Question écrite n° 2127 :
Indépendance et impartialité du Parquet en Kanaky

17e Législature
Question signalée le 27 janvier 2025

Question de : M. Emmanuel Tjibaou
Nouvelle-Calédonie (2e circonscription) - Gauche Démocrate et Républicaine

M. Emmanuel Tjibaou alerte M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur les déclarations publiques et l'omniprésence médiatique du procureur de la République en poste en Kanaky-Nouvelle-Calédonie. Les troubles survenues au pays depuis le 13 mai 2024 ont causé nombre de dégâts entraînant des pertes économiques et en vie humaine (13 morts). L'instruction judiciaire en cours concernant la recherche de vérité sur les évènements tragiques qui se sont déroulés éclairera pour tout le monde les implications de ceux qui ont mené à ce drame. Dans ce contexte, M. le député souhaite interpeller M. le ministre sur les conditions indignes et dégradantes dans lesquelles les personnes sont arrêtées, gardées à vue, déportées en France puis détenues depuis leurs arrestations à Nouméa. La pression politique en Nouvelle-Calédonie autant que celle de l'opinion publique suite à ces évènements tragiques ne doivent en rien entacher l'action de la justice, la préservation autant que le respect des droits de la défense. Les témoignages des personnes arrêtées ainsi que ceux de leurs avocats montrent bien que cela ne fut pas le cas. M. le député interpelle également M. le ministre quant aux déclarations publiques récemment de M. le procureur de la République près le tribunal de Nouméa sur l'instruction des dossiers en cours et l'utilisation de termes tels qu' « organisation criminelle » accolés aux organisations politiques indépendantiste ceci occultant de fait le principe de la présomption d'innocence. Pour rappel, la mouvance indépendantiste s'est mobilisée pacifiquement contre le dégel du corps électoral aux élections provinciales en Nouvelle-Calédonie. Si des dérapages ou exactions ont eu lieu, en aucun cas M. le procureur ne peut se prévaloir d'un jugement non rendu pour exprimer de tels propos alors que les tribunaux ne se sont pas prononcés et que les auditions continuent encore actuellement. M. le député sollicite l'intervention de M. le garde des sceaux auprès de M. le procureur afin de lui rappeler son devoir de réserve et les obligations qui lui incombent dans l'exercice de ses fonctions. Les acteurs politiques doivent être engagés dans la sortie de cette crise institutionnelle, sociale et économique. Il est aujourd'hui nécessaire de mesurer avec toute la portée de la parole publique et en particulier de la justice dans le pays, dans cette situation de tension latente qui rappelle les heures sombres de la justice française en Kanaky où le droit n'était reconnu que pour les citoyens à peau claire. M. le député demande à M. le ministre d'agir promptement afin d'apaiser la situation au pays. La France, terre des Droits de l'Homme, ne doit pas transiger sur ses fondements et entacher ses principes de ce qui serait perçu comme la persistance d'une justice coloniale en 2024.

Réponse publiée le 8 avril 2025

 A titre liminaire, il convient de rappeler qu'en application de l'article 1er de la loi du 25 juillet 2013 et des principes constitutionnels de séparation des pouvoirs et de l'indépendance de l'autorité judiciaire, il n'appartient pas au ministre d'Etat, garde des Sceaux, ministre de la Justice de formuler des appréciations sur les décisions rendues, de donner quelque instruction que ce soit dans le cadre de dossiers individuels ni de commenter les affaires judiciaires en cours. La communication sur des affaires judiciaires en cours, quelle que soit les qualifications retenues et la sensibilité des faits, ne peut se faire que dans le cadre de l'article 11 du code de procédure pénale, lequel définit tant l'autorité autorisée à communiquer que les motifs justifiant une telle communication. En application des dispositions de cet article, le procureur de la République est seul à même d'apprécier le caractère opportun d'une telle communication. La loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire est venue élargir le champ de la communication judiciaire du procureur de la République. Auparavant, la communication sur les affaires en cours était limitée à la nécessité de faire cesser « la propagation d'informations parcellaires ou inexactes » ou de « mettre un terme à un trouble public ». Désormais, l'article 11 du code de procédure pénale modifié prévoit que le procureur de la République peut communiquer « lorsque tout autre impératif d'intérêt public le justifie ». Dès lors, la communication du procureur de la République permet désormais d'évoquer publiquement toute affaire si cela apparaît opportun au regard des circonstances de celle-ci, dans le respect du secret de l'enquête et de la présomption d'innocence, comme le précise la circulaire de présentation du 19 janvier 2023 relative à la présentation et la mise en œuvre des nouvelles dispositions de l'article 11 du code de procédure pénale. Par ailleurs, l'alinéa 3 du nouvel article 11 du code de procédure pénale mentionne que cette communication peut se faire par l'intermédiaire d'un officier de police judiciaire agissant avec l'accord et sous le contrôle du procureur de la République. La circulaire de politique pénale générale, adressée le 20 septembre 2022 aux procureurs généraux et procureurs de la République s'inscrit en cohérence avec les nouvelles dispositions de l'article 11 du code de procédure pénale en soulignant l'importance d'une communication active des procureurs de la République sur leur action au service l'intérêt général et sur la politique pénale mise en œuvre sur le ressort.

Données clés

Auteur : M. Emmanuel Tjibaou

Type de question : Question écrite

Rubrique : Outre-mer

Ministère interrogé : Justice

Ministère répondant : Justice

Signalement : Question signalée au Gouvernement le 27 janvier 2025

Dates :
Question publiée le 19 novembre 2024
Réponse publiée le 8 avril 2025

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