Situation inquiétante de l'industrie traditionnelle des Ardennes
Question de :
M. Pierre Cordier
Ardennes (2e circonscription) - Droite Républicaine
M. Pierre Cordier appelle l'attention de M. le ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l'industrie et de l'énergie, sur la situation inquiétante de l'industrie traditionnelle, en particulier dans le Nord Ardennes. La concurrence de la Chine, le coût de l'énergie et l'interdiction du moteur thermique prévue pour 2035 menacent directement les filières forge, estampage et fonderie, ainsi que les entreprises d'usinage. Les abandons de commandes des clients historiques des PME ardennaises entraînent déjà des fermetures d'usines, des licenciements ou du chômage partiel de salariés alors que le territoire connaît un taux de chômage qui avoisine les 20 %. Il souhaite par conséquent savoir si le Gouvernement va intervenir auprès de la Commission européenne pour que les moteurs thermiques puissent toujours être commercialisés en Europe après 2035 et connaître les mesures concrètes mises en œuvre par l'État pour accompagner les entreprises françaises de l'industrie traditionnelle dans cette transition périlleuse.
Réponse en séance, et publiée le 12 mars 2025
DÉSINDUSTRIALISATION DANS LES ARDENNES
M. le président . La parole est à M. Pierre Cordier, pour exposer sa question, no 206, relative à la désindustrialisation dans les Ardennes.
M. Pierre Cordier . Je viens vous faire part des inquiétudes des chefs d'entreprise du département des Ardennes, particulièrement dans les domaines de la forge, de l'estampage, de la fonderie et de l'usinage. Depuis une quinzaine d'années, 10 000 emplois ont été perdus dans ces domaines d'activité dans les Ardennes. Dans certaines communes de ma circonscription, le taux de chômage dépasse les 20 %.
La fin du moteur thermique, prévue pour 2035, n'arrange pas les choses. Dans un moteur thermique, il y a 200 pièces ; dans un moteur électrique, il y en a 100 ! Cela vous donne une idée des perspectives de production… Par ailleurs, certaines commandes sont parties dans d'autres pays de l'Union européenne, où les coûts de production sont inférieurs et la compétitivité est meilleure. J'en appelle à une forme, non de nationalisme – le terme serait inadapté – mais de patriotisme productif des grands donneurs d'ordre.
Les chefs d'entreprise n'en peuvent plus des normes environnementales et techniques qui pèsent sur eux : il y a quelques jours, un chef d'entreprise m'expliquait qu'il allait devoir embaucher des salariés rien que pour remplir des dossiers très volumineux et justifier du respect de ces normes.
Il convient de réfléchir à l'échéance de 2035 : elle est trop proche pour certaines entreprises qui travaillent dans le domaine automobile.
Les perspectives évoquées par le ministre de la défense en direction des entreprises de forge, estampage, fonderie, usinage intéressent beaucoup le département des Ardennes car ces secteurs y emploient encore une main-d'œuvre qualifiée et courageuse.
Que prévoit le gouvernement pour aider les entreprises ardennaises, qui en ont grand besoin ?
M. le président . La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’intelligence artificielle et du numérique.
Mme Clara Chappaz, ministre déléguée chargée de l'intelligence artificielle et du numérique. Je vous remercie pour cette question – qui s'adressait à M. Ferracci, absent ce matin – et pour votre implication en faveur du tissu économique ardennais. Vous avez souligné l'enjeu que représente la fin du véhicule thermique en 2035 et les difficultés du secteur automobile.
Nous avons collectivement décidé, au niveau européen, de nous donner ce cap, pour plusieurs raisons. La première est écologique : le véhicule électrique est à long terme la solution la plus durable avec le moins d'émissions de CO2 – il nous faut rester fermes sur ce point. Ensuite, sur le plan industriel, des investissements ont déjà été engagés en ce sens et nous devons poursuivre sur cette voie.
Cependant votre préoccupation est très juste : cette transition n'est acceptable que si elle s'accompagne d'une politique industrielle forte. Si le moteur thermique est appelé à décliner, de nouvelles filières industrielles peuvent et doivent émerger. Nous ne pouvons accepter de réduire nos émissions en les délocalisant dans des pays à bas coût, en vidant nos territoires de leurs emplois pour acheter des produits extra-européens.
En dix ans, une filière de production de véhicules, avec des usines de batteries ou de moteurs électriques, a émergé en Europe. Les investissements ont donc bien permis d'amorcer la transition. Cependant, la demande en véhicules électriques en 2025 n'atteint pas le niveau attendu – c'est une réalité.
Or, jusqu'au 5 mars, la réglementation européenne CAFE, Corporate Average Fuel Economy, pénalisait les constructeurs qui avaient le choix entre, d'un côté, affaiblir leurs sous-traitants en réduisant les ventes de véhicules thermiques artificiellement ou, de l'autre, renforcer leurs concurrents américains et chinois en achetant des crédits d'émission.
Après plusieurs mois de négociations, le ministre Ferracci et Stéphane Séjourné, commissaire européen chargé de la prospérité et de la stratégie industrielle, ont annoncé, la semaine dernière, l'introduction de marges de flexibilité au sein de cette réglementation. Les constructeurs pourront désormais lisser leurs ventes sur trois ans. Cette mesure pragmatique, prise dans une situation d'urgence inédite, représente une avancée majeure.
Enfin, s'agissant de la concurrence chinoise, sachez que nous agissons déjà pour l'électrification au niveau national. Nous soutenons la demande par le bonus automobile, des mesures de verdissement des flottes professionnelles et des incitations à l'achat de véhicules de fonction électriques. Nous avons aussi soutenu la transition des industriels avec près de 2 milliards d'euros de subventions, accordées depuis 2020 dans le cadre de la transition vers l'électrique ou de la diversification hors automobile.
Vous l'aurez compris, le gouvernement garde un cap clair mais se tient aux côtés de l'industrie automobile pour l'aider à surmonter les difficultés et l'accompagner dans cette transition.
M. le président . La parole est à M. Pierre Cordier.
M. Pierre Cordier . J'entends bien vos propos et je note que vous n'êtes pas ministre de l'industrie ou de l'économie et des finances depuis 2017. Pour ma part, je n'ai cessé durant ces huit dernières années d'interpeller Bruno Le Maire ou Agnès Pannier-Runacher sur les difficultés que la transition posait aux entreprises de forge, d'estampage et de fonderie.
Ils m'ont toujours répondu que je ne devais pas m'inquiéter, qu'ils prendraient des mesures pour soutenir le monde économique et aider les entreprises à négocier le virage écologique. Mais quand je demande aux chefs d'entreprise de la vallée de la Meuse ou de celle de la Semois – où s'exercent ces métiers particuliers de la forge, de l'estampage et de la fonderie –, ils me répondent que l'État ne fait rien pour eux. Les dispositifs, les structures comme France Industrie, on ne les connaît pas. Ils me disent, monsieur le député, nous n'avons rien !
Vous qui exercez des responsabilités au plus haut niveau de l'État, vous devez prendre conscience que, sur le terrain, dans un département modeste comme le mien, l'État n'aide pas les entreprises. C'est une réalité. Lorsque deux entreprises ont été reprises il y a quelque temps, j'ai demandé aux repreneurs ce que l'État avait fait pour eux. Rien ne leur a été proposé, pas de prêt garanti par l'État (PGE) ni d'aide en matière de commandes – on sait que l'État peut faire pression sur les donneurs d'ordre.
Vous devez être consciente que l'écart est très grand entre la théorie, les discours tenus dans la presse ou dans l'hémicycle, et la réalité à laquelle sont confrontés les chefs d'entreprise. Je me dois de vous le dire en tant que représentant d'un territoire que je défends – comme tous les autres députés – avec mon cœur et mes tripes.
Auteur : M. Pierre Cordier
Type de question : Question orale
Rubrique : Industrie
Ministère interrogé : Industrie et énergie
Ministère répondant : Industrie et énergie
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 4 mars 2025