Plan de licenciement sur les usines du groupe Lubrizol de Rouen et Oudalle
Question de :
M. Édouard Bénard
Seine-Maritime (3e circonscription) - Gauche Démocrate et Républicaine
M. Édouard Bénard alerte M. le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique sur le plan social annoncé par la direction française du groupe industriel Lubrizol sur ses sites de Rouen/Petit-Quevilly et d'Oudalle, tous les deux en Seine Maritime. Le groupe détenu par le fonds d'investissements américain Berkshire Hathaway Holding appartenant à Warren Buffet est spécialisé dans la production d'additifs pour les huiles de moteurs thermiques. Le 6 février 2025, la direction de Lubrizol a annoncé la suppression de 169 emplois sur ses deux sites, dont 147 suppressions sur le site de Petit-Quevilly, relevant pour l'essentiel de la fermeture de l'unité de production de dispersants. La multinationale américaine, qui réalise toujours de confortables bénéfices, y compris en Europe avec une marge bénéficiaire de 6 à 7 %, prend prétexte du ralentissement des immatriculations des véhicules thermiques sur le continent européen pour justifier son plan social. Pourtant Lubrizol, comme d'autres acteurs de la chimie, a ouvert récemment de nouvelles unités de production au Brésil et en Inde, pays moins-disant sur les questions sociales et environnementales, lesquelles sont susceptibles d'exporter leur production en France et en Europe. Dans les faits, il s'agit de licenciements boursiers dictés par une volonté de maximisation des profits et non par de quelconques difficultés économiques. À l'occasion de l'ouverture des négociations du PSE, la direction de Lubrizol a fait état de propositions d'indemnisations de licenciement supra-légales ridicules au regard des moyens de la multinationale, qui a encore réalisé 70 millions de profits en Europe, tout en indiquant vouloir expédier rapidement les négociations avec les représentants du personnel. Alors que le site de Petit-Quevilly a été victime d'un sinistre industriel majeur en 2019, la direction du groupe s'active actuellement auprès des services de la DREAL pour réduire sa classification SEVESO et diminuer incidemment les contraintes de sécurité, notamment en matière de personnel. Aussi, M. le député demande à M. le ministre d'user de l'ensemble des moyens mis à sa disposition pour contester le bien-fondé de ce plan social afin d'en obtenir l'annulation, ou du moins une réduction substantielle, notamment pour faire face aux exigences de sécurité, ainsi que pour garantir l'indépendance du pays sur ce secteur stratégique, l'usine de Petit Quevilly comportant la seule unité de mélanges du groupe (la C2) produisant un large panel de références. De même, il lui demande s'il va agir auprès de la multinationale pour obtenir un véritable PSE digne de ce nom pour les salariés qui ne seraient pas reclassés.
Réponse en séance, et publiée le 12 mars 2025
GROUPE LUBRIZOL
M. le président . La parole est à M. Édouard Bénard, pour exposer sa question, no 252, relative au groupe Lubrizol.
M. Édouard Bénard . Le 6 février 2025, la direction de Lubrizol France a annoncé la suppression de 169 emplois sur ses sites industriels de Rouen-Petit-Quevilly et d'Oudalle, tous les deux situés en Seine-Maritime. Le plus gros des suppressions d'emplois concernerait le site de Petit-Quevilly, où les 147 postes menacés correspondent, pour l'essentiel, aux salariés affectés à l'unité de production de dispersants menacée de fermeture.
L'usine rouennaise s'est fait connaître pour de malheureuses raisons lors de l'incendie qui a ravagé son centre de stockage en 2019 ; le panache de fumée s'est étendu jusqu'aux Hauts-de-France et a marqué durablement les esprits dans toute l'agglomération rouennaise.
La multinationale, qui réalise de confortables bénéfices – y compris en Europe, où sa marge bénéficiaire est située entre 6 % et 7 % –, prend désormais prétexte du ralentissement des immatriculations de véhicules thermiques pour justifier son plan de licenciement. Or Lubrizol, comme d'autres acteurs de la chimie, a ouvert récemment au Brésil et en Inde, pays moins-disants sur les plans social et environnemental, de nouvelles unités susceptibles d'exporter leur production en Europe.
Dans les faits, les suppressions d'emplois en Seine-Maritime constituent donc évidemment des licenciements boursiers dictés par la volonté de maximiser les profits et non justifiés par de réelles difficultés économiques.
Lors de l'ouverture des négociations relatives au plan de sauvegarde de l'emploi (PSE), la direction a proposé des indemnités de licenciement supralégales ridicules au regard des moyens de la firme, qui a encore réalisé 70 millions de profits en Europe. De plus, elle affiche sa volonté d'expédier au plus vite les négociations.
Malgré le sinistre industriel survenu en 2019, sur lequel ne s'est pas encore prononcée la justice, la direction du groupe s'active auprès des services de la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) pour réduire la classification Seveso de l'usine de Petit-Quevilly, classée en seuil haut, afin de diminuer les contraintes de sécurité, notamment pour le personnel. Ne feignons pas la naïveté : une telle réduction constituerait une aberration étant donné l'histoire du site et elle serait incompréhensible pour la population.
Si l'usine de Petit-Quevilly est dotée de la seule unité de mélange du groupe, qui est capable de produire un large panel de références, son avenir est pourtant menacé, comme l'indique le fait que des ingénieurs sont venus à plusieurs reprises réaliser des relevés techniques de cette unité susceptible d'être dupliquée à l'étranger.
Les États européens continueront d'utiliser des moteurs thermiques pour de nombreux usages, y compris pour la défense, bien au-delà de l'échéance de 2035. Aussi y aura-t-il toujours besoin d'huiles moteur pour assurer leur fonctionnement. Il est donc indispensable de préserver les capacités de production françaises afin d'éviter toute situation de dépendance.
Par conséquent, je vous demande, madame la ministre, d'user de l'ensemble des moyens mis à la disposition du gouvernement pour contester ce plan social et obtenir son annulation, ou du moins sa réduction substantielle. Il convient notamment de faire face aux exigences de sécurité, qui ne sauraient souffrir d'un quelconque relâchement, et d'obtenir, le cas échéant, un véritable plan de sauvegarde de l'emploi, à la hauteur des moyens de la multinationale, pour les salariés qui ne seraient pas reclassés.
M. le président . La parole est à Mme la ministre déléguée chargée du commerce, de l’artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l’économie sociale et solidaire.
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire . Je vous prie d'excuser l'absence du ministre chargé de l'industrie et de l'énergie, Marc Ferracci, qui est retenu en d'autres lieux.
Le gouvernement regrette profondément l'annonce, le 6 février dernier, par la direction de Lubrizol, du projet de restructuration prévoyant, vous l'avez rappelé, la suppression de 169 postes de travail sur les sites de Rouen et du Havre, des sites que je connais bien pour être moi-même normande. Ce projet de restructuration touchant particulièrement les territoires rouennais et havrais, il a suscité, mi-février, de vives réactions chez les salariés, qui ont lancé un mouvement de grève à Rouen et au Havre à l'appel de la CFDT et de la CGT. Ce mouvement a rendu nécessaires des réquisitions préfectorales pour assurer la mise en sécurité du site.
Le projet de restructuration initié par Lubrizol intervient dans un contexte de surcapacité de production des additifs pour carburants et huiles moteur liée à la baisse continue du marché automobile. Il ne remet toutefois pas en cause la forte implantation industrielle de Lubrizol en France, notamment sur ses deux sites normands. Un investissement de 5 millions d'euros est d'ailleurs prévu pour transférer une unité de production au Havre.
Le gouvernement et les services locaux de l'État concernés sont et seront particulièrement vigilants et exigeants quant au respect par Lubrizol de ses obligations liées au plan de sauvegarde de l'emploi et à la législation environnementale.
Ainsi, concernant le plan de sauvegarde de l'emploi, la direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (Dreets) de Normandie veillera au respect de la procédure d'information-consultation du comité social et économique (CSE) engagée depuis le 3 mars et qui doit se terminer début juin. Elle sera également attentive à la qualité du dialogue social avec les organisations syndicales de l'entreprise, en incitant fortement les partenaires sociaux à conclure un accord majoritaire sur le plan de sauvegarde de l'emploi. Une attention particulière sera enfin portée par le préfet de Seine-Maritime à la future convention de revitalisation des territoires, laquelle associera l'ensemble des acteurs locaux.
De même, la Dreal Normandie veillera au respect des règles en matière de sécurité industrielle et à celui des obligations environnementales pesant sur l'entreprise. La délégation interministérielle aux restructurations d'entreprises (Dire) effectuera des points réguliers avec la direction de Lubrizol, mais aussi avec les services locaux de l'État, afin de vérifier le bon déroulement de toutes les étapes de la procédure et de rappeler, chaque fois que nécessaire, les différentes obligations auxquelles est assujettie l'entreprise.
Le cabinet du ministre Ferracci et la Dire pourront, si vous le souhaitez, vous tenir informé, de même qu'ils pourront informer les organisations syndicales, si celles-ci le souhaitent, sur l'avancement du projet de restructuration.
Auteur : M. Édouard Bénard
Type de question : Question orale
Rubrique : Industrie
Ministère interrogé : Économie, finances, souveraineté industrielle et numérique
Ministère répondant : Économie, finances, souveraineté industrielle et numérique
Date : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue au Journal officiel du 18 mars 2025