Question écrite n° 2255 :
Face à l'esclavage moderne, l'immunité diplomatique ne peut être absolue !

17e Législature

Question de : M. Abdelkader Lahmar
Rhône (7e circonscription) - La France insoumise - Nouveau Front Populaire

M. Abdelkader Lahmar attire l'attention de M. le ministre de l'Europe et des affaires étrangères sur la traite des êtres humains à des fins d'exploitation par le travail au sein des domiciles diplomatiques. En 2022, 5 % des 281 personnes accompagnées par le Comité contre l'esclavage moderne (CCEM) disaient avoir été exploitées par des diplomates, y compris à l'âge de leur minorité. Pour ces dernières, l'exploitation par des familles de diplomates protégées par l'immunité diplomatique consiste en une triple peine : elles sont exploitées, incapables de faire valoir leur statut de victimes auprès des juridictions pénales et ne peuvent être indemnisées pour leur travail et les dommages subis par les instances civiles. Lorsqu'elles sont originaires du même pays que leurs employeurs, elles subissent une peine additionnelle, en ne pouvant risquer de retourner dans leur pays après s'être enfuies, du fait des menaces qui pèsent sur elles de la part de leurs anciens exploiteurs et leurs administrations complices. Une problématique identifiée par l'État français, notamment la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF), qui y a consacré une mesure de son nouveau plan national de lutte contre la traite. Alors que des pays voisins de la France, comme la Belgique, commencent progressivement à remettre en question le caractère absolu de l'immunité diplomatique face à cette grave violation des droits fondamentaux qu'est la traite des êtres humains à des fins d'exploitation par le travail, la France, pays pionnier dans la lutte contre la traite, le travail forcé et le travail des enfants au sein de l'Alliance 8.7 depuis 2021, devrait agir pour combattre ces dérives. Ainsi, quelles dispositions le ministère de l'Europe et des affaires étrangères compte mettre en œuvre pour protéger les travailleurs et travailleuses employés au service privé et personnel des agents diplomatiques en fonction en France, notamment en lien avec d'autres services de l'administration, comme l'Urssaf ou l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) ? Enfin, il lui demande quel bilan des dispositions existantes et quelles mesures nouvelles sont à préconiser pour éliminer ces situations inacceptables qui n'honorent ni les pays y ayant recours ni la France qui les tolère.

Réponse publiée le 11 mars 2025

Le statut de « personnel privé » au service d'un diplomate est prévu dans la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques de 1961. Selon l'article 1 de la Convention « l'expression « domestique privé » s'entend des personnes employées au service domestique d'un membre de la mission, qui, ne sont pas des employés de l'Etat accréditant ». En pratique, ils sont rémunérés directement par le diplomate qui les emploie. Ce « personnel privé », qui arrive en France avec un visa diplomatique bénéficie, une fois installé en France, d'un titre délivré par le Protocole. Il s'agit en l'occurrence d'un Titre de séjour spécial (TSS), les personnels sous Convention de Vienne séjournant en France en dérogation du droit commun. Pour limiter au possible les cas d'esclavage moderne de ces domestiques privés, le Protocole (sous-direction des privilèges et immunités diplomatiques et consulaires) a, de longue date, pris des mesures visant à circonscrire le recours à ces personnels (un à deux personnels pour un chef de mission diplomatique, un seul pour un chef de mission adjoint). Il a ainsi créé une procédure spécifique pour l'octroi du visa diplomatique et la délivrance du TSS à ces personnels privés, soumis à un certain nombre de conditions. Cette procédure a été communiquée en 2015 aux représentations diplomatiques étrangères en France par une note verbale circulaire sur l'emploi des personnels privés. En application de cette procédure, il n'est délivré de visa pour venir en France à ce personnel privé que si un certain nombre de mesures sont respectées : - existence d'un contrat de travail correspondant aux exigences du droit du travail français pour l'emploi de personnel à domicile (en termes de nombre d'heures, de salaire, de jours de repos etc. ; le contrat doit être fourni au Consulat compétent et au Protocole, qui étudie sa conformité avec le droit français) ; - paiement d'une assurance santé par l'employeur au bénéfice du personnel privé (en effet, les personnels sous TSS ne relèvent pas du système de protection sociale français) ; - existence d'une langue commune entre l'employeur et le personnel privé ; - entretien d'un agent du Consulat avec le personnel privé pour s'assurer qu'il a bien connaissance de ses futures conditions de travail. Si l'entretien n'est pas concluant ou si l'une des conditions indiquées n'est pas respectée, le visa ne sera pas accordé. Par ailleurs, la note verbale circulaire de 2015 rappelle l'introduction dans le droit pénal français depuis 2013 de « dispositions visant à réprimer les conditions de travail relavant de l'esclavage moderne, les délits de servitude et de travail forcé ». Une fois le personnel privé arrivé sur le territoire français, la demande de TSS doit être faite dans la période de validité du visa d'entrée (trois mois). Avant de délivrer le TSS à un personnel privé, un agent du Protocole s'entretient avec celui-ci (en face à face) pour vérifier que les dispositions du contrat sont bien respectées, en lui posant une liste de questions précises pour s'assurer qu'il n'est pas victime d'abus (passeport toujours en sa possession, nombre d'heures effectuées conforme au contrat, logement digne etc.). Si le TSS est octroyé, il est limité à une durée d'un an, et toute prolongation n'est accordée qu'après nouvel entretien.

Données clés

Auteur : M. Abdelkader Lahmar

Type de question : Question écrite

Rubrique : Droits fondamentaux

Ministère interrogé : Europe et affaires étrangères

Ministère répondant : Europe et affaires étrangères

Dates :
Question publiée le 26 novembre 2024
Réponse publiée le 11 mars 2025

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