Question écrite n° 3131 :
Inclusion des revenus des activités illicites dans le calcul des ressources

17e Législature

Question de : Mme Constance Le Grip
Hauts-de-Seine (6e circonscription) - Ensemble pour la République

Mme Constance Le Grip interroge M. le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique sur la possibilité et l'opportunité de réfléchir à inclure les revenus issus des activités illicites, notamment ceux des « guetteurs » impliqués dans le trafic de stupéfiants, dans le calcul des ressources du foyer fiscal. Les « guetteurs » jouent un rôle central dans les réseaux de trafic de stupéfiants. Leur mission consiste à surveiller les lieux stratégiques et à alerter leurs complices de la présence des forces de l'ordre. Bien que ces activités soient illégales, elles génèrent des revenus souvent conséquents, qui échappent totalement au cadre légal de déclaration et de fiscalisation. En droit fiscal, tout revenu, quelle qu'en soit son origine, est censé être déclaré. Cependant, cette exigence se heurte au droit pénal, notamment au respect de la présomption d'innocence. L'absence de fiscalisation de ces revenus soulève plusieurs problématiques. D'un point de vue social, ces ressources non déclarées permettent à certains foyers de bénéficier d'aides sociales indues ou d'échapper à des prélèvements fiscaux auxquels les autres citoyens sont soumis. Cela nourrit un sentiment d'injustice parmi les contribuables respectant leurs obligations fiscales. Par ailleurs, ces revenus illégaux renforcent les moyens financiers des réseaux criminels et alimentent une économie souterraine difficile à démanteler. Les points de deal constituent la face visible de cette économie parallèle. Implantés dans des cités ou immeubles précaires, souvent à proximité d'axes stratégiques comme des sorties d'autoroute, des stations de métro ou des universités, ils sont organisés de manière quasi-industrielle. En amont, l'approvisionnement se fait par des semi-grossistes, principalement depuis le Maroc ou l'Espagne. En aval, les profits du trafic sont blanchis, notamment au Maghreb ou à Dubaï. Chaque point de deal fonctionne comme une entreprise structurée, avec une hiérarchie claire et des rôles définis. À l'entrée, le « guetteur », masqué et souvent assis, contrôle les allées et venues, procède parfois à des fouilles ou vérifications d'identité et alerte en cas de danger. Le rabatteur oriente les clients vers le vendeur, appelé « charbonneur », qui, muni de sa sacoche de produits stupéfiants, effectue les transactions. Un appartement dit « nourrice », souvent occupé par une femme en situation de précarité, sert de lieu de stockage et de repli en cas d'intervention policière. Les revenus dans cette chaîne sont conséquents : le guetteur gagne environ 60 euros par jour, le vendeur 150 euros et la nourrice jusqu'à 1 500 euros par mois. Quant au gérant, responsable de l'approvisionnement et de la gestion des équipes, il peut percevoir jusqu'à 5 000 euros par mois. Depuis la loi de finances rectificative pour 2009, des dispositifs fiscaux permettent de taxer les revenus tirés des activités illicites. Deux mécanismes sont prévus : une présomption de revenus, qui considère les biens ou sommes saisies comme imposables, et une taxation forfaitaire fondée sur le train de vie, permettant d'ajuster la base fiscale en fonction des dépenses ou des signes extérieurs de richesse disproportionnés. Cependant, leur application reste limitée par des obstacles pratiques, comme la difficulté d'évaluer les revenus illicites et juridiques, notamment le respect de la présomption d'innocence. Depuis le cadre du plan « Marseille en grand », annoncé le 2 septembre 2021 par le Président de la République Emmanuel Macron, l'État a déjà pris des initiatives pour s'attaquer aux ressources économiques des réseaux criminels. Par exemple, en 2023, une taskforce administrative interministérielle a été créée, associant les services fiscaux, les douanes et la police. Cet outil innovant a pour objectif de cibler les flux financiers issus d'activités illégales, en complément des procédures judiciaires. Ce dispositif montre la volonté de l'État de renforcer son action contre l'économie souterraine. Une piste complémentaire pourrait consister à instaurer des mesures ciblées, comme la fiscalisation systématique des revenus générés par les activités liées aux points de deal, dont l'organisation quasi-industrielle produit des revenus très significatifs. Un rapport récent de la Cour des comptes, d'octobre 2024, évaluant la structuration et les premières retombées du plan, accompagné d'observations sur la question des forces de police à Marseille, met en lumière l'importance de « s'attaquer aux revenus des clans » pour affaiblir les réseaux criminels. À l'échelle européenne, des initiatives comme le projet de directive sur le gel et la confiscation des capitaux d'origine criminelle offrent de nouvelles perspectives pour lutter contre ces flux financiers. Par ailleurs, une coopération internationale renforcée avec des pays comme Dubaï, le Maroc et l'Algérie apparaît essentielle pour limiter le blanchiment. Certains pays, comme les États-Unis d'Amérique, ont déjà mis en place des dispositifs fiscaux spécifiques pour taxer les revenus issus d'activités illégales, tout en garantissant l'anonymat des déclarants afin d'éviter des poursuites pénales immédiates. Ces dispositifs permettent d'élargir l'assiette fiscale tout en réduisant les capacités financières des réseaux criminels. Mme la députée interroge donc M. le ministre sur l'opportunité intéressante de mettre en œuvre un dispositif similaire en France. Une telle mesure permettrait d'assurer une plus grande équité fiscale, de limiter l'impunité financière des criminels et de renforcer la cohérence entre les revenus réels et les aides sociales perçues. Elle propose également qu'une évaluation des mécanismes en place depuis 2009 soit réalisée, afin d'identifier les freins rencontrés et les améliorations possibles. Enfin, Mme la députée souligne que cette mesure pourrait s'inscrire dans une stratégie globale, comprenant un volet éducatif et préventif dans les quartiers concernés, ainsi qu'un renforcement des dispositifs juridiques et administratifs existants pour lutter contre le blanchiment d'argent et le trafic d'armes. Elle lui demande donc si le Gouvernement envisage de réfléchir à cette piste et, le cas échéant, selon quelles modalités il pourrait surmonter les freins techniques et juridiques pour garantir une mise en œuvre efficace et respectueuse des principes de droit.

Réponse publiée le 8 avril 2025

La lutte contre les trafics de stupéfiants constitue une priorité reprise dans le plan interministériel de lutte contre les trafics de stupéfiants signé le 17 septembre 2019 entre les ministres de l'Intérieur, de la Justice et de l'Action et des Comptes publics. Celui-ci a d'ores et déjà permis des succès significatifs, parmi lesquels le déploiement sur l'ensemble du territoire des cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants, la mise en place d'une nouvelle formation commune aux forces répressives ou la cartographie des points de vente de stupéfiants. La refonte en cours de ce plan interministériel a vocation à adapter chacune des mesures à l'évolution de l'état de la menace. En effet, le ministère de la Justice est résolument engagé aux côtés du ministère de l'Intérieur dans la lutte contre ces trafics et s'investit dans la définition d'une politique pénale pragmatique, adaptée au haut niveau de la menace, mais également et surtout aux différentes réalités que recouvrent ces trafics de stupéfiants et à leur impact sur les différents territoires. Les principales orientations de politique pénale en la matière ont ainsi été rappelées dans la circulaire de politique pénale générale du 20 septembre 2022 et encore récemment par la dépêche du 12 mars 2024 relative à l'articulation de l'autorité judiciaire et des forces de sécurité intérieure dans le cadre des opérations de lutte contre les produits stupéfiants dites « place nette ». Ces orientations tendent à inscrire l'action des parquets à la fois au niveau de l'offre et de la demande. S'agissant de la demande, le ministère de la Justice vise à la mise en œuvre d'une politique pénale dissuasive à l'égard des consommateurs, notamment en préconisant le recours à l'amende forfaitaire délictuelle pour les infractions constatées dans les halls d'immeuble et sur la voie publique et en encourageant les dispositifs de prise en charge existants au titre de la politique de réduction des risques en la matière. S'agissant de l'offre, la réponse pénale vise au démantèlement des trafics au moyen de procédures judiciaires ambitieuses comprenant, dans la mesure du possible, un aspect patrimonial. En effet, le ministère de la Justice promeut une approche financière ou éco-criminelle, au regard de la nature lucrative de ces infractions. A ce titre, la circulaire de politique pénale générale du garde des Sceaux du 27 janvier 2025 érige en priorité d'action la lutte contre l'économie souterraine et les circuits occultes, par le biais d'un recours accru aux saisies et confiscations, - en systématisant les dispositifs de vente avant jugement et d'affectation de biens aux services d'enquête, judiciaires et pénitentiaires, - en prenant toutes réquisitions adaptées en matière de saisies et confiscations, y compris s'agissant des biens saisis à l'étranger, - en ayant recours aux dispositifs de saisies et confiscations renforcés par la loi n° 2024-582 du 24 juin 2024, - en facilitant l'exercice par TRACFIN de son droit d'opposition, - en veillant à ce que des investigations patrimoniales soient réalisées systématiquement et en mobilisant le mécanisme de présomption de blanchiment, - en y intégrant la recherche des actifs numériques. L'ensemble de ces mesures visant à promouvoir l'approche éco-criminelle des investigations doit permettre de lutter plus efficacement contre les groupes criminels organisés, en les privant du produit des infractions commises pour leur compte. En revanche, l'opportunité de l'inclusion des revenus issus des activités illicites, notamment ceux des « guetteurs » impliqués dans le trafic de stupéfiants, dans le calcul des ressources du foyer fiscal, et plus généralement la question de la taxation des revenus illégaux, ne relèvent pas de la compétence du ministère de la Justice.

Données clés

Auteur : Mme Constance Le Grip

Type de question : Question écrite

Rubrique : Impôt sur le revenu

Ministère interrogé : Économie, finances, souveraineté industrielle et numérique

Ministère répondant : Justice

Dates :
Question publiée le 14 janvier 2025
Réponse publiée le 8 avril 2025

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