équipages intervenant dans la prise de décision en matière de poursuite en cas de refus d'obtempérer tout en leur rappelant les règles d'engagement et de sécurité à respecter dès lors que celle-ci s'engage (utilisation prioritaire des dispositifs mécaniques d'interception des véhicules, discernement, compte rendu immédiat et régulier au centre d'information et de commandement, utilisation des avertisseurs sonores et lumineux, respect des règles de sécurité dans la conduite des véhicules au regard du danger pour les policiers et les tiers, etc.). En tout état de cause, l'actuel cadre doctrinal ne porte en rien atteinte à la mission du policier ou du gendarme qui est de tout mettre en œuvre pour interpeller les auteurs de crimes ou de délits. Lorsqu'un conducteur a pu échapper à un contrôle, et lorsqu'une prise en charge n'est pas possible, des recherches sont menées pour identifier l'auteur du délit, avec tous les moyens d'enquête utiles (description du véhicule, direction de la fuite, signalement du conducteur, recours aux images de vidéoprotection, investigations techniques, auditions de témoins, etc.), en vue d'une interpellation ultérieure. Contrairement à une idée convenue, l'absence ou l'abandon d'une « course-poursuite » ne traduit aucunement un laxisme ou une impuissance et n'est synonyme ni d'échec ni de faiblesse ou d'impunité. D'autres mesures d'urgence que la poursuite peuvent en outre immédiatement être mises en œuvre : déploiement de renforts de forces de l'ordre sur l'itinéraire prévisible de progression, dispositif de ralentissement de la circulation en aval, déclenchement d'un plan de recherche ou mise en surveillance… À la demande du ministre d'État, ministre de l'Intérieur, des travaux seront donc menées pour trouver les voies d'une action plus ferme et plus efficace. Au-delà du travail des forces de l'ordre, la réponse à ce phénomène passe aussi nécessairement par une réponse pénale et administrative beaucoup plus forte : confiscation systématique du véhicule, prononcé plus systématique de la mesure d'annulation du permis de conduite.  Il convient aussi de rappeler que plusieurs chantiers sont engagés par le ministre de l'Intérieur pour renforcer la sécurité sur la voie publique : plans départementaux de restauration de la sécurité du quotidien, présence accrue des forces de l'ordre sur le terrain, engagement croissant des polices municipales aux côtés des forces de l'ordre, etc. Ces changements seront de nature, avec le nécessaire durcissement de la réponse pénale, à permettre de mieux lutter contre la banalisation de l'irrespect et de l'irresponsabilité que représentent les refus d'obtempérer.

Données clés

Auteur : M. Nicolas Ray

Type de question : Question écrite

Rubrique : Police

Ministère interrogé : Intérieur

Ministère répondant : Intérieur

Dates :
Question publiée le 29 octobre 2024
Réponse publiée le 3 juin 2025

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