Enjeu de santé publique - Contamination du thon au mercure
Question de :
M. Boris Tavernier
Rhône (2e circonscription) - Écologiste et Social
M. Boris Tavernier alerte Mme la ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt sur un nouveau scandale de santé publique concernant la contamination au mercure du thon et la faillite complète de la politique française et européenne de régulation des contaminants dans l'alimentation révélées par l'association Bloom. Le mercure est un puissant neurotoxique, considéré par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) comme l'une des dix substances les plus préoccupantes pour la santé publique, au même titre que l'amiante ou l'arsenic. De nombreuses études scientifiques soulignent qu'une exposition chronique au mercure, même à faibles doses, peut avoir des effets irréversibles sur le système neuromoteur, augmenter le risque de maladies neurodégénératives et de sénilité précoce, ou encore avoir des effets délétères sur le système immunitaire, reproducteur, cardiovasculaire ou encore rénal. On doit donc tout faire pour limiter au maximum l'exposition au mercure de la population et notamment des publics vulnérables : les nourrissons, les enfants et adolescents, les femmes enceintes, les personnes malades et âgées. Or les révélations de Bloom montrent que si l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) jugeait dès 2015 que « le thon, l'espadon, la morue, le merlan et le brochet ont été les principaux contributeurs à l'exposition alimentaire au méthylmercure », le thon, poisson le plus consommé en France, avec une consommation de près de 5 kilogrammes en moyenne par personne et par an en équivalent poids vif et quelques 64 000 tonnes de thon en conserve écoulées chaque année, bénéficie d'un régime d'exception en matière de norme concernant le mercure. Ainsi, alors que le cabillaud, les sardines, les anchois, le maquereau ou le hareng doivent respecter une teneur maximale en mercure de 0,3mg/kg et que les produits de la mer doivent, en général, respecter une teneur maximale de 0,5mg/kg, la teneur maximale en mercure dans le thon peut aller jusqu'à 1mg/kg. Mais l'histoire ne s'arrête pas là, car on apprend à la lecture du rapport de Bloom que cette teneur maximale s'applique au thon frais et que « entre le thon frais et le thon en boîte, la concentration en mercure peut théoriquement passer de 1mg/kg à 2,7mg/kg. La norme qui s'applique au thon en boîte peut donc être jusqu'à neuf fois plus élevée que celle d'une sardine fraîche ». Et ce d'autant plus que, sur les 150 boîtes de thon en conserve que l'association Bloom a collectées en France et en Europe, 100 % des boîtes étaient contaminées au mercure, que plus de la moitié d'entre elles dépassaient les 0,3mg/kg, que dix pour cent dépassaient 1mg/kg et qu'une boîte de la marque Petit Navire achetée dans un Carrefour City parisien affichait une teneur record de 3,9 mg/kg. Il faut absolument, de toute urgence, lever ce régime d'exception sur les produits de la mer et s'assurer que le thon, en tant que poisson le plus consommé en France, est soumis à la norme la plus stricte sur les produits de la mer, soit 0,3mg/kg. Par ailleurs, il faut mettre en place des contrôles. Ce que la France, manifestement, ne fait pas, puisque Bloom révèle que, depuis 2023, la France n'a pas contrôlé la moindre conserve de thon et que la direction générale de l'alimentation expliquait, dans un courrier adressé aux avocats de l'association Bloom le 3 octobre 2024 que « la DGAL ne dispose pas de certaines informations (...) concernant les facteurs de concentration, de dilution ou de transformation ». Ainsi, il souhaite savoir comment la France a vérifié la conformité des conserves de thon depuis l'adoption en 1993 du règlement européen sur les contaminants (CE 93/351) et, suite à ces révélations, comment la DGAL va désormais contrôler le thon en conserve commercialisé en France. Par ailleurs, il lui demande si elle prévoit de plaider pour une révision du règlement européen sur les contaminants.
Réponse publiée le 10 décembre 2024
Chaque année, dans le cadre du dispositif de sécurisation sanitaire de la chaîne alimentaire, la direction générale de l'alimentation (DGAL) pilote et coordonne la mise en œuvre de plans de surveillance et de contrôle (PSPC). Ils visent à surveiller la contamination des productions primaires animale et végétale, des denrées alimentaires d'origine animale et de l'alimentation animale. Dans ce cadre, chaque année, la DGAL réalise des contrôles sur le thon, ces contrôles comprenant la réalisation d'analyses, notamment pour la recherche et la quantification de contaminants chimiques, dont le mercure. Les contrôles de la DGAL portent sur le thon frais. Contrôler le thon frais permet de s'assurer de la conformité du produit dès son origine, au niveau du produit brut. Le thon frais dispose d'une teneur maximale réglementaire en mercure définie par le règlement (UE) n° 2023/915 relatif aux teneurs maximales de certains contaminants chimiques dans les denrées alimentaires. Ce règlement ne fixe pas de teneurs maximales spécifiques pour l'ensemble des denrées alimentaires, en particulier dès lors qu'il s'agit de denrées transformées. C'est ainsi que le thon en conserve n'a pas de teneur maximale réglementaire spécifique pour le mercure, fixée au niveau européen. Pour que des teneurs maximales puissent être appliquées à des denrées alimentaires transformées (séchées, diluées, préparées ou composées), en l'absence de teneurs maximales spécifiques établies à l'échelle de l'Union européenne, les exploitants du secteur alimentaire doivent fournir aux autorités compétentes les facteurs spécifiques de concentration, de dilution et de transformation et, dans le cas des denrées alimentaires composées, la proportion des ingrédients, accompagnés des données expérimentales appropriées justifiant les facteurs proposés [article 3 du règlement (UE) n° 2023/915 de la Commission du 25 avril 2023 concernant les teneurs maximales pour certains contaminants dans les denrées alimentaires et abrogeant le règlement (CE) n° 1881/2006]. Des études sont menées pour déterminer ces facteurs de concentration et faciliter les contrôles sur les produits en conserve. Sur les quatre dernières années (2020 à 2023), des recherches de mercure ont ainsi été réalisées par la DGAL sur les produits de la pêche (poissons eau de mer et eau douce, mollusques, crustacés). Les teneurs maximales définies par le règlement (UE) n° 2023/915 sont fixées sur la base d'un avis scientifique de l'EFSA (autorité européenne de sécurité des aliments) relatif à l'évaluation des risques pour la santé publique posé par un contaminant donné d'une part, et sur la base du principe « As Low As Reasonably Achievable » (principe ALARA) d'autre part. Cette méthode prend en compte différents paramètres, dont la contamination effective des thons, et vise à retirer de l'offre alimentaire les denrées les plus contaminées. Cette façon de procéder garantit l'application par les exploitants du secteur alimentaire de mesures qui préviennent ou réduisent autant que possible la contamination en vue de protéger la santé publique. Pour mémoire, le mercure est naturellement présent dans les océans (les éruptions volcaniques relâchent du mercure dans les océans), il est donc normal d'en retrouver dans le poisson. Par ailleurs, il convient de rappeler que les poissons prédateurs tels que le thon, se situent en bout de chaîne alimentaire ; ils accumulent donc le mercure contenu dans leurs proies. Ainsi, il est logique que la limite maximale définie pour les poissons prédateurs de grande taille soit plus élevée que pour les poissons de petite taille. Ce n'est donc pas une limite « dérogatoire », mais une limite fixée tenant compte de la taille et du régime alimentaire du thon. Au-delà des teneurs maximales réglementaires, un autre levier d'action pour limiter l'exposition du consommateur est sa fréquence de consommation. La maîtrise et la réduction de l'exposition passe donc par l'établissement de recommandations de consommation. Pour rappel, l'agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), sur son site internet, accessible à tous, donne des préconisations générales : consommer du poisson deux fois par semaine, en alternant entre les espèces riches en oméga 3 (poissons gras) et les autres espèces de poissons, et les sources d'approvisionnement (la contamination des poissons n'étant pas la même selon le lieu de pêche). L'Anses relaye en outre des préconisations spécifiques pour les femmes enceintes, les femmes allaitantes et les enfants en bas âge, en insistant notamment sur le fait de limiter au maximum la consommation de grands poissons prédateurs. Ainsi, tout consommateur qui respecte ces recommandations reste très en deçà de la valeur toxicologique de référence, même avec la teneur maximale actuelle. En effet, l'EFSA fixe une dose hebdomadaire tolérable de 4 microgrammes par kilogramme (µg/kg) pour le mercure inorganique et de 1,3 µg/kg de poids corporel pour le méthylmercure (avis scientifique sur le risque pour la santé publique lié à la présence de mercure et de méthylmercure dans les aliments – EFSA, 2012). Cela signifie qu'une personne de 70 kilogrammes (kg) peut consommer 91 grammes de thon par semaine soit 4,7 kg/an, si le thon présente une teneur exacte de 1mg/kg, et que tout le mercure détecté est constitué de méthylmercure (hypothèse protectrice). En comparaison, les données de consommation issues de l'étude INCA3 indique qu'en France, en moyenne, un adulte consomme 2,84 g de thon en conserve par jour, soit 1 kg/an. Aussi, puisque le respect des recommandations de consommation et de cette limite réglementaire permet au consommateur de rester très largement en dessous des doses maximales tolérables, il n'y a pas lieu de porter, auprès de la Commission européenne, une réduction de la limite maximale pour le thon et les autres grands prédateurs.
Auteur : M. Boris Tavernier
Type de question : Question écrite
Rubrique : Santé
Ministère interrogé : Agriculture, souveraineté alimentaire et forêt
Ministère répondant : Agriculture, souveraineté alimentaire et forêt
Dates :
Question publiée le 5 novembre 2024
Réponse publiée le 10 décembre 2024