Garantir un rejet effectif des demandes d'aide juridictionnelle irrecevables
Question de :
M. Éric Pauget
Alpes-Maritimes (7e circonscription) - Droite Républicaine
M. Éric Pauget appelle l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur l'effectivité du rejet des demandes d'aide juridictionnelle, irrecevables ou dénuées de fondement juridique. Comme le souligne de manière critique la Cour des comptes dans ses observations définitives, le principe général selon lequel « l'aide juridictionnelle est accordée à la personne dont l'action n'apparaît pas, manifestement, irrecevable ou dénuée de fondement » énoncé en vertu de l'article 7 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 reste le plus souvent inappliqué. En effet, le pourcentage de rejets fondés sur cet article s'élevant seulement à 0,54 % du nombre total des décisions, est dérisoire. M. le député rappelle qu'en matière de contentieux de la nationalité, l'article 1045-2 alinéa 2 du code de procédure civile précise que l'action de contestation du refus de délivrance d'un certificat de nationalité française doit être introduite à peine de forclusion dans un délai de six mois à compter de la notification du refus. Il rappelle également que l'aide juridictionnelle est en pratique accordée régulièrement alors que ce délai est expiré et donc que le recours est, de ce fait, sans ambiguïté, parfaitement irrecevable. Ainsi, la forclusion est elle-même facile à établir sur la base d'une simple observation du dossier. Ces demandes étaient encore jusqu'à ce jour rejetées en majorité grâce à l'intervention des magistrats en charge de l'instruction des demandes d'aide juridictionnelle. D'ailleurs, ces derniers sont en mesure, dès l'analyse du dossier, d'identifier que les demandes sont manifestement irrecevables ou infondées. Cette vérification, pourtant requise par la loi, pourrait en pratique ne plus être opérée. En effet, comme M. le député le précise, cette dérive devrait être fortement aggravée par l'instauration d'un traitement informatisé des demandes qui pourrait faire obstacle à ce qu'il soit vérifié que l'action au titre de laquelle l'aide juridictionnelle est demandée n'est pas manifestement irrecevable ou infondée. M. le député alerte M. le ministre sur un possible surcoût pour les finances publiques françaises, qui supporteront des aides juridictionnelles infondées ainsi qu'un alourdissement considérable du rôle du tribunal judiciaire de Paris par des procédures pourtant promises à l'échec sur le fond au regard du droit. Compte tenu de ces éléments, il lui demande de bien vouloir lui indiquer quels moyens et méthodes il entend mettre en œuvre pour garantir que les demandes d'aide juridictionnelle manifestement irrecevables ou dénuées de fondement, en particulier au sein du bureau d'aide juridictionnelle de Paris, compétent pour le contentieux de la nationalité concernant les non-résidents, dont le volume est particulièrement important, soient effectivement rejetées. Par ailleurs, il lui demande de lui préciser dans quelle mesure ces dérives d'octrois et de bénéfices irréguliers d'aide juridictionnelle ont été accordées en 2023.
Réponse publiée le 8 avril 2025
Á titre liminaire, le rapport de la Cour des comptes relatif à l'aide juridictionnelle de 2023 fait en effet état d'une faible proportion de recours à l'article 7 de la loi du 10 juillet 1991 par les bureaux d'aide juridictionnelle. Le chiffre de 0,54 % est cependant apprécié par rapport à l'ensemble des demandes introduites sur l'année. En effet, 83,8 % des demandes d'aide juridictionnelle ont été acceptées en 2023. L'indicateur adéquat permettant d'analyser l'efficience de la mobilisation de ce motif de rejet est ainsi celui de la part de rejets fondés sur l'article 7 au regard du total des décisions de rejet, qui s'élève à 8,04 % pour l'année 2021. Aux fins de comparaison, la caducité (30,75 % des rejets) et le constat de ressources supérieures aux plafonds (20,39 %) représentaient en 2023 la majorité des motifs de rejet des demandes d'aide juridictionnelles. Pour pallier l'insuffisante mobilisation de l'article 7, le rapport précité recommande notamment de « renforcer le pilotage des bureaux d'aide juridictionnelle, définir une politique d'attribution de l'aide juridictionnelle et la décliner au sein des juridictions ». Dans cette perspective, le ministère de la Justice a renforcé sa politique d'harmonisation en matière d'aide juridictionnelle par diverses actions menées au sein des juridictions. Est ainsi expérimenté depuis le 1er juin 2023 un regroupement des bureaux d'aide juridictionnelle au niveau des cours d'appel afin d'élaborer une doctrine unifiée au sein des ressorts. Le ministère de la Justice s'emploie par ailleurs à assurer des actions de formation auprès des différents acteurs de l'aide juridictionnelle en juridiction, à l'École nationale des greffes ou encore à l'École nationale de la magistrature dans la perspective d'une harmonisation des pratiques en juridiction. La mise en œuvre d'un dispositif plus contraignant en la matière a été identifiée par le législateur, lors de l'élaboration de la loi du 10 juillet 1991, comme présentant le risque d'alourdir la procédure d'attribution et de compliquer à l'excès le parcours de l'ensemble des justiciables. L'appréciation du caractère manifestement irrecevable ou dénué de fondement nécessite de faire preuve de prudence afin d'assurer sa conciliation avec le droit à un recours juridictionnel effectif. En tout état de cause, la loi du 10 juillet 1991 et le décret du 28 décembre 2020 organisent une procédure de recouvrement en conférant au juge saisi au principal, la faculté d'ordonner le retrait de l'aide juridictionnelle dans l'hypothèse d'une requête manifestement irrecevable, donnant lieu à recouvrement des sommes avancées par l'État. Enfin, il est fait état de ce que l'instauration d'un traitement informatisé des demandes d'aide juridictionnelle serait susceptible de faire obstacle à la vérification du caractère manifestement irrecevable ou infondé de la requête principale. Toutefois, le Système d'information de l'aide juridictionnelle (SIAJ) n'empêche ni ne désincite en rien les agents en charge de l'instruction de rejeter une demande sur le fondement de l'article 7 de la loi du 10 juillet 1991. Bien au contraire, en allégeant les tâches d'enregistrement des données manuscrites dans le logiciel et en permettant des échanges dématérialisés entre la juridiction et le demandeur d'aide juridictionnelle, le SIAJ dégage justement du temps d'instruction du dossier par les agents qui soumettent au magistrats les éléments d'appréciation utiles à la décision d'admission ou de rejet de la demande, sont ceux caractérisant une demande manifestement irrecevable, dénuée de fondement ou abusive.
Auteur : M. Éric Pauget
Type de question : Question écrite
Rubrique : Justice
Ministère interrogé : Justice
Ministère répondant : Justice
Dates :
Question publiée le 19 novembre 2024
Réponse publiée le 8 avril 2025