Question orale n° 154 :
Inégalité des chances dans l'école de la République en Seine-Saint-Denis

17e Législature

Question de : M. Thomas Portes
Seine-Saint-Denis (3e circonscription) - La France insoumise - Nouveau Front Populaire

M. Thomas Portes attire l'attention de Mme la ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, sur les conditions d'éducation en Seine-Saint-Denis. En maternelle, à tout juste 3 ans, les enfants apprennent à apprécier la compagnie des autres, à créer du lien, à s'attacher à d'autres personnes qu'à leurs parents. À Neuilly-sur-Marne, à la maternelle Jean-Baptiste Du Hamel, des enfants de 3 ans le font dans les odeurs d'excréments. Depuis près d'un an, une invasion de souris perturbe les enseignements. Les rongeurs envahissent tout le bâtiment et ils grignotent les draps, les vêtements, les livres et même les travaux des enfants. Les premiers signalements remontent à mars 2024. Diverses interventions, trop espacées, ont eu lieu sans régler la situation. Au CP, les enfants apprennent à lire, à écrire et à compter. Ces apprentissages sont d'autant plus clés, que savoir lire et écrire, autrement dit l'alphabétisation, est l'un des facteurs à la lumière duquel l'ONU évalue un territoire et son taux de développement. Dans les écoles de Noisy-le-Grand, Neuilly-Plaisance ou Gournay-sur-Marne, les élèves passent des mois sans professeur dans des cours surchargés. À l'école primaire primaire Marcel Cachin de Neuilly-sur-Marne, 18 enfants sont sans maître ou maîtresse depuis plus de 30 jours, au plus grand désarroi de leurs parents. Certaines classes comptent jusqu'à 45 élèves. Le collège marque le début de l'adolescence. À 11 ou 12 ans, les jeunes apprennent à prendre des risques et des responsabilités, prenant confiance en eux et en les autres. Mais à Neuilly-sur-Marne, là encore il faut choisir, choisir entre le papier blanc et le papier toilette. Dans les collèges Braque et Camus, les feuilles blanches sont tant venues à manquer que les parents d'élèves ont dû organiser des collectes solidaires de ramettes de papier. Dans certains collèges ont pu être observés des manques de papier toilette. M. le député interpelle Mme la ministre sur l'impossibilité d'enseigner ou d'apprendre dignement lorsque l'on ne peut assurer son hygiène la plus élémentaire. À l'aube de leur majorité, lorsqu'ils sont au lycée, jeunes hommes et jeunes femmes doivent oser se projeter, se choisir des passions et de potentiels métiers. Pourtant, l'année passée, c'étaient 23 000 jeunes de Seine-Saint-Denis qui étaient empêchés de faire leur rentrée, faute d'affectation à un lycée. Lorsqu'ils et elles ont la chance de pouvoir y entrer, ces jeunes y sont encore en grande majorité entourés d'enseignants contractuels, inexpérimentés, pas encore eux-mêmes préparés, comme le souligne le rapport parlementaire sur le département paru en novembre 2023. Lorsqu'il arrive à la fin de son lycée, un jeune de Seine-Saint-Denis a, en cumulé, perdu en moyenne un an de scolarité par rapport à son concitoyen parisien. Il a 30 % de probabilité d'avoir grandi dans les déjections de souris et autres nuisibles. 1 sur 2 d'avoir étudié dans un bâtiment glacé parce que sous-chauffé. Il n'a probablement presque pas connu les sorties culturelles, laissées au libre financement des parents faute de fonds, dans le département le plus pauvre de l'hexagone. À l'heure où le jeune de Paris calcule ses chances d'entrée dans les grandes écoles, lui en a 1 sur 3 de vivre sous le seuil de pauvreté. M. Le député interroge Mme la ministre sur les politiques envisagées pour rétablir l'égalité des chances par l'éducation en Seine-Saint-Denis. Depuis des mois, la communauté éducative se bat dans les diverses administrations, pour exiger un plan d'urgence pour le 93, le recrutement de 5 000 enseignants supplémentaires et la création de 3 000 postes de vie scolaire. Les AESH, en particulier, prennent souvent en charge plusieurs enfants à temps partiel, pour un salaire moyen de moins de 800 euros nets, bien en dessous du seuil de pauvreté. Récemment, les agents de cantine de Gournay-sur-Marne et de Noisy-le-Grand ont mené une mobilisation d'ampleur, interrompant pour plusieurs jours leur service dans presque toutes les écoles de la ville. Ils et elles disent que le mauvais taux d'encadrement ne leur permet plus d'assurer dignement les repas des élèves. Il rappelle le besoin urgent de répondre aux revendications des enseignants, des parents, des agents et des accompagnants éducatifs de la Seine-Saint-Denis et souhaite connaître les perspectives à ce sujet.

Réponse en séance, et publiée le 19 février 2025

SITUATION DE L'ÉCOLE EN SEINE-SAINT-DENIS
Mme la présidente . La parole est à M. Thomas Portes, pour exposer sa question, no 154, relative à la situation de l'école en Seine-Saint-Denis.

M. Thomas Portes . Après sept ans de macronisme, l'école publique est au bord de l'effondrement en Seine-Saint-Denis.

À trois ans, nos enfants entrent en maternelle. Ils apprennent à parler, à tisser leurs premiers liens hors du cercle familial, à découvrir les lettres et les formes. À l'école Jean-Baptiste-Du-Hamel de Neuilly-sur-Marne, dans ma circonscription, ils font tout cela… dans les odeurs d'excréments. Depuis un an, une invasion de souris ronge leur quotidien ; draps, vêtements, livres, même leurs travaux, tout est grignoté. Les diverses interventions, trop espacées, n'ont toujours pas réglé la situation. Comment accepter que nos enfants grandissent ainsi ?

Quelques années plus tard, ces mêmes enfants entreront en CP, pour y apprendre à lire, écrire et compter. Ce sont des apprentissages clés, d'autant plus que l'alphabétisation est l'un des facteurs à la lumière duquel l'ONU évalue un territoire et son taux de développement. Pourtant, à l'école Marcel-Cachin de Bobigny, dix-huit élèves de CP ont été privés d'enseignant pendant trente jours. À Noisy-le-Grand, à Neuilly-Plaisance, à Gournay-sur-Marne, les classes explosent, atteignant jusqu'à quarante-cinq élèves. Les enseignants sont à bout de souffle ; le personnel éducatif, épuisé ; les parents d'élèves, démunis.

Puis vient le collège, âge des premières responsabilités et des premières prises de risque. Là encore, en Seine-Saint-Denis, il faut choisir entre le strict nécessaire : le papier blanc ou le papier toilette. Dans les collèges Georges-Braque et Albert-Camus de Neuilly-sur-Marne, la pénurie de papier était telle que les parents d'élèves ont dû organiser des collectes solidaires pour pallier les manques de l'éducation nationale. Comment accepter une telle situation ?

Et que dire de nos lycées ? En septembre dernier, 23 000 jeunes de Seine-Saint-Denis ont été privés de rentrée, faute d'affectation. Lorsqu'ils et elles ont la chance d'y arriver, ces jeunes sont encore, dans leur grande majorité, entourés d'enseignants contractuels inexpérimentés, qui, parce qu'ils ne sont pas encore bien préparés, sont déjà en difficulté.

Dès lors, à 18 ans, où en est un lycéen de Seine-Saint-Denis ? Il a perdu en moyenne un an de scolarité par rapport à un camarade parisien. La probabilité qu'il ait étudié dans des salles infestées de nuisibles est de 30 % ; celle qu'il ait suivi ses cours dans un bâtiment sous-chauffé, de 50 %. Il a rarement connu les sorties culturelles, laissées au libre financement des parents, alors que le département est le plus pauvre de France hexagonale. Pendant qu'un jeune Parisien calcule ses chances d'intégrer une grande école, lui a une chance sur trois de basculer dans la précarité.

À l'heure des coupes drastiques dans les budgets de nos services publics sinistrés, que reste-t-il en Seine-Saint-Denis du principe républicain d'égalité ? Depuis des mois, la communauté éducative donne l'alerte. Les enseignants ont engagé la plus grande grève que le département ait connue depuis les années 1990, un mouvement massif soutenu par les parents d'élèves et les élus. Ils exigent un plan d'urgence, 5 000 enseignants supplémentaires et 3 000 postes dédiés à la vie scolaire.

Alors que l'État investit en moyenne 8 800 euros par an et par élève, ce montant n'est que de 6 200 euros en Seine-Saint-Denis, département pourtant le plus jeune et le plus pauvre de l'Hexagone. Après le passage rue de Grenelle de deux ministres méprisants et silencieux, le gouvernement va-t-il enfin répondre aux revendications légitimes de la communauté éducative ?

Les élèves de Seine-Saint-Denis méritent mieux que d'être considérés comme des enfants de seconde zone. Les enseignants de Seine-Saint-Denis méritent mieux que d'être abandonnés par les politiques publiques. Les parents d'élèves de Seine-Saint-Denis méritent mieux que le silence et le bricolage permanent. Le gouvernement va-t-il enfin prendre la mesure de la situation et mettre en place le plan d'urgence réclamé par la communauté éducative et les parents d'élèves de ce département ?

Mme la présidente . La parole est à Mme la ministre chargée du travail et de l’emploi.

Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du travail et de l’emploi . Je vous réponds au nom de la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, dont je vous prie d'excuser l'absence.

La Seine-Saint-Denis, vous l'avez dit, est le département le plus jeune et le plus pauvre. Comme vous l'avez signalé, cela se voit dans l'état de certaines de ses écoles.

Toutefois, des mesures concrètes ont été prises pour relever les défis spécifiques auxquels le département est confronté. Dans le réseau d'éducation prioritaire, les classes de grande section de maternelle, de CP et de CE1 ont été dédoublées. Elles comptent désormais au maximum douze élèves, ce qui mobilise 1 500 enseignants supplémentaires. Par ailleurs, le programme des cités éducatives, qui labellise douze communes du département et mobilise 17,5 millions d'euros, coordonne les efforts de l'État et des collectivités en faveur des élèves des quartiers prioritaires de la politique de la ville. Lors de la dernière rentrée, le gouvernement a lancé, avec le conseil départemental, un plan dédié à l'attractivité et à la mixité scolaire, qui concernera à terme quarante collèges parmi les plus évités de Seine-Saint-Denis. Pour l'année scolaire en cours, cela représente 2 500 heures supplémentaires attribuées à onze collèges pour enrichir leur offre pédagogique et mieux accompagner les enseignants.

Je comprends néanmoins que les absences récurrentes posent problème, puisque, vous l'avez dit, un lycéen de 18 ans a pu manquer jusqu'à l'équivalent d'une année de cours. En tout cas, nous nous mobilisons pour assurer à chaque élève de Seine-Saint-Denis l'accès à un enseignement exigeant et un avenir à la hauteur de son potentiel.

Mme la présidente . La parole est à M. Thomas Portes.

M. Thomas Portes . Madame la ministre, vous avez parlé de classes dédoublées, avec un effectif limité à douze élèves. Je vous invite à venir constater par vous-même que ce n'est pas la réalité en Seine-Saint-Denis. Et le manque d'enseignants n'est pas le seul problème. Nous avons besoin de plus d'accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH), lesquels, par ailleurs, ne gagnent que 800 euros par mois en moyenne. À Gournay-sur-Marne et Noisy-le-Grand, deux villes de ma circonscription, les activités de cantine ont dû fermer faute d'un nombre suffisant d'encadrants.

En vérité, dans les écoles publiques de Seine-Saint-Denis, les cantiniers sont devenus des surveillants ; les conseillers principaux d'éducation (CPE), des infirmiers scolaires ; les parents d'élèves, des leveurs de fonds pour assurer des sorties scolaires ou pour acheter du papier. On ne peut parler ni d'égalité républicaine ni de République quand on n'assure pas aux enfants de Seine-Saint-Denis une éducation de qualité qui leur permette de se projeter dans l'avenir.

Données clés

Auteur : M. Thomas Portes

Type de question : Question orale

Rubrique : Enseignement

Ministère interrogé : Éducation nationale, enseignement supérieur et recherche

Ministère répondant : Éducation nationale, enseignement supérieur et recherche

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 11 février 2025

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