Question orale n° 219 :
Condition des femmes transgenres en prison : le cas de Louna

17e Législature

Question de : Mme Sylvie Ferrer
Hautes-Pyrénées (1re circonscription) - La France insoumise - Nouveau Front Populaire

Mme Sylvie Ferrer appelle l'attention de M. le ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice, sur le parcours d'incarcération de Louna, militante anti-A69 transgenre. Le 14 février 2025, sa remise en liberté a mis fin à une situation de détention inacceptable. Son cas individuel a, une fois de plus, mis en lumière le délabrement du système carcéral français, incapable de garantir de véritables conditions de réinsertion aux détenus et oppressif pour les personnes transgenres. Louna a été incarcérée à la prison de Tarbes. « L'une des plus épouvantables qui a été donnée de connaître » à Dominique Simonnot, Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), selon ses propres mots. Avec un taux de surpopulation de 184,3%, une prolifération de nuisibles, des cellules insalubres, une offre de travail et d'activités quasi-inexistante, et des faits de violence établis de la part d'agents pénitentiaires, il est aisé de comprendre le sentiment de la CGLPL. En 2024, Mme la députée avait usé de son droit de visite parlementaire et avait ensuite témoigné devant le Conseil d'État après la saisine de l'OIP, l'A3D, la LDH, le CNB, l'ADAP et la FNUJA. Le juge des référés avait rejeté l'ensemble des demandes formulées, préservant en l'état une situation pénitentiaire catastrophique porteuse du germe de la récidive ou bien encore du suicide pour les détenus. À ce cadre tout à fait abominable s'ajoute la situation de Louna, qui, transgenre, a dû subir les affres propres à celle d'une femme enfermée dans un quartier pour hommes. Car oui, le fonctionnement carcéral non-mixte est incapable de prendre en charge correctement le cas des personnes transgenres au point de les affecter dans les mauvaises prisons. À la suite d'insultes et de menaces et en considération de sa situation particulière, la direction de l'établissement pénitentiaire a décidé de placer Louna à l'isolement où elle est restée durant plusieurs mois. Mme Ferrer, en lui rendant visite, a pu constater l'absence de ventilation mécanique, l'absence d'ameublement convenable, ou bien encore l'absence d'accès à la cour de promenade. L'ensemble de ces facteurs ont eu un impact considérable sur les « capacités cognitives » de la détenue, selon ses termes, aggravant ainsi l'accueil déjà dégradé de la prison. Pourtant, le respect de l'identité de genre, notamment en prison, est reconnu comme un droit fondamental par la CEDH, le CPT, les Nations unies ou bien encore l'APT. Son absence de prise en compte dans le système carcéral français est régulièrement signalée. Il y a peu encore, le 29 janvier 2025, elle était remise en question par le chercheur Mati Bombardier dans son article intitulé « Isoler pour protéger ? La prison face à la transidentité ? ». De même, l'avis du 25 mai 2021 de la CGLPL expliquait déjà que « la transidentité seule ne doit pas entrainer un placement d'office dans un quartier protégé » et que « toute personne transgenre s'identifiant comme une femme est une femme et doit être reconnue comme telle ; toute personne transgenre s'identifiant comme un homme est un homme et doit être reconnu comme tel également ». L'avis émettait également une série de recommandations allant de la formation du personnel pénitentiaire à l'interdiction des fouilles dégradantes. C'est pourquoi, sur le fondement des travaux mentionnés, et afin que la situation de Louna ne se reproduise plus, elle lui demande quelles transformations fondamentales le ministère de la justice compte appliquer au système carcéral français.

Réponse en séance, et publiée le 12 mars 2025

CONDITION DES FEMMES TRANSGENRES EN PRISON
M. le président . La parole est à Mme Sylvie Ferrer, pour exposer sa question, no 219, relative à la condition des femmes transgenres en prison.

Mme Sylvie Ferrer . Ma question concerne le parcours d'incarcération en détention provisoire de Louna, femme transgenre opposée au projet d'autoroute A69 entre Castres et Toulouse.

Le 14 février dernier, sa remise en liberté a mis fin à une situation de détention inacceptable. Son cas individuel a, une fois de plus, mis en lumière le délabrement du système carcéral français, incapable de garantir de véritables conditions de réinsertion aux détenus et oppressif pour les personnes transgenres. Cette situation n'est pas un cas isolé.

Louna a été incarcérée, en attendant son jugement, à la prison de Tarbes en octobre 2024. C'est l'une des plus épouvantables qu'il ait été donné de connaître à Dominique Simonnot, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté – selon ses propres mots. En juillet 2024, à la suite du rapport accablant qu'elle a publié sur la maison d'arrêt de Tarbes, j'ai usé de mon droit de visite parlementaire et, sur la base de mon compte rendu, j'ai témoigné devant le Conseil d'État, après sa saisine par une coalition d'organisations. Le juge des référés a rejeté l'ensemble des demandes formulées, préservant en l'état une situation pénitentiaire catastrophique, qui favorise la récidive, voire le suicide des détenus.

À ce cadre tout à fait abominable s'ajoute la situation particulière de Louna qui, femme transgenre, a dû subir les affres propres à la situation d'une femme enfermée dans un quartier pour hommes. Le fonctionnement carcéral non mixte est incapable de prendre en charge correctement le cas des personnes transgenres, au point de les affecter dans les mauvaises prisons.

À la suite d'insultes et de menaces, et en considération de sa situation particulière, la direction de l'établissement pénitentiaire a décidé de placer Louna à l'isolement, où elle est restée pendant plusieurs mois. Alertée, j'ai demandé une autorisation pour la rencontrer fin novembre 2024. Dans un second temps, j'ai fait valoir mon droit de visite et j'ai demandé à voir les cellules d'isolement. J'ai pu constater une mauvaise aération, du fait de l'absence de ventilation mécanique, un manque d'ameublement convenable pour la nourriture, l'absence de douche dans la cellule et l'absence d'accès à la cour de promenade, à quoi il faut ajouter la pénurie d'agents pénitentiaires. L'ensemble de ces facteurs a eu un impact considérable sur les capacités cognitives de la détenue, selon ses propres termes, aggravant ainsi l'accueil déjà dégradé de la prison.

Pourtant, le respect de l'identité de genre, notamment en prison, est reconnu comme un droit fondamental par la Cour européenne des droits de l'homme, le Comité européen pour la prévention de la torture et l'Organisation des Nations unies. Son absence de prise en compte dans le système carcéral français est régulièrement signalée.

Il y a peu encore, fin janvier 2025, la prise en charge carcérale des femmes trans était remise en question par le chercheur Mati Bombardier, dans son article intitulé « Isoler pour protéger ? La prison face à la transidentité ». De même, dans son avis du 25 mai 2021, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté expliquait déjà que « la transidentité seule ne doit pas entraîner un placement d'office dans un quartier protégé » et que « toute personne transgenre s'identifiant comme une femme est une femme et doit être reconnue comme telle ; toute personne transgenre s'identifiant comme un homme est un homme et doit être reconnu comme tel également ».

L'avis émettait aussi une série de recommandations, allant de la formation du personnel pénitentiaire à l'interdiction des fouilles dégradantes. Sur le fondement des travaux mentionnés, et afin que la situation de Louna ne se reproduise plus, quelles transformations fondamentales M. le ministre de la justice compte-t-il apporter au système carcéral français ?

M. le président . La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l'autonomie et du handicap.

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et du handicap . Permettez-moi de vous répondre au nom du garde des sceaux.

L'administration pénitentiaire doit effectivement s'adapter à l'ensemble des détenus quel que soit leur profil. Elle s'y emploie chaque jour, y compris pour les personnes transgenres. Vous dénoncez le placement à l'isolement d'une personne transgenre, anciennement détenue au sein de la maison d'arrêt de Tarbes.

Il m'apparaît opportun de vous indiquer que son placement en régime d'isolement résulte d'une décision judiciaire, et non administrative. Dès sa sortie du quartier arrivant, la consigne donnée, par le biais d'une ordonnance, par l'autorité judiciaire, était de la placer à l'isolement. Par ailleurs, l'isolement est la solution préconisée par le référentiel précité lorsque l'établissement ne dispose pas d'un quartier pour femmes ou d'un quartier spécifique.

De plus, lors d'une audience avec le chef d'établissement, il lui avait été proposé de changer de structure pour un établissement plus adapté à son profil et elle avait refusé cette proposition. S'agissant du fonctionnement de la maison d'arrêt de Tarbes, un plan d'action est en cours de déploiement, que la direction interrégionale des services pénitentiaires de Toulouse suit avec attention. Elle a, dans ce cadre, transmis au chef d'établissement une lettre de mission qui s'attache à reprendre certaines recommandations émises par la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté lors de son dernier rapport de visite.

Par ailleurs, un référentiel national de prise en charge des publics LGBT+ placés sous main de justice a été diffusé à l'ensemble des services pénitentiaires en mars 2024. Il s'inscrit notamment dans le cadre du plan interministériel d'action pour l'égalité des droits, contre la haine et les discriminations anti-LGBT+ (2023-2026). Celui-ci a été corédigé avec la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT, le ministère de la santé et les associations spécialisées.

Il regroupe des gestes professionnels éprouvés et des cas pratiques concrets. Son objectif est d'améliorer les conditions dans lesquelles ces publics sont pris en charge et d'informer les personnels sur les situations qu'ils peuvent être amenés à rencontrer. Afin d'accompagner sa diffusion et de faciliter son appropriation par les personnels, des formateurs relais ont été identifiés au sein des directions interrégionales des services pénitentiaires.

Données clés

Auteur : Mme Sylvie Ferrer

Type de question : Question orale

Rubrique : Lieux de privation de liberté

Ministère interrogé : Justice

Ministère répondant : Justice

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 4 mars 2025

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