Accidents du travail - Faute inexcusable et poursuites pénales de l'employeur
Question de :
M. Matthias Tavel
Loire-Atlantique (8e circonscription) - La France insoumise - Nouveau Front Populaire
M. Matthias Tavel interroge Mme la ministre du travail et de l'emploi sur le nombre croissant d'accidents du travail en France et des suites qui y sont réservées. En 2022, plus de 559 812 accidents du travail (AT) ont été déclarés pour les salariés du régime général et du régime agricole. 38 022 AT ont causé pour les victimes des séquelles durables et 789 personnes sont décédées dans l'exercice de leur profession. En augmentation constante, le nombre d'accidents du travail causera la mort au travail de 879 personnes en 2030, d'après les projections de la Confédération européenne des syndicats (CES). Alors que la Cour de cassation a depuis quelques années modifié sa jurisprudence, mettant à charge de l'employeur une obligation de moyens renforcée, à la place de l'obligation de résultats en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs qu'elle tirait des articles L. 4121-1 et suivants du code du travail, les victimes d'accident du travail doivent engager une procédure devant une juridiction judiciaire autre que le conseil des prud'hommes, afin que soit reconnue la faute inexcusable de l'employeur et ainsi percevoir une majoration de leur rente et une indemnisation de leur préjudice. La voie pénale peut aussi être envisagée, mais seul le procureur de la République peut décider de poursuivre un employeur qui s'est rendu coupable d'un délit dans le cadre de la relation de travail. Dans l'hypothèse où le parquet décide de ne pas poursuivre, la seule alternative pour la victime réside dans la possibilité de se constituer partie civile en payant une consignation dont le montant est décidé discrétionnairement par un juge d'instruction. En outre, à cette première contrainte, s'ajoutent des délais particulièrement longs. On rappellera que la France est fréquemment condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme sur le fondement de l'article 6§1 de la CEDH pour atteinte au droit à un procès équitable, en raison de délais de justice déraisonnables. Pour exemple, à Saint-Nazaire, un salarié victime d'un accident du travail en 2012 s'est vu notifier en 2024 par le parquet de Saint-Nazaire, soit 12 ans plus tard, le classement sans suite de sa plainte pénale. Souhaitant donc se constituer partie civile, il lui a été réclamé une consignation de près de 3 000 euros. S'agissant de la procédure en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, il faut compter un délai moyen de 3 ans de procédure, auquel s'ajoute un délai d'un an pour avoir accès à un médecin expert et un nouveau délai d'un an pour percevoir l'indemnisation. Ensuite, à toutes ces difficultés pour les victimes souhaitant obtenir réparation au civil, il faut ajouter des délais de prescription qui n'ont eu de cesse d'être réduits à peau de chagrin par une succession de réformes depuis 2015. Il est incontestable que la politique mise en œuvre ces dernières années en matière de droit du travail et de droit pénal du travail ne poursuit d'autre objectif que celui de décourager un salarié victime d'un AT d'avoir accès à un juge en vue d'obtenir réparation et condamnation d'un employeur délinquant. Enfin, ces délais anormalement longs laissent tout loisir à certains employeurs de se soustraire à la justice par liquidation ou fusion-absorption de la personne morale qui avait la qualité d'employeur. M. le député suggère que, dès lors qu'une personne morale est poursuivie au pénal en sa qualité d'employeur pour des faits ayant trait à un accident du travail, toute opération tendant à procéder à une liquidation ou fusion-absorption de la personne morale soit interdite. Il lui demande quelle est sa position sur cette question. Il lui demande également quels sont les moyens qu'elle entend mettre en œuvre, en y associant les ministères de la justice et de l'intérieur, afin qu'une politique pénale en matière de droit du travail vise à réduire les délais de procédure et faciliter les poursuites pénales à l'encontre d'employeurs dont la faute inexcusable a été dès lors reconnue, sans préjudice du bénéfice de la présomption d'innocence.
Réponse publiée le 22 avril 2025
A titre liminaire, il convient de rappeler que même en cas de condamnation pénale de l'employeur, les préjudices résultant d'un accident du travail ne peuvent être indemnisés par le tribunal correctionnel et doivent donner lieu à une démarche parallèle devant le pôle social du tribunal judiciaire (article L. 451-1 du code de la sécurité sociale – Cass. Crim. 2 octobre 2012, n° 11-85032). Si la victime d'un accident du travail peut se constituer partie civile dans un dossier pénal dans lequel son employeur est mis en cause afin d'être reconnue en qualité de victime, celle-ci ne pourra se voir indemnisée au titre des préjudices subis. Le ministère en charge du travail a mis en ligne en juin 2024 un guide pour les victimes d'accidents du travail et leurs familles conçu pour accompagner les victimes et leurs proches dans leurs démarches, en vue de faire valoir leurs droits. Ce guide permet notamment d'identifier les interlocuteurs pouvant être mobilisés, selon la situation (arrêt de travail, inaptitude, démarches judiciaires, démarches à la suite du décès d'un salarié…). Concernant la suggestion visant à interdire toute opération tendant à procéder à une liquidation ou à une fusion-absorption d'une personne morale, poursuivie au pénal en sa qualité d'employeur pour des faits ayant trait à un accident du travail, il est rappelé qu'en l'absence de personne morale, la personne physique peut toujours être poursuivie pour les infractions commises. Lorsque l'inspection du travail enquête à la suite d'un accident du travail, elle recherche systématiquement si la responsabilité de la personne physique peut également être engagée au regard de l'infraction commise. La circulaire du ministère de la justice du 11 octobre 2000 apporte par ailleurs des précisions utiles sur la responsabilité pénale de la personne physique en matière d'accident du travail après la loi du 10 juillet 2000. Elle précise ainsi que la loi ne doit aucunement conduire à une atténuation de la répression dans le domaine du droit du travail. La jurisprudence de la Cour de cassation a confirmé cette interprétation. La prévention des accidents du travail graves et mortels est une priorité du ministère du travail. Plusieurs mesures ont été prises pour mettre en œuvre une politique pénale efficace en matière de droit du travail en lien avec les ministères de la justice et de l'intérieur. Ainsi, la loi du 23 mars 2019 de programmation et de réforme pour la justice fixe les modalités de mise en œuvre de la co-saisine police judiciaire / services d'inspection du travail. Celle-ci permet un traitement coordonné et une accélération des enquêtes en cas d'accident du travail grave ou mortel. Des échanges réguliers sont organisés entre la Direction générale du travail (DGT) et la Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) pour organiser la coopération entre les parquets et l'inspection du travail sur le traitement des dossiers d'accidents du travail graves ou mortels. Lors du conseil national d'orientation des conditions de travail du 3 février 2025, la ministre chargée du travail, Mme Astrid Panosyan-Bouvet, a annoncé l'élaboration d'une instruction commune DGT/DACG visant à renforcer la coopération entre les services judiciaires et l'inspection du travail en matière de sanctions à la suite d'accidents du travail graves et mortels. Cette instruction aura également pour objet de mobiliser plus fortement les acteurs de la chaîne pénale en matière de lutte contre la sinistralité au travail.
Auteur : M. Matthias Tavel
Type de question : Question écrite
Rubrique : Accidents du travail et maladies professionnelles
Ministère interrogé : Travail et emploi
Ministère répondant : Travail et emploi
Dates :
Question publiée le 10 décembre 2024
Réponse publiée le 22 avril 2025