Question orale n° 200 :
Dérives de l'enseignement supérieur privé à but lucratif

17e Législature

Question de : M. Emmanuel Grégoire
Paris (7e circonscription) - Socialistes et apparentés

M. Emmanuel Grégoire attire l'attention de M. le ministre auprès de la ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche, sur le secteur de l'enseignement supérieur privé à but lucratif, dont les trop nombreuses dérives sont progressivement dévoilées à la vue de toutes et tous. M. le député a récemment déposé une proposition de loi visant à un meilleur encadrement de l'enseignement supérieur privé à but lucratif pour mieux protéger les étudiants. Dans le vaste ensemble que représentent les établissements privés d'enseignement supérieur, dont la place centrale au sein du paysage éducatif français n'est plus à démontrer, une sous-catégorie s'est progressivement développée loin du contrôle de la puissance publique : celle de l'enseignement supérieur privé à but lucratif. Selon les données du MESR, le privé lucratif représenterait a minima 8 % de la population étudiante totale (226 000 étudiants inscrits dans les écoles sous statut de sociétés commerciales, structures à but lucratif). Le Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Hcéres) évoque quant à lui un ordre de grandeur proche de 400 000 jeunes (15 % de la totalité des étudiants). Alors que ces établissements jouent un rôle croissant dans le paysage éducatif, ils demeurent insuffisamment contrôlés par la puissance publique. L'essor de ces établissements est avant tout caractérisé par un cadre juridique obsolète et une connaissance lacunaire de la part des pouvoirs publics sur le contrôle des pratiques commerciales et pédagogiques observables. Cet essor du secteur privé lucratif dans l'enseignement supérieur depuis les années 2015-2020 est le résultat d'une conjonction de facteurs. Outre l'attrait propre aux formations proposées, l'incapacité de l'enseignement public à absorber un public étudiant toujours plus nombreux, le niveau et le dynamisme des investissements publics et privés consentis, mais également le développement de l'apprentissage, ont joué un rôle déterminant en la matière. Le succès de la politique de l'apprentissage lancée en 2018 s'est accompagné d'une vitalité nouvelle des établissements privés lucratifs, qui ont su tirer parti de cette opportunité ayant provoqué l'augmentation du nombre d'apprentis. Comme a pu le montrer l'enquête nationale lancée par la DGCCRF en 2020 à la demande du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche auprès de 80 établissements, plus de 56 % d'entre eux présentaient une anomalie sur au moins un des points de la réglementation contrôlée. Parmi les pratiques abusives les plus fréquentes figurent la présence de clauses permettant la modification unilatérale des prix ou l'absence de remboursement des frais de scolarité en cas de départ anticipé de l'étudiant. Ces comportements exploitent souvent la méconnaissance des familles et le sentiment d'urgence face à des choix d'orientation cruciaux pour les jeunes. La proposition de loi de M. le député vise à encadrer strictement la relation contractuelle entre les étudiants et les établissements privés à but lucratif, tout en renforçant les outils de contrôle et de sanction à disposition des autorités compétentes. Elle est conçue pour répondre à une urgence : celle de la détresse de milliers de jeunes et de leurs familles se retrouvant endettés et san diplôme valorisable sur le marché du travail, celle d'établissements pratiquant une marchandisation de l'enseignement sans respecter les droits des étudiants-consommateurs tout en bénéficiant de financements publics. Ces comportements exploitent souvent la méconnaissance des familles et le désarroi parfois ressenti face à des choix d'orientation cruciaux pour les jeunes. Il ne s'agit là que d'une première étape législative ; le Parlement devra nécessairement poursuivre ses travaux sur le sujet dans un futur proche. Cependant, toute initiative législative demeure insuffisante si le Gouvernement n'intervient pas à son tour sur ce qui relève de la voie réglementaire. M. le député sait la pleine conscience qu'ont les ministères de l'enseignement supérieur et du travail de ces problématiques et espère que leurs préoccupations seront rapidement suivies de mesures concrètes. Les étudiants ne sont pas des marchandises et il faut veiller à ce qu'ils ne soient pas traités comme tels. Dans cette optique, M. le député souhaite connaître les délais d'action du Gouvernement sur différents travaux indispensables à la bonne régulation de ce secteur. Plusieurs sujets devront ainsi être saisis par les ministères compétents : la régulation de la publicité dont de trop nombreux établissements font usage sur les réseaux sociaux, permettant la prolifération de diplômes aux dénominations baroques (« bachelors », « master of » et autres « mastères ») et non reconnus, dont la qualité de formation n'est pas toujours garantie ; la modification des conditions d'accès à Parcoursup pour ces formations ne disposant d'aucune certification, mais dont la présence sur la plateforme fragilise la lisibilité des labels attribués par les pouvoirs publics, alors même que les familles peinent déjà à s'orienter dans un système plus que critiquable ; l'interdiction des pratiques dites de « location de titres », permettant à un organisme ayant obtenu une certification inscrite au RNCP d'habiliter un autre organisme à utiliser un titre en contrepartie d'une compensation financière, sans qu'aucun contrôle des autorités administratives compétentes ne soit réalisé ; la redéfinition du système de labellisation, avec en premier lieu la refonte des critères d'attribution du label « Qaliopi », pour garantir une véritable valeur pédagogique aux formations reconnues par l'État. Il souhaite connaître sa position sur le sujet.

Réponse en séance, et publiée le 5 mars 2025

ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR PRIVÉ À BUT LUCRATIF
M. le président . La parole est à M. Emmanuel Grégoire, pour exposer sa question, no 200, relative à l'enseignement supérieur privé à but lucratif.

M. Emmanuel Grégoire . Ma question concerne le secteur de l’enseignement supérieur privé à but lucratif, dont les trop nombreuses dérives sont progressivement dévoilées à la vue de toutes et de tous. L’enquête de Mme Claire Marchal sur le sujet, sobrement intitulée Le cube, paraîtra demain, mercredi 5 mars. Ce livre ne sera pas qu’un simple travail journalistique, mais montrera à nos concitoyennes et à nos concitoyens les pratiques les plus obscures envers nos étudiants, dépassant sans cesse le cadre de la loi, et qui sont pourtant monnaie courante dans certains établissements.

Il est urgent d'agir. C'est pourquoi j’ai déposé une proposition de loi visant à un meilleur encadrement de l’enseignement supérieur privé à but lucratif pour mieux protéger les étudiants. Dans le vaste ensemble que représentent les établissements privés d’enseignement supérieur, dont la place centrale au sein du paysage éducatif français n’est plus à démontrer, une sous-catégorie s’est progressivement développée, loin du contrôle de la puissance publique : celle de l’enseignement supérieur privé à but lucratif. Selon le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCERES), le privé lucratif représenterait près de 15 % de la population étudiante totale, soit près de 400 000 jeunes.

Alors que ces établissements jouent un rôle croissant dans notre paysage éducatif, ils demeurent insuffisamment contrôlés par la puissance publique. Leur essor est avant tout caractérisé par un cadre juridique obsolète et une connaissance lacunaire par les pouvoirs publics du contrôle des pratiques commerciales et pédagogiques observables. Comme a pu le montrer l’enquête nationale lancée en 2020 par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) à la demande du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche auprès de quatre-vingts établissements, plus de 56 % d’entre eux présentaient une anomalie sur au moins un des points de la réglementation contrôlée.

Parmi les pratiques abusives les plus fréquentes, figure la présence de clauses permettant la modification unilatérale des prix ou l’absence de remboursement des frais de scolarité en cas de départ anticipé de l’étudiant. Ces comportements exploitent la méconnaissance des familles et le désarroi parfois ressenti face à des choix d'orientation cruciaux pour les jeunes.

Il ne s'agit là que d'une première étape législative ; le Parlement devra nécessairement poursuivre ses travaux sur le sujet dans un avenir proche. Cependant, toute initiative législative demeure insuffisante si le gouvernement n'intervient pas à son tour par la voie réglementaire. Nous savons que les ministères de l'enseignement supérieur et du travail sont pleinement conscients de cette problématique, et espérons que leurs préoccupations seront rapidement suivies de mesures concrètes. Dans cette optique, je souhaite connaître les délais dans lesquels le gouvernement prendra différentes mesures indispensables à la bonne régulation du secteur.

Plusieurs questions devront ainsi être traitées par les ministères compétents. Premièrement, il faudra réguler la publicité dont de trop nombreux établissements font usage sur les réseaux sociaux, conduisant à la prolifération de diplômes non reconnus aux dénominations baroques, dont la qualité de formation n'est pas toujours garantie. Je vous épargnerai le florilège des bachelors, master of et autres mastères qui polluent l'enseignement supérieur français. Deuxièmement, il faudra modifier les conditions d'accès à Parcoursup pour ces formations ne disposant d'aucune certification, mais dont la présence sur la plateforme fragilise la lisibilité des labels attribués par les pouvoirs publics, alors même que les familles peinent déjà à s'orienter au sein de ce système critiquable. Il faudra enfin interdire les pratiques dites de location de titres et redéfinir le système de labellisation dans son ensemble, en commençant par réviser les critères d'attribution du label Qualiopi.

Madame la ministre d'État, je crois que vous avez conscience de l'urgence. Nous attendons des précisions quant à vos intentions et au calendrier d'action du gouvernement.

M. le président . La parole est à Mme la ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Mme Élisabeth Borne, ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche . Le ministre chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche, Philippe Baptiste, et moi-même partageons totalement votre préoccupation quant aux pratiques de certains établissements d'enseignement supérieur privé à but lucratif et votre volonté d'obtenir davantage de garanties de leur part. Depuis 2024, le ministère a engagé plusieurs travaux visant notamment à améliorer la lisibilité et la transparence du contenu des formations sur Parcoursup, à moderniser et à simplifier le cadre juridique applicable à l'enseignement supérieur privé – ce qui devrait conduire à la réécriture de certaines dispositions du code de l'éducation –, et à instaurer un véritable contrôle de la qualité pédagogique des formations proposées par le privé, notamment des brevets de technicien supérieur (BTS) en apprentissage. Il s'agit ainsi, en coopération avec le ministère du travail, de conditionner l'accès au financement de l'apprentissage à des critères de qualité de la formation.

Nous sommes donc pleinement d'accord avec vous : il faut garantir aux familles que les jeunes s'engagent dans des formations de qualité. Dans cet esprit, nous envisageons la création d'un label de qualité distinct du label Qualiopi, lequel constitue plutôt une certification formelle du respect des exigences réglementaires. Cela passera sans doute, là encore, par l'adaptation du code de l'éducation dans le but de mieux encadrer les formations supérieures privées.

Données clés

Auteur : M. Emmanuel Grégoire

Type de question : Question orale

Rubrique : Enseignement privé

Ministère interrogé : Enseignement supérieur et recherche (MD)

Ministère répondant : Enseignement supérieur et recherche (MD)

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 25 février 2025

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