De l'inéligibilité des élus comme sanction pénale à titre complémentaire
Question de :
M. Joseph Rivière
Réunion (3e circonscription) - Rassemblement National
M. Joseph Rivière interroge M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur la clarté de la loi concernant l'inéligibilité des élus, comme peine à titre complémentaire, dans le code pénal. En effet, si le droit administratif définit clairement l'inéligibilité et ses causes, que le périmètre de l'inéligibilité est défini et ne permet aucune interprétation ; à l'inverse, dans le code pénal, la peine d'inéligibilité est une peine complémentaire dont l'exécution est laissée à la libre appréciation du juge. Aucun code, aucune jurisprudence, même celle du Conseil constitutionnel, ne vient fixer de critères objectifs pour infliger une peine complémentaire d'inéligibilité ; créant, selon les tribunaux, selon les juges et selon les prévenus, une inégalité de traitement. La question de M. le député ne vise pas à remettre en question la peine d'inéligibilité, qui doit s'appliquer pour assainir la démocratie de ses éléments perturbateurs, mais pose la question de la largesse de l'interprétation de cette peine complémentaire d'inéligibilité, du seul lien direct ou indirect avec la fonction d'élu. De plus, ni le Conseil constitutionnel, ni aucune juridiction n'a défini l'extension du principe de l'inéligibilité à tous les mandats, alors que la faute commise par un prévenu du fait de sa qualité d'élu ne pourrait être le fait que de l'exercice d'un seul mandat. Enfin, n'y a-t-il pas atteinte au principe constitutionnel d'égalité dès lors que cette peine complémentaire d'inéligibilité s'applique avec d'une part, une mesure d'exécution d'office et d'autre part, pour l'ensemble des mandats ? En l'état actuel du droit, il lui pose la question de l'intelligibilité et de la clarté de la loi relative à l'inéligibilité comme peine complémentaire et par extension de son exécution d'office et lui demande s'il n'y aurait pas possibilité de modifier le code pénal afin de ne laisser aucune place à l'interprétation tant pour l'autorité judiciaire que pour le prévenu.
Réponse publiée le 26 août 2025
Depuis l'entrée en vigueur du code pénal le 1er mars 1994, la condamnation pénale d'un élu n'entraîne plus son inéligibilité de façon automatique. Afin d'écarter des fonctions électives les personnes qui, par les infractions qu'elles ont commises, ne remplissent plus les conditions de moralité essentielles à l'exercice d'un mandat public, la juridiction est en effet tenue d'assortir expressément la condamnation d'une peine complémentaire d'interdiction des droits civiques, civils et de famille, telle que prévue par l'article 131-26 du code pénal (CP). Parmi les droits susceptibles d'être interdits, figurent notamment le droit de vote, le droit de témoigner en justice et l'éligibilité. Dans sa décision, la juridiction pénale peut prononcer l'interdiction de tout ou partie des droits mentionnés dans cet article, pour une durée qui ne peut excéder dix ans en cas de condamnation pour crime et cinq ans en cas de condamnation pour délit. L'article 131-26-1 du CP, issu de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique prévoit toutefois que lorsque la loi le précise, dans l'hypothèse d'une condamnation d'une personne exerçant une fonction de membre du Gouvernement ou un mandat électif public au moment des faits, la durée maximale de la peine complémentaire d'inéligibilité encourue est portée à dix ans en cas de condamnation pour délit. La loi n° 2017-1339 du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique a renforcé l'exigence de probité des candidats aux élections politiques en insérant dans le code pénal, un nouvel article 131-26-2 qui pose le principe du prononcé obligatoire de la peine complémentaire d'inéligibilité pour certains délits mentionnés à cet article. La circulaire de présentation de ces nouvelles dispositions en date du 21 septembre 2017 précise que cette peine doit être prononcée expressément par le juge, à qui il revient d'en fixer la durée, dans la limite des durées maximales encourues prévues par les mêmes articles 131-26 et 131-26-1 du CP. Par une décision spécialement motivée, le juge peut toutefois écarter expressément le prononcé de cette peine en considération des circonstances de l'infraction ou de la personnalité de son auteur. Si le principe de légalité criminelle interdit au juge d'aggraver de quelque manière que ce soit la répression prévue par la loi, il lui appartient, dans les limites fixées par la loi de déterminer la nature, le quantum et le régime des peines prononcées en fonction des circonstances de l'infraction, de la personnalité de son auteur, et de sa situation matérielle, familiale et sociale, conformément aux finalités et fonctions de la peine énoncées à l'article 130-1 et 132-1 du CP. Dès lors, le juge peut, sans méconnaître le principe d'égalité des citoyens devant la loi, en diminuer le quantum, écarter certaines d'entre elles ou les assortir de diverses modalités prévues par la loi. En revanche, l'inéligibilité étant attachée à une personne et non à une fonction élective, il n'appartient pas au juge de déterminer l'étendue de la mesure d'inéligibilité, notamment en la cantonnant à un mandat en particulier. Conformément aux articles 131-10 du CP et 471 du code de procédure (CPP), cette peine peut être assortie de l'exécution provisoire permettant de la rendre immédiatement exécutoire, nonobstant toute voie de recours. Sur ce point, le Conseil constitutionnel a de nouveau récemment jugé que cette peine complémentaire, ainsi que ses effets différenciés en fonction du type de mandat exercé, n'étaient pas contraires au principe d'égalité devant la loi. Il juge en effet que cette différence de traitement entre un mandat municipal et un mandat parlementaire repose sur la nature distincte des mandats locaux et nationaux, et l'existence de procédures de déchéance différentes (Cons. Const. 2013-326 QPC du 5 juillet 2013, Cons. Const. 2017-753 QPC du 8 septembre 2017, Cons. Const., 28 mars 2025, n° 2025-1129).
Auteur : M. Joseph Rivière
Type de question : Question écrite
Rubrique : Élus
Ministère interrogé : Justice
Ministère répondant : Justice
Dates :
Question publiée le 12 novembre 2024
Réponse publiée le 26 août 2025